Faut avouer, on était un peu à la bourre sur PNL. Une grande partie de la rédac a découvert ce groupe la semaine dernière soit quelques jours après la sortie de leur album Le Monde Chico, le 30 octobre dernier. Parce que figurez-vous que PNL passe dans les journaux anglais. La dernière fois qu’un tel événement s’est produit, c’était avec les L.E.J. Alors bon, fallait pas qu’on meure bêtes, on s’est activé les tympans. Réactions :
Bref, on s’est senties un peu comme des vieilles connes devant un phénomène de l’Internet. Mais être des vieilles connes quand on a 23 ans de moyenne d’âge, c’est chaud ! Passé la phase du « Oh mon dieu c’est quoi ce truc, rendez-moi Justin Bieber ou Drake ou que sais-je mais pas ça », vient l’étape du « Ok, bon, qu’est-ce que les gens trouvent à ce machin exactement ? ». J’ai donc enfilé mes grosses lunettes de Docteur Papijé pour essayer de comprendre d’où vient le succès de PNL. Comme qui dirait :
« Deux, trois, quatre, cinq barres Six, sept, huit cliquos Pas maintenant qu’on s’barre Pas d’rêve que des doss’ »
PNL, keskecé ?
PNL est un groupe de rap, dont le blaze signifie « Peace and Lovés ». Plus précisément, c’est un duo de deux frères, NOS et Ademo, venus des Tarterêts, un quartier de Corbeil-Essonnes, en banlieue parisienne. Ils faisaient déjà du rap séparément avant de former un duo… et c’est à peu près tout ce qu’on sait sur eux.
Ah si, il y a bien un autre gros détail. PNL a un succès foufou : leur clip Le Monde Ou Rien a fait plus de 9 millions de vues, ils ont balancé leur premier EP en 2015, Que La Famille. Leur deuxième album, Le Monde, Chico, est premier dans les charts iTunes depuis sa sortie le 30 octobre dernier. Mais qu’est-ce qui fait marcher PNL exactement ?
Une passion non dissimulée pour l’auto-tune
Je n’avais aucun sentiment préconçu en lançant le clip de Dans Ma Rue, mais mes oreilles ont assez vite crié Grace Kelly. Elles se sont demandées quelle était cette voix totalement déformée qui venait vrombir dans leurs tympans avec la grâce d’un phoque agonisant… Cette voix défoncée, c’est le fruit de la passion de PNL pour l’auto-tune. Et c’est aussi une de leur singularité et une des clés de leur succès. Si, si.
Nicolas, fondateur du blog FeMC’z et notre spécialiste ès rap sur madmoiZelle, m’explique :
« Je pense que ce sont les premiers artistes français à avoir compris comment on se sert de l’auto-tune. Ils clairement intégré le logiciel dans leur processus d’écriture. Ils ont un sens de la mélodie imparable. […] Les rappeurs commencent à se décomplexer avec le fait de chantonner. Mais eux sont arrivés en assumant complètement le truc, et en poussant à fond. »
C’est ce que souligne Nicolas Pellion dans l’émission ABCDRduson consacrée à PNL : ils sont les premiers en France à utiliser l’auto-tune comme un instrument, comme le font certains rappeurs américains, à s’en servir pour étendre leur gamme de notes, et pas pour avoir des voix de robot à la Booba. Cette technique est encensée par les experts du genre.
L’auto-tune, chez PNL, ce n’est pas un moyen de cacher qu’on a pas de voix ou de se donner un genre r’n’b : c’est carrément un concept. Si, si. Et le site Reaphit d’éclairer ma lanterne :
« Qu’on se le dise, c’est dans l’instrumentalisation de cet outil qu’ils tirent toute leur force et comme Ademo le scande : « Je suis pas un rappeur, sans autotune je suis claqué ». Cet aveu fait de franchise et de modestie détonne de ce que l’on peut habituellement entendre dans cet univers fondé sur l’égotrip.»
