Le 1er septembre 2021
Viols simulés, clitoris ignorés, corps féminins brutalisés… Le porno mainstream, consommé à tour de bras, n’est pas connu pour faire dans la dentelle, ni dans le progressisme. Si l’étiquette patriarcale colle à la peau de la plupart des films de cul, ce n’est pas pour rien : souvent oppressif envers les femmes, traitées comme de la chair à canon, et peu représentatif de la véritable sexualité, le porno traîne son lot de critiques, à raison.
Ninja Thyberg, réalisatrice suédoise, rentre dans le vif du sujet avec son film Pleasure, à retrouver en salles cet automne.
Pleasure, un zoom nuancé sur le porno
Le porno peut être sexiste, certes. Mais la réalité est bien plus complexe que ça. C’est justement ce que tente de montrer Ninja Thyberg dans son long-métrage Pleasure, sélectionné au Festival de Cannes 2020. Elle confie, dans le dossier de presse accompagnant le film :
« Je me suis rendue compte qu’il y avait plusieurs niveaux de lecture intersectionnels. On voit les travailleurs du sexe comme des gens dont on consomme le travail et on les méprise un peu. […] [Les actrices porno] savent exactement ce que c’est le patriarcat. Elles l’affrontent tous les jours, de manière stratégique. »
Le film suit l’ascension dans le milieu de porno de Bella, une jeune Suédoise arrivée à Los Angeles, interprétée par l’actrice amatrice Sofia Kappel.
D’abord bercée par l’espoir d’atteindre la gloire puis propulsée au sommet, elle tombe rapidement de son piédestal. Poussée à accepter des pratiques de plus en plus violentes, exhortée à gagner des followers sur Instagram, à aller au-delà de ses capacités physiques, à accepter des pratiques de plus en plus brutales…
La jeune femme doit tout faire pour être « rentable ».
Mais Bella n’est pas la virginale ingénue que certains pourraient imaginer — en soi, elle « aime baiser » et ne s’en cache pas. Ce qui ne l’empêche pas d’être, d’autre part, victime de mauvaises pratiques. La réalisatrice explique pourquoi ce point est à retenir :
« Généralement quand on parle des travailleuses du sexe, on a tendance à penser qu’elles n’ont aucun contrôle sur ce qu’elles font. Et quand Bella dit qu’elle aime baiser, c’est ce que ça critique. »
Ninja Thyberg, connue pour zoomer sur la sexualisation des femmes dans diverses industries, avait déjà parlé du male gaze et du mépris des travailleuses du sexe en 2014, dans Hot Chicks, où elle pointait son objectif sur des danseuses de clips aux mouvements évocateurs.
La cinéaste n’en n’est pas non plus à son premier coup d’essai sur le sujet du porno, puisqu’elle avait réalisé en 2013 un court-métrage — déjà intitulé Pleasure — qui nous emmenait dans les coulisses d’un tournage X centré autour de la pratique périlleuse d’une double pénétration anale.
Du porno à tour de bras
En théorie, le consentement est contractuellement obligatoire sur les plateaux de films porno. Mais en pratique, les acteurs et actrices croulent sous la pression, comme le personnage de Bella. Une fois nues comme un ver, entourées de l’équipe de tournage et de leurs collègues durcis par le Viagra, les comédiennes peinent trop souvent à exprimer et à faire entendre leurs désaccords, ou même leurs réserves. Ninja Thyberg le sait bien :
« Elles savent qu’elles vont perdre du travail, qu’elles vont décevoir les équipes. [… ] Le premier conseil qu’on donne à une débutante du porno, c’est de ne pas faire de vagues, d’être une fille avec qui il est facile de collaborer. »
Le destin du personnage principal du film Pleasure n’est pas sans rappeler celui des héroïnes de Hot Girls Wanted (2015), documentaire choc de Netflix sur les dessous de l’industrie du porno pro-amateur. Jill Bauer et Ronna Gradus y tendent le micro à des jeunes américaines, tout juste adultes, encore étudiantes ou en situation précaire, brûlant d’envie de devenir célèbres et prêtent à tout pour atteindre les sommets.
Des paillettes pleins les yeux, elles mordent à l’hameçon d’annonces douteuses leur promettant la célébrité et l’argent facile, et se laissent naïvement embarquer dans l’industrie pornographique, qui, loin de les ménager, les avale et les recrache sans pitié.
Même si certaines des protagonistes du documentaires ne se plaignent pas devant la caméra et affirment y trouver leur compte, les images sont crues ; les corps malmenés et la réalité des actrices, sous-payées et violentées, le sont encore davantage.
Partagées entre la promesse d’une liberté sexuelle totale et le dégoût des pratiques qu’elles exécutent mécaniquement à l’écran, les jeunes femmes déchantent vite. Elles se retrouvent à simuler des scènes de viol et de dégradations extrêmes pour éviter d’être mises au placard.
Ce coup d’œil dans les coulisses d’un milieu sans pitié pour ses wannabe pornstars dénonce sans fard le traitement des employés et employées de l’industrie dont le consentement n’est pas souvent la priorité.
Mauvaise influence ?
Si vous êtes dotée d’une connexion Internet, il y a de fortes chances pour que vous ayez déjà reluqué du porno ; en Suède, le pays d’origine du film Pleasure, 99% des hommes, selon une étude de 2004, affirment en avoir déjà consommé et 53% ressentent que les films X ont un impact sur leur sexualité.
Bien souvent, le premier pas des ados vers la sexualité passe par les centaines de vidéos gratuites disponibles en quelques clics, avec pour seul garde-fou une maigre vérification de l’âge de l’internaute. Le risque ? Que les scènes visionnées influencent la manière dont on perçoit sa propre sexualité, alors que les films X mainstream sont peu conformes à la réalité.
Depuis quelques années, une vague de porno féministe, inclusif et queer se fraye une place dans l’industrie pour tenter d’offrir un regard plus safe et plus réaliste sur les relations sexuelles.
C’est d’ailleurs en visionnant du porno féministe que Ninja Thyberg a commencé à s’interroger sur l’industrie du X. Une interrogation qu’on retrouve en fil rouge dans son long-métrage, qui défait crument les clichés et les préjugés du milieu.
Le film Pleasure est à retrouver en salles à partir du 20 octobre 2021.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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