Je viens de Picardie. De l’Aisne, plus précisément. Je suis née là-bas, j’y ai grandi. J’ai râlé, souvent, parce qu’adolescente, j’avais vraiment très envie de vivre dans une grande ville, mais j’y ai été très heureuse. J’y ai fait mes premiers pas, j’y ai mangé mes premiers bouts de fromage, j’y ai grandi, j’y ai vécu mes premiers émois amoureux, mes premières déceptions aussi, j’y ai passé mon permis, j’y ai eu mon bac, j’y ai souffert de rages de dent… J’y ai grandi et vécu, ouais. J’ai vécu en Picardie jusqu’à mes vingt-trois ans, date à laquelle j’ai emménagé à Lille pour deux ans avant de partir pour Paris. Je pense ne pas trop m’avancer si je dis que je connais plutôt très bien cette région.
Oh, et j’ai oublié de vous dire : je ne suis pas encartée, mais je suis de gauche. J’ai le coeur à gauche. Je vote toujours à gauche.
Ça c’est la vue quand on sort du jardin de la maison où j’ai grandi. J’aime bien.
Dimanche, au premier tour des élections régionales, la Picardie, ma Picardie, a voté pour Marine Le Pen. Pas toute la Picardie : 42% des votants. 42% des votants se sont déclarés pour des valeurs contraires aux miennes, à celles qu’on m’a inculquées, dans lesquelles j’ai été élevée.
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Et tu sais ce qui m’emmerde le plus ? Je veux dire, au-delà du fait que je sais maintenant que 42,2% des votants de la région qui m’a vu grandir avaient voté pour Marine Le Pen et donc pour une France totalement différente que celle que j’aime et de celle dont je rêve ? Ce qui m’emmerde le plus, au-delà de ça, c’est que ça donne une raison de plus aux gens qui sont d’ailleurs de se moquer et de faire preuve de condescendance.
Une raison de plus de se moquer…
Bien sûr, tout le monde n’est pas comme ça ! Tout simplement parce que si on avait tous le même rapport à la région des autres, ce serait fort de café. Si on veut résumer le bousin, je dirai qu’ils se distinguent plusieurs catégories de personnes :
- ceux et celles qui se fichent pas mal de la région native des autres
- ceux et celles qui aiment bien faire des blagues sur la région native des autres mais en prenant garde à ne le faire qu’en présence de gens que ça ne dérange pas, et qui réussissent, d’une certaine façon, à ne pas être offensant dans l’humour
- ceux et celles qui s’en foutent d’être blessant
- ceux et celles qui pensent qu’on ne peut être drôles qu’en étant blessant ou méchant.
Il se trouve que la Picardie, elle est, comme le Nord Pas-de-Calais, ou comme les Vosges, entre autres, une des régions de France les plus facilement moquées. Quand je dis que je viens de Picardie, j’ai souvent droit à des airs surpris (mais t’as pas l’accent ?), à de la compassion (wow, ça a pas dû être facile), ou à l’air amusé de l’humain qui va lâcher une vanne (et puis y a aussi des moments où on se contente de me dire « ok ! » d’un air indifférent, voire curieux). Et cette vanne, elle peut-être marrante, mais elle peut aussi bien trop insultante. Les trucs qui font vraiment mal, qui sont désobligeants, concernant la Picardie, ce sont selon moi les jugements vilains sur ses habitants, à base de supposés beauferie, inceste, alcoolisme, pédophilie, consanguinité et illettrisme.
L’humour facile sur les clichés liés à la Picardie ne me fait plus rire.
Ça ne me fait plus rire. En-dehors d’un contexte précis (dans l’intimité, avec des gens dont je connais le sens de l’humour et que je sais penser l’inverse de ce qu’ils disent), je ne supporte plus ça, et je pense vraiment qu’on devrait y aller mollo sur la déconne de ce genre. J’y vois plusieurs raisons (avec la Picardie comme avec les autres régions).
Déjà parce que c’est méprisant : l’humour qui oppose les gens entre eux, qui définit un type de personnes comme moins bien qu’un autre, pour une raison de géolocalisation géographique, parce qu’ils sont peut-être pauvres, parce qu’ils n’ont peut-être pas reçu l’éducation de la ville, parce que leur accent sonne comme un marqueur social… cet humour là, il craint, au fond. Cet humour là, il estime savoir qui est supérieur ou inférieur, qui vaut le coup d’être respecté ou pas.