Le même site écrivait d’ailleurs en août dernier à propos du clip de J’suis PNL :
« La concordance entre la production et les voix autotunées participe en réalité autant que les lyrics à créer cette ambiance douce-amère, incarnant parfaitement une idée de plaisir synthétique à la foi cruelle et poétique. »
Toujours selon Nicolas, un atout de PNL, ce sont leurs instrus sous-mixées par rapport à ces voix martiennes assumées :
« Dans un morceau de rap habituel, la mélodie vient des instrus, et elle est mise en avant. Chez PNL, c’est la voix qui construit la mélodie, et on entend très peu les percus, qui sont juste un support. »
Leurs paroles profondes (paraît-il)
Vous aurez pu observer un peu plus haut la perplexité des mes chères collègues devant les textes de PNL. C’est vrai que quand on voit ce genre d’extraits (choisis en semi-bonne-semi-mauvaise-foi par votre serviteuse), il y a de quoi bloquer :
« 89, goûte à ma teub, 25 ans d’âge Pas dans ta teuf, j’visser un keuf, j’monte d’un étage »
« J’sais que l’avenir est dark, comme ton boule pucelle Taga taga, zitoun, paki, afghan, coco, be-her, co-mer »
« Dégage ton boule, boule, boule Oh shit, ton mal mon bien Ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais »
Tant de poésie, de classe et d’alexandrins, ça m’émeut (non) (pas trop trop). A priori, j’y vois juste un bon gros tas cliché de paroles de rap, comme si Booba s’auto-parodiait et décidait d’être volontairement drôle… Pourtant, d’après Noisey, PNL, en vrai, c’est bien écrit et vachement recherché. Ouais ouais ouais ouais.
« Leurs thèmes sont simples : les gars parlent d’eux-mêmes, de leur quotidien entre grisaille, deal et rêves d’évasion, déprime et egotrip caillera. C’est là que se situe le tour de force […] Déjà, il y a l’écriture, plus soignée qu’il n’y paraît. Pas vraiment intéressés par la quête de la punchline perdue, PNL installe une ambiance personnelle […] et privilégie les lyrics à tiroirs qui surgissent quand on ne s’y attend pas. […] Même si l’on a droit à quelques rimes arrogantes, on reste à des années lumière de la course à la « plus grosse ». »
Nicolas ne voit pas autant de génie dans les paroles des PNL, mais il m’explique en quoi leur côté babtou fragile peut interpeller :
« Tu remarques que jamais ils ne font l’apologie de la bicrave [la drogue, NDLR]. On sent pertinemment que ce sont des mecs mal dans leurs peau. Vous allez vous marrer, mais y a un côté Jena Lee chez ces mecs-là... Un truc un peu « emo-rap » à la Drake. Sauf que Drake chiale sur les gonzesses et que PNL le fait sur leur vie de dealer. »
C’est ce que confirme Nicolas Pellion sur l’ABCDRduson : en gros, les thèmes de banlieue, de drogue et autres poncifs évoqués par PNL sont surtout un prétexte à parler de leur souffrance intérieure. Et les rappeurs font appel à des références pop-culture qui parlent à tous. Je reste un peu perplexe, mais on va dire que ça se tient.
« Sans déconner, j’ai l’cerveau vide Les yeux vides, le compte vide, le coeur vide J’rentre en semi avec du seum, j’partirai seul en balade Juste du teh et des feuilles »
va même très loin en parlant d’« esthétisation de la merde » à propos de leurs textes :
« […] on ne peut s’arrêter à l’abjectitude du propos si on veut pouvoir saisir l’essence de PNL. Pour les écouter, il faut faire une concession en tant qu’auditeur […] Le verbe grossier et obscène est de la partie, parce que la matière première que le groupe malaxe et cherche à mettre en forme, c’est la merde. »
Leur look « à la Claudy Faucan »
Maintenant qu’on a parlé de l’auditif, il est temps de s’intéresser au visuel. Là où d’autres trimballent, au choix, leurs sweats à capuche (coucou Orelsan et Gringe) et où d’autres préfèrent se saper de luxe (coucou Kanye West), PNL se trimballe un style très particulier. De haut en bas, ça donne : les cheveux mi-longs plaqués en arrière à la gomina ou autre truc collant, les lunettes mouches été 2003 façon Bono, les t-shirts siglés de ton crew ou les polos moulants.
Ça vous rappelle quelqu’un ? Moi oui. Et ce quelqu’un s’appelle Claudy Faucan. Mais si, le photographe pervers et un peu beauf de Dikkenek ! Vous avez l’image, c’est cadeau.
