C’est hélas bien connu, beaucoup des magazines féminins se ressemblent. Ce, depuis des siècles, comme le relève le nouvel essai Corset de papier, de la chercheuse en littérature et en sciences de l’information et la communication Lucie Barette, qui retrace l’histoire de cette presse féminine. Mais c’est aussi l’un des rares espaces médiatiques grand public qui aborde généreusement la mode, même si c’est souvent sous l’angle de la consommation, et parfois de la culpabilisation.
Heureusement, il existe de précieuses revues spécialisées, comme la conceptuelle Pièce détachée, co-fondée par Maud Bachotet, Salomé Dolinski et Manon Fargeat et qui consacre chacun de ses numéros annuels à une pièce de vestiaire différente (la robe, puis le pantalon, la chemise, et maintenant le couvre-chef). Mais voilà qu’une nouvelle venue souhaite enrichir le paysage médiatique autour de la mode : Griffé.
Griffé, la revue qui raconte la mode au-delà des étiquettes
C’est l’historienne de la mode Salomé Dudemaine et l’expert en mode vintage Julien Sanders qui ont co-fondé Griffé. Cette revue s’adresse à tous les curieux de mode, avec des récits inédits, qui parleront particulièrement aux passionnés de vintage (mais pas que). Elle se donne pour mission de raconter l’histoire de la mode à partir des étiquettes vestimentaires.
Oui, ces minuscules bouts de tissus qui grattent parfois à l’arrière des vêtements racontent énormément : de l’identité de la personne qui fonde une maison, les changements de direction artistique, de propriétaire, donc aussi de quand date la pièce en question et si elle est authentique ou non.
La meilleure revue pour devenir incollable sur la mode vintage
Alors que le grand public se soucie de plus en plus de l’origine de leurs vêtements, se posent de nombreux problèmes de traçabilité dans cette industrie du rêve et du paraître. Et puisque de plus en plus de monde cherche à acheter de la seconde main, et pourquoi pas des pépites vintage, c’est le moment d’en apprendre davantage sur l’histoire de la mode, en partant de l’étiquette comme porte d’entrée. Parce que, grâce à ce petit bout de tissu qu’on surnomme une griffe, on peut authentifier et dater le vêtement, savoir où il a été fabriqué, par qui, et même avoir une idée des conditions de confection.
Si chaque numéro met en avant un grand nom du luxe en particulier (le premier tourne autour de Maison Margiela), tous les articles ne concernent pas uniquement la marque en question.
Raconter la mode d’hier pour comprendre celle de demain
Une partie centrale dresse le portrait sous toutes les coutures de la maison mise à l’honneur (avec un historique complet, une frise chronologique des étiquettes afin de pouvoir authentifier et dater vos trouvailles de seconde main vintage, une enquête de fond sur un aspect de l’histoire de la griffe, ainsi qu’une fiction).
Et une deuxième partie de la revue regorge d’articles thématiques sur d’autres sujets que la maison met à l’honneur, écrits par des personnes professionnelles de la mode passionnantes. Comme des histoires de collab’ marquantes, la rétrospective d’anciens créateurs stars disparus des radars, ou encore des portraits et interviews de petites mains de la mode ultra talentueuses d’hier et de demain.
Auto-éditée, le premier numéro de cette revue annuelle se pré-commande actuellement sur Ulule, depuis le 28 mars et jusqu’au 23 mai 2022. Cette méthode de financement participatif permet aussi d’affirmer la nature collaborative de ce beau projet, financé par et pour une communauté de passionnées.
Pré-commandez Griffé sur Ulule
Interview de Salomé Dudemaine, co-fondatrice de Griffé
Pour mieux comprendre l’intérêt de la revue, on a posé quelques questions à sa co-fondatrice, Salomé Dudemaine.
Madmoizelle.com : Pourquoi partir des étiquettes ? Ne craignez-vous pas que ce soit une porte d’entrée trop étroite ?
Salomé Dudemaine : Avant même de penser à lancer Griffé, avec Julien Sanders, on souhaitait créer une forme de frise chronologique regroupant l’ensemble des différentes griffes dans la mode, comme une sorte d’outil pour les professionnels afin de pouvoir authentifier et dater les pièces. Mais au fil de nos recherches, on a commencé à accumuler de plus en plus d’histoires méconnues, voire complètement inédites autour de la mode. Alors on a voulu raconter, partager ces récits de l’ombre, beaucoup plus riches qu’on pourrait l’imaginer de prime abord, et qui peuvent intéresser bien plus que les professionnels du secteur, mais bien aussi le grand public qui s’intéresse à la mode.
Par exemple, l’un des articles du premier numéro de Griffé s’intéresse aux différentes collab’ de La Redoute, des années 1960 à aujourd’hui. Plein de gens ont déjà feuilleté les fameux catalogues de La Redoute, commandant certaines pièces, s’imaginant dans d’autres. On ne s’adresse pas qu’aux initiés.
