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Vénus s'épilait-elle la chatte podcast
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« Picasso était-il un fumier ? » et autres déconstructions proposées par cet excellent podcast

Pour la première fois de l’histoire du Paris Podcast Festival, trois prix ont été décernés au même programme : Vénus s’épilait-elle la chatte ? de Julie Beauzac. L’autrice y vulgarise l’histoire de l’Art avec une perspective féministe et s’interroge sur ses mécanismes de domination. Interview.

Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Comment l’histoire l’Art a-t-elle contribué à créer des représentations sexistes, racistes et empreintes de culture du viol ? Pourquoi les oeuvres classiques montrent toujours des femmes culs nus aux côtés d’hommes endimanchés ? Et comment ces représentations se retrouvent dans le cinéma ou la culture populaire d’aujourd’hui ?

C’est ce que Julie Beauzac, créatrice indépendante du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ?, s’attache à faire dans son programme qui déconstruit l’histoire de l’Art occidental et l’Art fait par et pour les hommes.

Armée de son expertise accumulée sur les bancs de l’Université de Nanterre et de l’École du Louvre, elle y décortique les mythes des grands artistes adulés et remonter le fil des biais culturels. Un travail colossal fait en solo, et très justement récompensé il y a quelques semaines au Paris Podcast Festival par trois prix.

Alors, Vénus s’épilait-elle la chatte ?

Interview de Julie Beauzac, créatrice du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte?

Madmoizelle : À la sortie du premier épisode en décembre 2019, j’étais là, au bar Bonjour Madame, pour la soirée de lancement. Quel chemin avez-vous parcouru depuis ?

Julie Beauzac : À cause du Covid, je me suis fait virer de mon job alimentaire qui m’avait permis de créer le podcast. Du coup, j’ai moins d’argent à y consacrer, c’est pour ça que j’ai créé un Patreon. J’ai également publié d’autres épisodes et puis je viens de recevoir trois prix au Paris Podcast Festival il y a deux semaines.

À cet événement chez Bonjour Madame, vous nous aviez fait passer des oeuvres classiques qui montraient l’absurdité et le sexisme des ces représentations : est-ce qu’on peut dire que c’est un peu ce que vous faites dans le podcast ?

Oui, bien sûr. L’absurdité n’est pas mon outil de travail principal, mais ça peut parfois aider pour mettre certaines choses en évidence. J’ai une formation en histoire de l’art, c’est la base pour faire ce genre de travail puisque c’est compliqué de déconstruire des choses qu’on ne connaît pas. Je me sers aussi de mes connaissances en féminisme.

« Vénus illustre très bien cette hypocrisie de l’histoire de l’art. »

Pourquoi ce titre ?

C’est ce qui m’est venu en premier, bien avant d’avoir imaginé le podcast. Je ne savais pas vraiment pourquoi, et en y réfléchissant, je me suis rendue compte que ce titre avait beaucoup de sens.

Vénus, c’est la déesse de l’amour et de la beauté, c’est celle qui pousse les êtres humains à se reproduire. C’est une des femmes les plus représentées dans la société occidentale. Elle a servi de prétexte à des époques où l’immense majorité des artistes étaient des hommes et ne pouvaient pas représenter des femmes lambda à poil. C’était une excuse pour montrer des femmes dénudées, parfois à leur insu, qui correspondaient aux critères de beauté de l’époque.

Et comme l’un des critères de beauté contemporain, c’est l’épilation, je trouvais ça marrant de se demander si elle s’épilait la chatte, sachant qu’on a toujours représenté Vénus glabre.

Il y avait ce « tendance » du grand Art à montrer seulement des déesses mythologiques ou des sujets inspirés de la littérature et de la religion, pour les idéaliser. On voulait faire des oeuvres qui émoustillaient le regard masculin, mais on faisait en sorte que les femmes qui y figuraient ne soient pas trop humaines, ni trop réalistes. Vénus illustre très bien cette hypocrisie de l’histoire de l’art.

Antonio María Esquivel, "Joseph et la femme de Putiphar", 1854
Antonio María Esquivel, Joseph et la femme de Putiphar, 1854. Oeuvre représentative « du mythe ancestral de la femme fatale et nocive »

L’épisode sur Picasso, dans lequel vous déconstruisez un peu le mythe du personnage, a beaucoup fait parler de lui. Les gens étaient-ils surpris de ce que vous y dites ?