D’après i-D, qui dit les choses très bien avec de jolis mots qui font choc et a le chic pour décrypter les looks :
« Le style PNL, sans fard ni surjeu, prend à revers un rap game où le luxe et l’ostentatoire sont omniprésents, en même temps qu’il donne un aperçu du look banlieue millésime 2015. […] Les signes extérieurs de richesse que sont les sapes de luxe sont un classique du rap. Mais là où le mélange devient inédit c’est quand des pièces plus « mode » se retrouvent assorties à des fringues de tous les jours dans la cité, comme des jeans griffés ou les inamovibles survets et maillots d’équipe de foot. »
Comme tout style WTF, celui de PNL fait ses émules, comme le rapportent Les Inrocks dans un compte-rendu de concert du groupe :
« Les gars ont soigné leur look, calqués pour certains sur celui de la clique PNL. Cheveux plaqués sur maillots du PSG, pilosité chiadée (mini-moustache, barbe organisée), sacoche DG pour transporter l’essentiel, sneakers ou même mocassins, blings de circonstance mais pas trop : le défilé est à la fois très seventies, italo-belge sur les bords, et d’une modernité absolue. Le public de PNL colle les codes : c’est cité, c’est hipster, c’est Internet, c’est un mélange qui rappelle celui inventé par ces jeunes gens modernes qu’on croisait dans les années 80. »
Ah, c’est donc un concept ! En gros, PNL, c’est un peu le normcore du gangsta, toi-même tu sais. C’est volontairement mal assorti, ça ne cherche pas à être classe et ça joue le minimalisme. Un peu comme Claudy Faucan (j’ai tendance à me répéter ouais ouais ouais ouais ouais). Et on sait très bien que tout le monde a un faible pour le personnage de Claudy, aussi vulgaire et loser soit-il.
Leurs clips bien léchés
Si j’ai tendance à trouver PNL un peu cheap malgré ce que les pros considèrent comme des gages de qualité, il y a un point sur lequel je ne crache pas : leurs clips. Les images sont clairement léchées, il y a un vrai rythme cinématographique. Côté décor, on a droit aux Tarterêts, mais aussi à la Scampia, un quartier populaire en banlieue de Naples, et carrément à l’Islande ! Reaphit voit derrière leurs clips de sacrées trouvailles :
« Les plans se font aériens comme les voix, et l’usage des ralentis vient parfaitement incarner le côté « tranche de vie » des lyrics du groupe, comme si la caméra elle même décidait d’immortaliser quelques courts instants de vie, quelques détails marquants. »
Il y a clairement des gros moyens derrière les clips de PNL. Ce n’est pas exactement comme si toi, tu avais filmé un truc artisanal avec ta webcam pour booster la pitié de tes potes et ton compte Ulule… D’ailleurs, tout cela est mal intriguant : d’où sortent-ils les sous ? Je ne suis pas la seule à me poser la question, d’après ce qu’on lit dans Le Monde :
« Dans le Landerneau des maisons de disques, jamais à l’abri d’une parano, certains finissent par y voir anguille sous roche et, derrière tout ça, la main invisible d’une manipulation – sans jamais avancer le moindre début de preuve : « Ils ne seraient pas des Tarterêts… », soupçonnent les uns. « Ce seraient des gars du business… », supposent les autres. Et le projet entier, une vaste opération de marketing. »
Nicolas suppose :
« PNL a annoncé publiquement qu’ils ont décliné toutes les offres des majors. Ils sont sortis chez un petit distributeur indépendant. Et ils sont numéro 1 en ventes digitales. Pas d’intermédiaires : 70% de bénéfices dans leurs fouilles. »
PNL ne se donne pas seulement les moyens financiers : sous leurs airs de branleurs, ce sont en fait de gros bosseurs, explique Laurent Memmi sur son blog.
