Sous forme de lettre ouverte, Naya a décidé de répondre à Sophie de Menthon, qui semble totalement déconnectée des réalités d’aujourd’hui, notamment en ce qui concerne le rapport hommes-femmes dans l’espace public.
Chère Madame de Menthon,
En voyant votre tweet s’afficher dans mon fil d’actualité, je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire. Non pas que le fait de décrédibiliser le malaise et le traumatisme de nombreuses femmes ayant subi une agression ou ayant été les victimes de propos déplacés ou insultants dans l’espace public m’amuse, mais je pensais plutôt que vous étiez de celles assez intelligentes pour user de l’humour afin de soutenir une cause ou dénoncer une injustice…
J’avais tort.
Je crois, Madame de Menthon, qu’il s’agit d’avantage d’une méconnaissance de votre part sur ce qu’il se passe dans le quotidien des Françaises d’aujourd’hui, qui ne vivent pas, pour la plupart, dans le même milieu social que vous.
Avez-vous déjà pris les transports en commun un jour de grève, madame ? Vous êtes-vous déjà retrouvée coincée entre une porte de métro et un homme qui plongeait son regard dans votre décolleté ? Vous êtes-vous déjà sentie coupable de n’avoir pas pu crier ou vous défendre lorsqu’un individu se permettait de violer votre intimité dans le bus ou le métro ?
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Je ne crois pas que vous soyez consciente du vécu de certaines femmes qui n’ont pas, comme vous, la possibilité de disposer d’un chauffeur, d’une voiture ou d’un taxi pour leurs déplacements. Parce que croyez-moi, madame : lorsque vous connaissez la signification sous-jacente et rabaissante de cette humiliation qu’est de se faire siffler, vous êtes alors consciente qu’il s’agit d’une déshumanisation de la part de quelqu’un qui vous réduit à un simple objet de consommation.
Contrairement à ce que vous vous imaginez, les hommes pratiquant ce que vous considérez comme étant une « politesse » ont conscience du caractère dégradant de leurs actes. Entre les hommes qui vous sifflent sans se retourner, comme pour marquer leur territoire, avant de vaquer à leurs occupations et ceux qui se réjouissent de votre malaise comme une victoire, considérer le fait d’être sifflée comme une situation « plutôt sympa » c’est vous mettre dans le camp de ceux qui veulent dominer les femmes à coup de pseudo-virilité obscène.
Et bien heureusement, je ne suis pas la seule à penser, sans vous manquer de respect, que vous êtes complètement à côté de la plaque.
Je suis consciente, Madame de Menthon, que comme moi vous avez probablement déjà dû vous faire siffler dans la rue. Vous semblez trouver que cet acte rabaissant normalement destiné aux animaux a quelque chose de plaisant. Je ne peux m’empêcher alors de me poser quelques questions…
Lorsqu’un homme vous siffle dans la rue, ou vous interpelle avec quelque joyeuse grossièreté, lui répondez-vous avec un sourire? Une tape sur l’épaule ? Communiquez-vous vos coordonnées à votre « interlocuteur » en criant depuis l’autre bout de la rue, d’une façon assez intelligible pour qu’il puisse les saisir ?
Vous avez fait des études, je crois ; vous venez d’un milieu où l’accès à l’éducation et à l’information est supérieur à la moyenne. Vous devez donc saisir la différence entre un homme qui vous drague d’une manière respectueuse et un autre qui vous siffle, induisant un rapport de dominant à dominée entre l’homme et la femme.
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Peut-être que depuis vos précédents scandales médiatiques, vous étiez en manque de frissons et d’action dans votre vie. Vous ennuyez-vous, madame de Menthon ? Vous êtes une habituée du tapage médiatique ; on vous voit régulièrement citée en Une des journaux, pour des affaires où votre langue aurait « fourché ». Les propos sexistes que vous aviez prononcés à l’encontre de Nafissatou Diallo vous avaient déjà valu votre place de chroniqueuse à RMC :
« C’est un tromblon. Elle n’a rien pour elle. Elle ne sait pas lire, pas écrire, elle est moche comme un cul et elle gagne 1,5 million. C’est extraordinaire cette histoire ! »
En ayant conscience de ce passé « sulfureux », je suis mieux à même de comprendre votre absence d’investissement dans la lutte contre les inégalités entre les genres, et pour la promotion et la sensibilisation autour des questions touchant les droits des femmes. En découvrant votre tweet, je me suis juste dit que mon interprétation négative de ce dernier n’était due qu’à un simple choc des générations entre vous et moi… avant de penser à toutes ces dames de votre âge, voire plus vieilles que vous, qui participent à l’amélioration des conditions de vie des femmes d’ici et d’ailleurs, laissant un héritage solide aux plus jeunes qui, comme moi, se posent des questions sur leur avenir.
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J’ai fait le tour des excuses, Madame de Menthon, et vous n’en avez aucune.
Avez-vous conscience qu’avec de tels propos, vous participez à décrédibiliser ce que les femmes tentent de bâtir depuis des années ? Il y a encore peu de temps, l’absence de médiatisation des violences faites aux femmes et des incivilités dont elles sont victimes dans l’espace public laissait le champ libre à des hommes mal intentionnés, qui pensaient pouvoir disposer des femmes sans devoir en assumer les conséquences. La prise de conscience sur la gravité du harcèlement de rue a aussi permis à de nombreuses personnes d’oser parler et leur a appris à dire, à penser « non, ce que je subis n’est pas normal ».
Alors madame, je vous prierai, si cette lutte n’est pas la vôtre, de ne pas décrédibiliser ceux et celles qui comprennent en quoi ce combat est utile, important. Je vous en prie, Sophie, taisez-vous.
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