Oui, les gens étaient surpris… Ces informations-là existent, je n’ai rien inventé. Elles sont notamment disponibles dans le livre d’Arianna Huffington qui date des années 1980 (ndlr : Picasso : créateur et destructeur).

J’ai été surprise que ces infos n’étaient pas connues de plein de gens alors que ce ne sont pas des secrets. Je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte de silenciation autour de ça. La journaliste Sophie Chauveau, que j’ai interviewée pour l’épisode, m’a par exemple confié que son livre, Picasso : Le regard du Minotaure, n’était pas vendu dans tous les musées Picasso. C’est dommage.

« Ce n’est pas un travail qui naît de l’énervement, je ne suis pas là pour insulter Picasso. »

Quel cliché de l’industrie de l’art vous agace le plus ?

Quand je reçois des messages de personnes qui n’ont, a priori, pas écouté mes podcasts et me disent que c’est de la cancel culture, que je plaque des idées contemporaines sur des oeuvres et des artistes anciens, etc. Ce sont des choses qu’on ne dit pas qu’à moi : on les dit à toutes les personnes qui essayent de faire un travail d’analyse au prisme du féminisme.

C’est de la mauvaise foi et de la méconnaissance car tout ce que je dis est sourcé, documenté et disponible sur mon site à la fois pour les personnes malentendantes, mais aussi pour donner accès à toutes les sources des épisodes. Ce n’est pas un travail qui naît de l’énervement, je ne suis pas là pour insulter Picasso.

Ça me semble simplement important de prendre conscience que l’histoire de l’art, comme n’importe quelle création culturelle occidentale, a largement contribué à établir le point de vue masculin et la culture du viol comme étant la norme. Malheureusement, on en est toujours là.

Il y vraiment chez ces personnes une peur panique de remettre les choses en question et de perdre du pouvoir.

Qu’est-ce que vous répondez aux personnes qui vous disent qu’il faut séparer l’oeuvre de l’artiste ?

Rien. Je trouve que ces débats-là ne sont pas des débats. Pour moi, c’est une sorte de mécanisme de défense chez ces personnes, qui vise à nous déconcentrer, à nous faire perdre notre temps.

Quand on veut créer un vrai débat, on ne s’attaque pas avec mauvaise foi à un travail sans en avoir pris connaissance. Mon podcast, c’est beaucoup de réflexions, ce ne sont pas des élucubrations sorties de derrière les fagots.

Vous avez récemment reçu les prix du podcast d’apprentissage, prix de la révélation Radio France et prix public d’Ausha au Paris Podcast Festival : vous vous y attendiez ?

Non. J’ai été nominée dans deux catégories, ce qui est déjà exceptionnel. Je m’étais dit que si j’en avais un, ça serait super. Donc j’étais un peu abasourdie. On m’a dit que ce n’était jamais arrivé dans l’histoire du Paris Podcast Festival.

Ce podcast, je le fais toute seule dans mon coin. J’ai fait l’épisode de Picasso sans aucun financement. Donc j’ai été très touchée, c’est une forme de reconnaissance à la fois du public et d’un jury de professionnels.

Ça m’a quand même fait bizarre car je n’appartiens pas vraiment à ce milieu du podcast parisien, un peu dans l’entre-soi. J’ai eu pas mal d’attention de la part des médias après le festival, c’est déroutant.

J’ai passé six mois en pyjama à m’arracher les cheveux à mettre en forme certains épisodes et maintenant je suis sollicitée pour participer à des émissions et à des interviews… C’est bizarre, j’aime travailler dans l’ombre. Je ne fais pas un podcast pour rien ! Je n’aime pas trop me montrer. J’aimerais bien retrouver un peu de sérénité et me remettre à travailler.

Vous déconstruisez l’Art sous prisme sexisme, le faites-vous aussi sous celui du racisme ?

Je ne suis pas la plus légitime à parler de ça parce que je suis blanche donc ce ne sont pas des oppressions qui me concernent. Mais évidemment, tout est lié. Le féminisme blanc, ce n’est pas mon féminisme.

J’ai fait un épisode très vaste sur le regard blanc dans lequel j’ai invité Naïl Ver-Ndoye, co-auteur avec Grégoire Fauconnier de Noir, entre peinture et histoire. Ce sont des choses qu’il me semble important d’aborder dans ce cadre-là, mais je ne me sens pas légitime. J’ai parlé de ces questions dans cet épisode, j’en parlerai sûrement dans un épisode sur l’orientalisme avec un ou une invitée concernée qui a une analyse critique, anti-raciste et décolonisée sur le sujet.

