Elle s’est sentie jugée, infantilisée, et souhaitait pointer du doigt la façon dont cette femme l’a prise en charge.
Son témoignage est à suivre ci-dessous, et j’ai fait le choix d’y intégrer, en encadrés, le point de vue de Marie Becker, pharmacienne de profession, qui répond à la madmoiZelle avec son expertise de professionnelle.
La pharmacienne du témoignage n’est pas Marie Becker.
Article publié le 24 mai 2019
Le jour où j’ai dû aller acheter une pilule du lendemain
Ah, le jugement du corps médical ou paramédical… Sûrement l’une des choses que je déteste le plus (avec l’injustice et le chou sous toute ses formes) (C’EST UN ALIMENT DANGEREUX).
Sachez que quand je repense à cette histoire je m’énerve seule et ça me travaille des heures durant (mais c’est habituel chez moi).
Je vais maintenant prendre ma plus belle voix de conteuse pour entamer mon récit…
En un soir chaud de mai, une amie m’appelle, relativement paniquée : elle a eu un accident de préservatif et veut prendre la pilule du lendemain pour ne pas prendre de risque.
Seulement elle n’a pas la possibilité d’aller la chercher le jour même, et désire que je l’accompagne le lendemain pour effectuer cette tâche.
Bien entendu j’accepte, et nous fixons le rendez-vous.
J’avais déjà dû prendre la pilule du lendemain (la pharmacienne m’avait déjà un peu jugée du regard, mais elle avait été gentille et professionnelle), et ça la rassurait.
Le lendemain matin, nous nous rendons à la pharmacie. Mon amie me dit qu’elle connaît l’employée (qui, du coup, connaît sa mère), et me demande si je peux aller seule la chercher à sa place.
Je rentre donc dans la pharmacie. Là, je vois une dame que je suppose être la pharmacienne, en train de discuter amicalement avec un monsieur.
Mon intuition ne la sent pas. Et mon intuition se trompe rarement…
Prendre son courage à deux mains pour acheter une pilule du lendemain
Je me rends donc à la caisse, là où il faut retirer la pilule, en priant que ce ne soit pas cette pharmacienne qui me reçoive. Évidemment, ça n’a pas loupé.
— Bonjour madame, je voudrais la pilule du lendemain s’il vous plaît.
Je ne suis pas d’un naturel gênée, et en plus cette fois ce n’était pas pour moi, donc J’AVOUE, MEA CULPA, ma voix était assurée, polie, ni tremblante de honte ni apeurée.
Et le regard de la dame est passé de « accueillant » à « très fortement jugeant ».
Elle est partie vers l’arrière-boutique, s’est retournée au dernier moment et m’a demandé :
— Vous avez quel âge ? — 15 ans.
(À savoir que j’ai 16 ans mais que j’ai un souci : quand on me demande mon âge, je pense vraiment que j’ai 15 ans ! Mais c’est un autre problème.)
À ces mots, je suis passée de « jeune fille dépravée BOUUH on la juge » à « TRÈS jeune fille dépravée BOUUH on la juge encore plus à son âge ça se fait pas » dans ses yeux.
Personnellement je ne demande jamais l’âge de la patiente. Si elle me dit qu’elle est mineure, je suis obligée de la croire. Sinon, je n’ai pas à le savoir ni à demander une carte d’identité.
Il est important de savoir que selon la loi ce dispositif médical d’urgence est gratuit pour les jeunes femmes mineures si elles le demandent.
De plus il n’y a aucun jugement à avoir sur l’âge, c’est aussi pour cela que je ne le demande pas, pour ne pas mettre les jeunes filles mal à l’aise, qu’elles soient seules ou accompagnées.
Pilule du lendemain : la pharmacienne m’a sermonnée
Elle revient avec la pilule, me la met dans un petit sachet, trafique deux-trois trucs sur son ordi. Je n’avais qu’une seule envie, c’était de me saisir du sachet et de sortir très vite.
Sauf que la pharmacienne lève les yeux, son précieux bien serré contre elle, inaccessible pour moi, et me demande :
— Vous l’avez déjà prise ?
Deux choix s’offraient à moi.
Mentir, et dire que non ? Je passerais peut-être pour une jeune fille désolée, et elle me laisserait peut-être partir plus vite. Mais elle risquait de m’expliquer comme ça marche alors qu’on m’a déjà fait le speech en SVT.