Comment expliquez-vous l’intérêt grandissant pour la mode vintage et de seconde main ? Et en quoi Griffé peut servir d’outil afin de mieux s’y repérer ?
On peut lier cet essor à une forme de prise de conscience écologique globale. De la même manière que le grand public s’intéresse de plus en plus à ce qui compose ses assiettes, il cherche aussi davantage de traçabilité, de transparence, et d’authenticité dans ce qui l’habille. On a envie de vêtements dont on connaît l’histoire, les matières, voire les personnes qui les ont conçus, imaginés. Griffé arrive à la confluence de tout ça.
Cette revue aide à la fois à mieux dater et authentifier les vêtements, mais aussi les histoires et les personnes derrière. Et l’étiquette, justement, c’est le carnet de route des vêtements. On ne parle pas que de données impersonnelles, au contraire, on s’adresse à la sensibilité de chacune et chacun. La mode est souvent critiquée pour ses abus de marketing, alors on voulait donner un visage aux personnes de l’ombre qui confectionnent les vêtements.
Par exemple, on publie une enquête sur des femmes qui fabriquent des vêtements Margiela en Italie depuis plus de vingt ans. On a pris le temps de les rencontrer, de déjeuner avec elles, d’apprendre à les connaître, afin de mieux faire comprendre leurs histoires et leur métier parfois transmis de mère en fille.
Dans l’industrie, on surnomme ces personnes des petites mains, mais c’est tellement réducteur : sans leur travail, leur savoir-faire, les dessins des designers ne deviendraient jamais des vêtements commercialisables. Elles ont une expertise inestimable sur comment on produit un vêtement, comment on le patronne, le coupe, le coud, le standardise, voire l’industrialise.
Dans quelle mesure ces enjeux de traçabilité et d’authentification vont gagner en importance selon vous ? Et quelle place peut y occuper griffé ?
Les étiquettes éclairent de façon importante ces enjeux, justement. Dans ce premier numéro de Griffé, on publie aussi un portrait de la famille de tisseurs français Neyret, établie à Saint-Etienne. Depuis près de 200 ans, c’est elle qui s’occupe de 80% des étiquettes des vêtements en France, mais aussi dans une grande partie de l’Europe. Avec cette famille, on retrace comment les étiquettes ont évolué, ce qu’elle raconte de la société et de l’Histoire.
Les griffes (celles qui portent le nom du créateur, de la créatrice, de la marque) sont d’abord apparues au XIXe siècle, alors que la haute couture se développe, et donc que les contrefaçons aussi, afin de pouvoir authentifier le vrai du faux notamment.
Avec l’essor du commerce international et du prêt-à-porter, on a ajouté des étiquettes de composition. Alors que les foyers s’équipent progressivement de machine à laver domestique, on a ajouté des logos d’entretien des vêtements. Aujourd’hui, la famille Neyret ajoute des QR codes aux vêtements pour encore plus de traçabilité et d’informations.
Raconter ça permet de comprendre l’évolution de la société par le prisme des vêtements. On peut filer une certaine histoire française à partir de simples étiquettes. D’ailleurs, depuis les années 2000, on ne trouve presque plus de mention « Made in France » sur les vêtements : à elles seules, les étiquettes témoignent de la désindustrialisation progressive du territoire français.
L’industrie de la mode travaille aussi de plus en plus à sa propre patrimonialisation, développant archives, fondations, et expositions. Que pensez-vous de ce phénomène ?
Les musées donnent à voir ce qui fait rêver le grand public d’un peu plus près, à travers des rétrospectives de grands couturiers ou des costumes historiques fastueux. Mais on voit peu de vêtements de classes populaires d’époque ou de la fast fashion d’aujourd’hui. Pourtant c’est ce qui habille la majorité de la population. Mais les gens paieraient-ils pour aller voir comment ils s’habillent dans la vie quotidienne ?
Les maisons de mode cherchent à valoriser leur patrimoine, axant leur discours sur le processus créatif, le travail de la direction artistique jusqu’au produit fini. Comme si on passait par magie d’une idée à des vêtements qui font rêver sur les podiums.
Entre les musées et les marques de luxe, Griffé s’intéresse en total indépendance aux autres récits, ceux qu’on laisse dans l’ombre alors qu’ils importent tant : le processus de production, l’industrialisation, et tout le travail des petites mains beaucoup plus grandes qu’on ne le croit.
Auriez-vous d’autres ressources à recommander pour filer autrement l’histoire des vêtements ?
Le livre Au cœur des maisons de couture, une histoire sociale des ouvrières de la mode (1880-1950), de Sophie Kurkdjian et Sandrine Tinturier.
La revue Pièce détachée, co-fondée par Maud Bachotet, Salomé Dolinski et Manon Fargeat.
Le compte Instagram @sapecommejadis, fondé par Yvane Jacob.
À lire aussi : Quand les hommes portaient jupes et talons : ce podcast détricote l’histoire genrée des vêtements
Crédit photo de Une : Griffé.
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