Il y a le podcast La Couleur de l’Art qui parle très bien de décolonisation de l’Art.

« Il n’y a aucun studio de podcast qui accepterait d’investir dans six mois de travail à temps plein sur un seul épisode, comme je l’ai fait pour celui sur Picasso. »

Vous vous êtes lancée cet été sur Patreon,  une plateforme de financement participatif. Pourquoi ?

Ce qui m’a permis de continuer le podcast quand j’ai été licenciée, c’était le chômage. Mes droits se terminent bientôt et je n’ai pas du tout envie d’être produite par des studios de podcasts. Mes épisodes existent parce que je n’ai aucune contrainte de temps, d’audience et de budget. Bon, je paye les gens qui participent au podcast de ma poche, ce qui est une contrainte financière pour moi.

Il n’y a aucun studio de podcast qui accepterait d’investir dans six mois de travail à temps plein sur un seul épisode, comme je l’ai fait pour celui sur Picasso. Mais cet épisode était aussi fouillé parce que je n’avais pas de deadline. Je ne sors pas un épisode tant que je n’en suis pas contente.

Patreon, c’est une garantie d’indépendance. Ce sont les personnes qui écoutent le podcast et qui ont les moyens et l’envie de le soutenir qui me suivent sur cette plateforme et m’aident à avoir un revenu minimal.

Soutenez Vénus s’épilait-elle la chatte ? sur Patreon

Récemment, Mediapart a mis en lumière la précarité dans le milieu du podcast. Est-ce que ça résonne avec votre expérience ?

C’est difficile de travailler dans des conditions où un studio de podcast te fixe un objectif d’écoutes. Je ne les blâme pas, ce sont des entreprises. Mais l’article explique aussi que les employées de ces studios signent beaucoup d’arrêt maladie et sont épuisés. Et je les comprends.

Avec mon podcast, comme les financements ne viennent pas de sponsors ou de la publicité, il n’y a pas ces contraintes d’écoute. Vénus… est très écouté, et ça dépasse toutes mes espérances, mais ce n’est pas un critère pour moi. Ça serait rentrer dans une logique hyper capitaliste qui n’est pas compatible avec le processus de création sur le temps long.

Vous avez des projets dans les tuyaux ?

Oui, j’ai deux épisodes en tête et j’ai un Google Doc avec une cinquantaine d’idées : j’en ai pour des années !

Et puis comme le podcast ne me rémunère pas beaucoup, je développe des activités parallèles de conférences et de cours. Je suis en train de faire les démarches pour obtenir une carte de guide conférencière pour faire des visites guidées féministes dans les musées.

L’idée ne vient pas de moi. C’est une auditrice qui m’a écrit en me demandant de donner une visite pour l’anniversaire de sa soeur. Et je me suis dit, pourquoi pas ?

Avez-vous des podcasts à recommander sur la déconstruction de l’histoire de l’Art ou de la culture en général ?

Dans le paysage français, il n’y en n’a pas beaucoup. Je recommande le podcast What a creep, ce sont deux meufs marrantes qui parlent des hommes célèbres qui étaient en fait de grosses ordures. C’est très instructif !

Sinon j’adore le podcast Dans le genre de et Kiffe ta race qui a fait un super épisode sur l’Art.

Est-ce que vous avez un ou une artiste en tête qui déconstruit les normes de l’Art ?

J’adore le travail de Nanténé Traoré qui met en scène l’intimité et la tendresse du quotidien, mais pas celui qu’on a l’habitude d’associer au Grand Art. En ce moment, il fait toute une série sur les injections de testostérone. Il écrit aussi, notamment dans l’ouvrage Nos amours radicales. J’adore son boulot !

Retrouvez tous les épisodes de Vénus s’épilait-elle la chatte sur toutes les plateformes d’écoute et soutenez Julie Beauzac sur Patreon !

À lire aussi : « L’amour a une place centrale dans ma vie » : Victoire Tuaillon met son coeur sur la table en interview

Crédits photos : Anna Wanda Gogusey pour Vénus s’épilait-elle la chatte ?


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.

Les Commentaires

3
Avatar de PingouinMasque
8 novembre 2021 à 18h11
PingouinMasque
J'ai découvert le podcast grâce à Manon Bril et son épisode animé sur Picasso.
Ces nanas sont des boss.
0
Voir les 3 commentaires

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