Ou bien dire la vérité, ne pas avoir le speech, mais être jugée encore plus fort et risquer qu’elle me fasse la morale (je le sentais d’ici).
J’ai dit la vérité, mon plan étant de me saisir du sachet et de partir sans me retourner.
Et la pharmacienne m’a répondu avec un regard très condescendant :
— Vous savez quand on a des rapports réguliers c’est mieux de prendre une contraception, la pilule du lendemain n’est pas une solution. — Je sais.
Notez que je suis restée polie, mais dans ma tête c’était « MAIS DE QUOI TU TE MÊLES JE LE SAIS ET EN PLUS PAR-DESSUS LE MARCHÉ C’EST PAS POUR MOI. »
Et j’ai finis par bafouiller un :
— Mais je ne peux pas prendre la pilule.
(C’est à moitié vrai, je supporte mal les hormones et en plus ça me gêne moralement d’en prendre.)
— Mais vous avez quoi comme problème ?
MAIS DE QUOI JE ME MÊLESGJISIAJVR.
Surtout que je ne savais pas vraiment, alors j’ai dit que c’était compliqué.
À partir du moment où je reviens avec la pilule, je vais être plus intrusive en demandant de quand date le rapport, car il existe actuellement deux types de pilules du lendemain :
- la classique qui agit jusqu’à 48-72h
- et une autre qui est plus forte avec un traitement possible dans les 5 jours qui suivent le rapport potentiellement fécondant.
Tout en sachant que la pilule doit être prise le plus rapidement possible car son efficacité diminue avec le temps : l’idéal est de la prendre dans les 12 heures qui suivent le rapport.
Si le rapport date de plus de 5 jours, il faut orienter la patiente vers un médecin ou vers le planning familial.
J’aurais également demandé à la jeune fille si elle avait déjà pris la pilule du lendemain.
Je ne laisse aucun produit sortir de la pharmacie sans au moins une petite explication, même du Doliprane ou des pastilles pour la gorge.
Il est important de savoir que si des vomissements apparaissent dans les 3h qui suivent il faudra en reprendre une, peu de femmes le savent. Il peut y avoir également des tensions au niveau des seins.
La prise peut également décaler les règles suivantes de quelques jours, mais s’il y a un retard de plus de 5 jours il faut toujours faire un test.
Tout ça je le dis même si c’est le garçon qui vient, pour qu’il puisse éventuellement l’expliquer.
Oui, nous avons tous et toutes eu les speech de SVT un peu barbant, mais je fais un métier de conseil et de prévention en terme de santé publique !
Je pense que la pharmacienne a été maladroite dans sa façon de poser des questions à la jeune fille, mais il est important de toujours préciser que c’est une contraception d’urgence.
Il existe des femmes qui prennent la pilule du lendemain un peu trop facilement, et ce n’est pas bon pour le corps.
Sa prise doit rester exceptionnelle car il y a un fort dosage en hormones et que cela n’évite pas les grossesses à 100%.
Souvent je rassure la jeune fille en lui disant qu’un oubli ou un raté de capote ça existe et que c’est bien d’utiliser l’urgence à ce moment précis.
Je pense qu’ici la discussion est allée trop loin, mais souvent nous essayons d’en savoir un peu plus afin d’orienter, si besoin, la jeune fille vers d’autres professionnels de santé…
Mais en disant quelques mots, pas en faisant la morale.
Pilule du lendemain : je me suis sentie infantilisée
Là, la pharmacienne a commencé à m’expliquer en long en large et en travers que si c’était à cause de ma famille je pouvais la prendre de façon anonyme et gratuite.
Elle m’a noté des adresses, avec son ton condescendant au possible, j’avais l’impression d’avoir 8 ans. Et elle gardait le sachet hors de ma portée, en ne me laissant pas en placer une.
Je devais écouter son blabla que je connaissais, sur un problème que je n’avais pas (ma mère est ouverte à ça, merci bien).
Elle a même appelé un collègue en lui demandant de m’expliquer, j’ai donc eu droit au speech deux fois. Elle m’a dit de faire attention, que j’étais irresponsable.
Elle a finit par me donner mon FUCKING sachet en me sortant une phrase légendaire, toujours avec son ton condescendant et ses yeux qui me regardaient comme si il y avait écrit « pute » sur mon front :
— Et sinon, les préservatifs ça existe !
