L’info s’est répandue comme une trainée de poudre. Sur Twitter, de nombreux internautes ont rapporté que les étiquettes « girl », « teen » ou encore « boy » avaient subitement disparu de Pinterest. Le site de curation de photos permet, en temps normal, de rechercher des images à partir de mots-clés, appelés « pins ». Les utilisateurs peuvent ensuite épingler leurs trouvailles pour créer des « mood boards », sortes de galeries de photos qu’ils rendent publiques, ou non.
Pinterest aurait-il suspendu l’accès à ces pins pour empêcher des pédocriminels de trouver facilement des images d’adolescentes ? C’est en tout cas la théorie avancée par de nombreux tweets. Si l’information n’a pas été confirmée par le site, la suppression de ces tags pourrait effectivement être liée aux résultats d’une enquête publiée début mars par la chaîne d’information américaine NBC News. Le média y démontrait comment les algorithmes de la plateforme permettent à des adultes de glaner aisément des images d’enfants.
Des moodboards à caractère sexuel fleurissent en toute impunité
L’enquête de NBC, publiée le 9 mars, avait fait peu de bruit. Pourtant, les faits dépeints révélaient, à grand renfort de témoignages, un contexte de prédation et d’impunité propice à la pédocriminalité. L’article s’ouvrait ainsi sur l’histoire de Victoria, 9 ans. Sa maman ne voulait pas qu’elle s’inscrive sur TikTok, de peur qu’elle n’y fasse de mauvaises rencontres. Mais elle ne voyait aucun inconvénient à ce qu’elle se crée un profil sur une plateforme aussi « inoffensive » que Pinterest.
Tandis que la jeune fille épinglait des images de bébés animaux et de nail art, des adultes sauvegardaient, en toute discrétion, des images d’elle, faisant la roue ou le poirier, partagées innocemment par Victoria sur son profil. Ces dernières venaient compléter des dossiers intitulés « young girls » (jeunes filles), « Sexy little girls » (petites filles sexy) ou encore « guilty pleasures » (plaisirs coupables), aux côtés de centaines d’autres images d’enfants. Outre la marée de commentaires sexuels postés sous les vidéos de Victoria, NBC révélait que parmi les 400 abonnés de la jeune fille, au moins trois d’entre eux avaient publié des vidéos de pénis en érection sur leur page publique.
Un angle mort juridique
« Collecter, à titre individuel, des images inoffensives de mineurs dans des dossiers à caractère potentiellement sexuel n’est pas hors la loi, ce qui signifie que les plateformes n’ont pas l’obligation légale d’agir », rappelle l’article de NBC. Cependant, selon nos confrères, l’algorithme du site ferait bien plus que simplement laisser passer ce genre de comportement — il le favoriserait, exposant au passage ses jeunes utilisatrices à de potentiels pédocriminels :
Pendant un mois, NBC News s’est créé un compte Pinterest et a examiné des centaines de comptes Pinterest de filles ainsi que les pages de leurs abonnés, dont beaucoup semblaient être des hommes. (La majorité des profils de filles ont été mis en avant de manière algorithmique par Pinterest lui-même au cours du rapport.) L’enquête a montré que le site recommande spontanément des photos et des vidéos de filles visiblement mineures, parfois très jeunes, en grande quantité à un utilisateur recherchant ce type d’images. On voit généralement les enfants se pencher, faire le grand écart, tirer la langue et danser dans leurs chambres tout en portant des tenues comme des shorts de pyjama, des maillots de bain et des justaucorps.
NBC, « Men on Pinterest are creating sex-themed image boards of little girls. The platform makes it easy ». 9 mars 2023
Interrogée par NBC, l’entreprise a affirmé qu’elle prendrait prochainement plusieurs mesures pour mieux identifier et supprimer les comptes qui collectionnent ces images. Parmi les pistes évoquées, un outil pour signaler les profils dont le(s) contenu(s) « mettent en scène des mineurs » et une nouvelle méthode pour vérifier l’âge des jeunes utilisateurs. En effet, si la plateforme est aujourd’hui interdite aux moins de 13 ans, de nombreux enfants de l’âge de Victoria contournent aisément ce critère, parfois même avec l’aval de leurs parents. Le manque de modération favorise par ailleurs l’impunité des prédateurs, qui passent relativement sous les radars, et bénéficient de l’image de marque inoffensive que renvoie Pinterest.
La plateforme serait-elle en train d’opérer un grand nettoyage ? Les révélations de NBC montrent en tout cas l’urgence d’adresser le rôle des plateformes dans la propagation de la pédocriminalité en ligne. Un sujet brûlant, comme le révélait une enquête édifiante du Monde, publiée mi-mars, au sujet du viol de mineurs en ligne. Cette pratique criminelle serait en pleine expansion, et les commandes se multiplieraient pour ces images venant principalement d’Asie du Sud-Est. Comme le rappellent nos confrères de BFM, aujourd’hui, en France, « les personnes arrêtées pour avoir visionné ces vidéos pornographiques en direct peuvent être poursuivies pour « complicité de viols ». C’est à dire qu’elles risquent autant que l’auteur d’un fait de viol : 20 ans de réclusion ». Mais les condamnations restent rares.
Contacté par Madmoizelle, Pinterest France n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
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