Ton front bouillonne, tes mains doublent de volumes, ta jambe droite se transforme en vibromasseur. Tu ne reconnais plus ta voix, tu baisses la tête, ta salive semble devenir solide, tu as du mal à l’avaler… Les moments de gênes et de honte sont loin d’être les plus agréables, sur l’échelle de ta vie qui passe. Pourtant, tu as beau être positive, joyeuse ou confiante, c’est tout de même une étape obligatoire !
Repense à un de ces moments où tu t’es sentie mal à l’aise. Au début, tu voudras vite passer à autre chose (au choix ton repas de midi ou ta prochaine sortie prévue au Parc Astérix). Force-toi à te rappeler de ce souvenir sans t’en vouloir une nouvelle fois à mort. Mieux : assieds-toi mentalement en face du petit Hannibal Lecter qui est en toi (le psy, pas le fin gourmet) et réfléchis. Avec le temps, comment aurais-tu géré cette affaire ?
Sans peurs, mais pas sans reproches, j’ai tenté l’expérience.
Le jour où il fallait ouvrir l’écluse
J’étais en CM1 et je ne mangeais pas à la cantine car ça me filait des gaz. J’avais une nounou chez qui on avait le droit de prendre deux Danette et qui possédait l’intégrale VHS de La Petite Maison dans la Prairie. Surtout, son fils me donnait des papillons dans le ventre. Il était une sorte de Brad Pitt avec deux dents de lapin et un don naturel pour la construction de bases militaires en LEGO. C’était mon ami, même si, en secret, mon journal intime était un sanctuaire à post-its découpés en forme de coeur, sur lesquels je marquais son nom en lettres capitales.
Mais ce jour-là je n’ai pas marqué des points.
Il était midi et je n’avais pas eu le temps de passer aux toilettes. Ma vessie était compressée comme les déodorants de la pub et il pleuvait des cordes. J’ai fais le trajet bus-maison aussi rapidement que j’ai pu, alternant entre course et pas en canard. Ma nounou m’a ouvert et je me suis rendue vers les toilettes en serrant les cuisses. À quelques mètres de la porte, j’ai pourtant perdu la bataille contre ma vessie. La honte ultime : j’étais en train de me soulager sur le carrelage, à seulement une porte fermée de mon crush (et, accessoirement, de la maîtresse de maison).
Voulant réparer mon erreur, j’ai passé les quinze minutes suivantes à éponger le méfait à grand renfort de papier Moltonel. Tout le monde m’a attendue à table, mais ma nounou ne l’a pas su. Enfin, ça c’était ce que je croyais… jusqu’à ce que le soir, dans la voiture, ma mère me regarde d’un air grave en lançant la conversation : « Alors Amélie, tu as eu un petit souci aujourd’hui ? ».
- Aujourd’hui, j’aurais fais quoi ?
Déjà, je n’aurai pas répandu mon urine sur le sol, tout simplement car ce n’est pas dans mes habitudes. Mais admettons.
J’aurais glissé la notion d’une mini-catastrophe dans l’oreille de ma nounou. Elle m’aurait suivie discrètement, expliqué qu’il y a bien plus grave dans la vie et que de toute façon, je finirai bien par porter des Tena alors autant m’habituer à la situation. Elle m’aurait envoyée à table pour me couvrir. J’aurais été soulagée et le sol désinfecté.
En grandissant, j’ai appris que communiquer reste une des meilleures solutions à tout un sacré tas de problème. Parler, expliquer, c’est déjà se soulager d’un poids considérable. J’avais cette faculté de penser que tout garder pour moi allait arranger les choses… Avec le temps, j’ai compris que c’était faux.
Pour finir et clôturer cette sombre histoire, j’aurais sans doute couru à H&M et utilisé l’argent des bonbons de la boulangerie pour m’acheter une nouvelle culotte. Les odeurs trahissent.
Le jour où le prof de SVT n’était pas là pour expliquer
Au collège, je ne connaissais pas encore le principe de pudeur, d’intimité. J’avais cette fâcheuse tendance à me balader partout à poil et de rentrer dans n’importe quelle pièce sans réfléchir à ce qui pouvait se passer derrière la porte.
C’était un soir après une soirée télé en famille. J’avais un devoir de Physique le lendemain et une grosse envie de me jeter dans mes draps sales d’ado transpirante. C’était sans compter sur l’immonde spécimen à huit pattes (velues) posé à trois centimètres de l’interrupteur de ma chambre. C’est plus fort que moi, j’ai toujours été terrifiée par les araignées sous testostérone de ma vieille maison à la campagne…
Ni une, ni deux, j’ai bondi vers la chambre de mes parents pour leur demander de me débarrasser de cet immonde spécimen. J’ai appuyé lourdement sur la poignée de porte avec toute la grâce qui me caractérisait. La scène sous mes yeux me glaça le sang.