Oui. Je vous jure.
Je suis partie sans demander mon reste. Je ne m’en souviens plus mais je suis de naturel très poli alors j’ai dû dire merci et au revoir. Au total j’ai passé environ 20 minutes dans cette pharmacie.
Il est important de voir avec la jeune fille si elle a besoin de plus d’explications, il existe des flyers explicatifs, et il est aussi possible de lui proposer de revenir une prochaine fois pour en discuter plus calmement.
Il me semble que demander à un collègue de refaire l’explication, c’est trop.
On peut se poser des questions entre collègues pour avoir confirmation sur des spécificités liées aux médicaments et sur les marches à suivre, mais on ne refait pas toute l’explication.
Ici la pharmacienne est cassante.
Elle aurait pu expliquer qu’il existe des préservatifs sur ordonnance ou gratuits auprès du planning familial, et dans les infirmeries de certains lycées.
Et préciser qu’il faut utiliser un moyen de contraception mécanique durant les 15 jours qui suivent voir même jusqu’à la fin du cycle pour éviter tout risque de grossesse.
Je veux qu’on arrête de juger les femmes sur leur sexualité
Mon amie était atterrée devant mon récit, et moi j’étais, et je suis toujours, très énervée face à ça.
Cette dame m’a retenue plus que nécessaire et m’a cataloguée. Slut-shaming, quand tu nous tiens… Je n’imagine même pas comment se serait sentie une jeune personne plus fragile et paniquée à ma place.
J’aimerais que cela cesse. J’aimerais être libre de mon corps sans être jugée constamment. J’aimerais un corps médical et paramédical tolérant. Est-ce que c’est beaucoup demander ?
Je ne sais pas vraiment comment terminer cet article, mon intention était de dénoncer le slut-shaming qui sévit partout. Nous n’avons pas à subir ces conneries. Vous n’avez pas à subir ces conneries. Ce n’est pas normal.
C’est difficile de s’imposer face à une personne comme ça, et c’est peut-être difficile pour vous, mais ce n’est pas une raison pour que des personnes malveillantes nous bouffent.
Même si c’est juste « un petit peu », il n’y a pas de « ça vaaaa » qui tienne.
La délivrance de la pilule du lendemain est un exercice compliqué.
Il faut quand même entrer dans la vie personnelle et intime des patientes en face de nous, en faisant attention aux petites phrases qui paraissent anodines mais qui peuvent avoir un retentissement personnel.
J’ai également prêté serment, je ne me sens pas supérieure aux patients et patientes.
On sent parfois un regard et un jugement de la part des patientes et patients qui nous scannent de haut en bas, alors qu’on ne fait souvent que notre travail.
Je n’en ai rien à faire de la vie privée des inconnues, mais je dois poser des questions pour être la plus juste possible sur ma délivrance !
Oui, je pense qu’il existe certains soignants qui restent sur leurs idéaux et leurs jugements, qu’ils soient jeunes ou vieux.
Moi je considère que mon propre jugement doit rester chez moi : je suis dans mon rôle de conseil et de prévention en terme de santé publique.
À la fac on nous fait des cours et pendant les examens on doit tout ressortir, mais il est compliqué de ressortir ces cours au comptoir, cela s’apprend jour après jour.
Je pense qu’actuellement je n’ai pas la même démarche que juste après avoir obtenu mon diplôme.
J’essaye toujours de suivre ce plan :
- Demander de quand date le rapport
- Savoir si la personne connaît et si elle prend une autre contraception (pour lui donner des informations)
- Donner les explications concernant la prise de la pilule du lendemain
- Conseiller de prendre une contraception mécanique jusqu’à la fin du cycle.
Suivant les questions et interrogations de la patiente, je vais entrer dans les détails ou non. Les jeunes patientes veulent souvent vite se débarrasser de ce moment, d’autres se posent des questions sur la suite.
Nous sommes là pour y répondre, alors j’essaye de faire cette délivrance le plus simplement possible sans ajouter d’explications superflues. Il faut donner les bonnes informations au bon moment.
À lire aussi : On m’a refusé la pilule du lendemain, comment réagir ?
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Les Commentaires
(par contre j'avais pas compris dans le commentaire que la pharmacienne l'avait engueulé, du coup je comprend mieux !)