« La meilleure manière de promouvoir un projet sans moyens ? Recommencer illico à produire et diffuser la suite. […] Sans avoir peur de s’inspirer d’autres ni se laisser arrêter par de supposées contraintes, ils ont ensuite décidé de suivre une voie franche et assumée, pour enfin se mettre au boulot de manière consistante, sans attendre les bénéfices concrets de leur premier projet avant d’offrir plus de contenu à leur public grandissant. »
Leur absence quasi-totale de communication
Et ce boulot, on en cause ? Ben justement, non. On pourrait dire que PNL fait « une Fauve », mais on voit leurs visages, alors disons qu’ils font plutôt « une Mylène Farmer ». Le groupe poste (un peu) sur les réseaux sociaux, mais refuse catégoriquement les interviews. On ne sait rien de leur vie privée.
De leur entourage, on connaît un manager qui ne veut pas en être un, un vague attaché de presse, on sait qu’il y a un réalisateur de clips mais on a pas d’infos sur lui, et c’est à peu près tout. Personne n’arrive à savoir d’où sort vraiment PNL, même si d’après Noisey, il existe vaguement un vivier de rappeurs du même genre :
« Peu après l’éclosion du groupe, d’autres clips ont vu le jour, avec exactement la même formule : rap caillera autotuné de A à Z, pour certains avec le même style de clip. Contrairement à ce qu’on pourrait penser ce ne sont pas des clones, en fait, ce sont tous des rappeurs proches de PNL, pour certains également issus des Tarterêts. »
Cette non-communication poussée à l’extrême est en fait un choix stratégique très ambitieux, d’après Laurent Memmi, qui pousse à se concentrer sur l’essentiel :
« Voici la liste non exhaustive des choses que PNL ne font pas jusqu’ici.
- pas d’interviews
- pas de concerts
- pas de freestyles vidéo
- pas de morceaux hors-album
- pas de distribution
- pas de featurings (à part la famille)
- pas d’attaché de presse (jusque très récemment…) ni plan médias
- pas d’apparitions dans le milieu
- pas d’idée marketing annexe pour attirer l’attention
- pas de manager
Chacune de ces choses aurait un coût en temps, en énergie, en argent, en problèmes potentiels d’incompréhension… En refusant une grande partie de ce sur quoi la plupart des artistes sautent dès qu’ils ont l’occasion, ils ont pu amener leur proposition à un niveau de consistance remarquable. »
Le résultat, c’est un genre d’effet Streisand volontaire : moins tu parles de toi, plus tu en fais parler. Du coup, les auditeurs s’affolent, les médias aussi, on parle de PNL partout, je me retrouve à écrire cet article alors que j’aurais pu me la couler douce tout l’aprèm, enfin vous voyez ce que je veux dire.
Bref, c’est peut-être cette espèce de fascination autour de PNL qui les rend addictifs pour certains, et qui amplifie leur popularité. Sur Rue89, le journaliste Ramsès Kefi avoue que son intérêt pour PNL tient surtout à cet effet de meute autour du groupe et le fait qu’il fasse causer – au fond, on est d’accord sur ce point, on aurait continué tranquillement à écouter du Kendji à la rédac si PNL n’était pas passé dans The Guardian.
« […] Moi, ce n’est pas tant leur son qui m’intéresse, mais ses exégètes et ce que le groupe produit en histoires, commentaires et analyses, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la presse. J’écoute et je lis ça comme une fiction.
Par exemple, certains internautes y voient là un succès trop étrange. Trop rapide. La théorie du complot ou d’une secte. […] »
Ce qui l’intéresse, c’est donc cet effet d’adhésion à PNL. Le fameux effet que j’essaye de m’expliquer depuis le début de cet article. CQFD ?
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Les Commentaires
"PNL. Les gars sont loin de nous. Ils ne font pas que sortir un nouvel album PHENOMENAL que toutes les critiques acclament. Ils vont au-delà du rap jeu en dénonçant un monde dans une impasse dont les biens matériels tant désirés ne sont que distractions futiles et illusoires face à la réalité de la damnation qui vient. Comment ? Simplement en accouchant de lyrics profonds.
"Oh shit, le shit, le shit, bulle
Sang sur l'pull, pull, pull, olala olala"
Une telle maîtrise de la langue française, et une telle remise en question de notre vision de la musique, nous ont donné l'idée de balancer un quizz. Parmi les extraits présentés, saurez-vous distinguer ceux tirés d'une chanson INCROYABLE de PNL ou ceux trouvés sur le site forum-ado.fr ?"