Ma mère et mon père, dans le plus simple appareil, lancés dans une étreinte charnelle digne des plus belles vidéos amateur en HD. J’ai refermé la porte en hâte sur fond de grand bruissement de couvertures. Confirmant ma capacité à m’enfoncer un peu plus loin dans le gouffre, j’ai lancé un « Maman, y a une araignée ».
Cinq minutes plus tard, ma mère écrasait la bête, en t-shirt, avec un air ahuri. Et moi, je suis restée traumatisée à jamais.
- Aujourd’hui, j’aurais fais quoi ?
J’aurais toqué. Mais admettons.
J’aurais sans doute refermé la porte plus vite et lancé un « Enjoy » enthousiaste. Parce que le sexe consenti, c’est cool ! Même quand c’est tes parents derrière la porte et que ça implique une nuit dans la chambre d’ami pour fuir un spécimen d’arachnide.
Le jour où j’ai manqué mon rendez-vous en terres inconnues
J’étais en 4ème et je n’avais jamais approché un garçon qui me plaisait (et qui le savait) de près. Je faisais partie des discrètes du fond de la classe, qui beuglaient à la récré mais restaient paralysée devant le sexe opposé. En bref, je faisais tout pour avoir l’attention des plus beaux mecs du coin et une fois que je l’avais, je fondais comme de la paraffine au soleil.
Il s’appelait Aymeric, il portait un survêt’ Lotto et des pics sur le crâne. Il avait accepté de me « recevoir » dans ses appartements en plein air (à savoir la table de ping-pong au fond de la cour) pendant la récré de dix heures. Je n’avais jamais eu droit à un tel rendez-vous. Mes amies, dévouées (et un poil tortionnaires), m’avaient arrangé le coup. Il s’avait que je mourais d’amour pour lui : oui, c’était moi qui avait gravé son nom sur une des table de la salle de perm’.
Plus l’heure approchait, plus je sentais la tension monter en moi. Qu’allais-je bien pouvoir lui dire ? En serais-je capable ? Trouverait-il mon nouveau débardeur DiaboliK à son goût ?
À dix heures, je n’avais plus du tout envie d’y aller. L’idée de passer ne serait-ce que cinq minutes dans le clan des garçons me filait de l’acné et des sueurs froides. Je n’en étais pas capable.
C’était sans compter sur mon clan à moi, qui me poussa (littéralement) à l’autre bout de la cour sans se soucier de mes cris désespérés à mesure que la silhouette d’Aymeric s’approchait de mon corps fou. Face à la situation qui devenait franchement ridicule j’ai décidé de sauver mon honneur en franchissant seule, d’un pas assuré, les deux derniers mètres qui me séparaient de lui. Mes amies se sont éclipsées. Et mon pire cauchemar se déroula juste là, en moi.
Impossible d’ouvrir la bouche. Mes lèvres étaient collées par le stress. J’avais envie de vomir et je commençais à voir double. Aymeric me parlait et moi j’étais plantée là, telle un pylône électrique, droite comme un « i » et froide comme le fer. Un de ses amis m’a finalement jeté un bout de papier plié, un mot qu’Aymeric n’osait pas me donner lui-même (décidément, la confiance en soi n’était pas notre fort à Ligny en Barrois). Je l’ai ramassé, on s’est fait la bise. La cloche a sonné.
J’ai ouvert le mot en cours de techno. C’était son emploi du temps sur lequel était écrit, tout en bas : « je t’aime Amélie ». Je suis devenu toute rouge et le prof a confisqué la feuille. Avec Aymeric, on ne s’est jamais revus.
- Aujourd’hui j’aurais fais quoi ?
J’aurais compris qu’entre un mec qui portait du Lotto et une fille qui achetait ses fringues sur Goéland, ça n’aurait pas pu coller. Mais admettons.
Cette situation, ce blocage, m’a hantée pendant de nombreuses années. Je me suis demandée si j’arriverais un jour à avoir une relation sans être bouffée par la crainte de ne pas plaire à l’autre. J’avais peur d’être anormale, de finir dans un asile. À 23 ans, je tiens une conversation sans me poser aucune question. J’ai eu plusieurs mecs et je ne me transforme plus en tomate coeur de boeuf quand un inconnu pose les yeux sur moi !
Ce jour là, j’aurais traversé la cour fièrement, j’aurais demandé à Aymeric qui était son prof préféré ou pourquoi il ne mangeait que deux fois par semaine au self du collège. Et puis, j’aurais sans doute laissé le papier par terre, parce que bon, oh, j’ai pas que ça à faire de me baisser pour ramasser un putain d’emploi du temps.
Le jour où Tyra Banks n’était pas là pour me servir de guide
En BTS, j’avais un goût prononcé pour les chaussures étranges. Ma toute dernière acquisition était une paire de Jeffrey Campbell NightWalk, ces fameux escarpins à plateformes sans talons. Malgré les nombreuses inquiétudes de mes proches j’étais persuadée que j’arriverais à me balader dans les rues pavées de Reims sans finir avec une attelle.
« And now my walk begins »
Dans mon appartement, les chaussures se révélaient confortables et surtout stables. Je traversais mes trente mètres carrés, gambadant comme un faune moderne (et à la mode). Il fallait maintenant les étrenner dans leur habitat naturel : la rue.
On sous-estime la platitude dans la conception des trottoirs. Ceux de la rue, ce jour-là, semblaient jonchés de trous, crevasses et autres glissements de terrain. Marcher me semblait un calvaire mais j’étais trop fière pour accuser mes chaussures flambant neuves (qui, en plus, m’avaient coûté deux ou trois mois d’argent de poche).
Peu à peu, je prenais de l’assurance. Si bien qu’à une centaine de mètres de mon établissement, je me déplaçais presque normalement. Il était huit heures, tout le centre-ville semblait avoir décidé de prendre la même rue que moi. Les gens regardaient mes pieds, interloqués. Je sentais la classe et l’âme de Kate Moss m’envahir. Quand, tout à coup, je me suis subitement cassé la gueule. Genre le beau plat, façon élève de primaire qui se croûte magistralement le genou en pleine session de balle aux prisonniers.
Maintenant j’étais en retard et je n’avais plus le temps de rentrer pour virer mon collant troué ni ces chaussures élaborées par Satan. J’ai passé toute la matinée à faire des pas de trois centimètres et je suis rentrée me changer à midi, en traversant Reims, pieds nus sous la pluie. Belle perf’.
- Aujourd’hui j’aurais fais quoi ?
J’aurais acheté des baskets. Mais admettons.
Après ma spectaculaire chute, au lieu de me remettre debout telle une princesse déchue vérifiant si sa coiffure était toujours en place, j’aurais fait une roulade avant et je me serais relevée d’un bond en hurlant « RO-DRI-GUEZ ».
Ok, peut-être que j’aurais insulté ces foutues chaussures et que je les aurais jetées dans le relais-vêtements le plus proche. J’hésite encore.
Le jour où il fallait la sortir
Si je t’ai déjà compté ma première fois (une sombre histoire à base de clic-clac et de souris animées), j’ai pourtant omis un détail qui me semble important à relever.
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Voici la manière dont j’ai été introduite à la chose : mon fier étalon, ne pouvant plus attendre et gonflé par le désir, me lance «
Quand t’es prête, tu la sors ». Je restais rouge de honte, ne comprenant pas le langage primitif de cet homme.
Aujourd’hui, je ne sais toujours pas s’il parlait de son organe, du mien, de la capote ou de la cassette dans le magnétoscope.
- Aujourd’hui j’aurais fais quoi ?
J’aurais sorti la bonne. Enfin, j’aurais essayé.
Croyez-moi : les pires hontes ne sont plus aussi cuisantes, une fois qu’on en a bien ri. Il reste pourtant la demi-journée où je me suis trimbalée avec du Labello Cerise teinté tout autour de ma bouche, la fois où je suis restée coincée dans le siège enfant d’un caddie Ikea, le regard de ce petit garçon qui me demandait si j’avais la lèpre dans les jeux de chez Quick (j’avais une croute sur le bras), cette soirée où j’ai caché mon amant derrière les poubelles de l’immeuble ou encore hier, quand j’ai traversé toute la station de métro avec un 20 minutes collé au cul…
Et toi, avec le recul, comment aurais-tu réagi face aux situations qui t’ont mis•e mal à l’aise ?
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Les Commentaires
Longtemps, dés que j'entendais le mot "vicieux.se", ça me ramenait inexorablement à ce souvenir, limite ça me mettait mal à l'aise.
Pour revenir au titre du sujet, finalement je ne sais pas comment je l'aurai gérer aujourd'hui, puisque même si ma "copine" m'avait vendue, j'ai bien confirmé que oui c'était moi qui avait dessiné les attributs, en pensant "faute avouée, à moitié pardonnée", quoi.