Mais en plus, franchement… L’inceste, la pédophilie, l’alcoolisme, ce sont pas franchement des sujets à se tordre le fion de rire. Ça brise des gens et des familles.
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Moi-même, je l’ai fait ! Je me suis moquée, j’ai fait des vannes, sur la consanguinité, sur l’illettrisme, sur l’accent. Pourquoi ? Justement pour anticiper les moqueries, les vannes, sur la consanguinité, sur l’illettrisme, sur l’accent, notamment quand je dis que je viens de là-bas à quelqu’un qui est d’ailleurs et qui a peut-être des préjugés. J’ai finalement fait avec ma région natale comme j’ai fait avec moi : j’ai fait bouclier.
Et moi, ma région, je l’aime !
Et franchement, j’en ai marre de renier l’endroit où j’ai grandi en bloc, en excluant du lot uniquement les membres de ma famille. C’est bien trop facile, d’agir ainsi. Je vais cesser de faire ça. Parce que non seulement, c’est pas gentil, mais qu’en plus, si l’interlocuteur à qui j’adresse ces plaisanteries-bouclier me prend au sérieux, ça ne fera que faire un peu plus du mal à l’endroit d’où je viens. Je me souviens, quand j’étais petite, j’avais rencontré des copines des quatre coins de la France en vacances et je leur avais dépeint la Picardie tellement négativement que, quand elles sont venues, elles m’ont presque remonté les bretelles. « Mais c’est cool en fait ! »
Le Château de Pierrefonds.
Alors je vais m’adresser directement à la Picardie comme si c’était une personne et j’vais lui dire, Bébé t’as rien d’un endroit pourri. Ok, 42% de tes votants ont mis un bulletin Front National dans l’urne et sont donc potentiellement lepénistes, et il faut pas se voiler la face là-dessus. Mais pour continuer à t’aimer, je vais faire un truc qui va me rappeler que je t’aime. Je vais lister tout ce qui est beau, tout ce qui me fait plaisir, tout ce qui me met en joie chez toi :
- déjà, t’abrites une partie des gens que j’aime le plus au monde, hashtag sisi la famille. Mon amour est gagné d’avance rien que pour ça
- ainsi que mon chien
- ta ficelle Picarde. De la crêpe, de la béchamel, des champignons et du jambon, c’est la recette de l’amour
- tes festivals. Les Vers Solidaires, le Picardie Mouv, avec toujours des ambiances au poil, des sandwichs et de la bonne programmation
- le Carrousel sur la place de l’Hôtel de Ville de Chauny, qui est là en période de Noël et que j’ai aimé tellement fort quand j’étais petite que j’ai toujours un petit peu le coeur serré quand j’y repense
- les serveurs qui serrent la main
- l’accent. J’aime bien, les accents
- le couple de personnes âgées qui passaient tous les samedis après-midi à ma caisse quand je travaillais à l’hypermarché du coin, même s’il y avait de l’attente, et qui étaient si gentils et si souriants et si adorables et si mignons que j’avais envie de les prendre dans mes bras chaque fois
- la forêt, qui sent toujours les champignons (et je parle pas de mycose (j’adore l’humour))
- les champs partout, le repos, les terrasses, les pelouses, le vert partout
- le château de Pierrefonds, qui est le plus beau du monde
Cauet- le gros arbre que je vois de la fenêtre de ma chambre
- les gens qui créent des associations pour aider ceux qui ont moins qu’eux
- les gens qui font preuve de solidarité, parce que c’est normal d’aider le voisin (je dis pas que ce n’est pas le cas ailleurs)
- mon ancien médecin traitant, qui riait toujours à mes blagues
- mes anciens profs et l’encadrement scolaire qui ont tous participé, d’une façon ou d’une autre, à ce que je devienne la personne que je suis
- le premier album de Britney Spears. Je l’ai laissé dans ma chambre, à côté de mon vieux walkman
- tous les souvenirs, d’enfance et d’adolescence
- la joie que je ressens dans le train chaque fois que j’y retourne pour un week-end ou quelques jours.
Et ça, c’est le château de Coucy.
Si tu viens d’une région qui a voté pour le FN, viens, on se promet de pas la renier, pour pas rajouter encore plus de bordel et de négativité.
Je vais pas commencer à dire que je suis fière d’être Picarde… Ça me semblerait bizarre, d’être fière d’un truc alors que j’y suis pour rien. Je suis née là, j’ai grandi là, je suis pas responsable de ça. Mais une chose est sûre : je refuse d’avoir honte de ma région.
Si toi aussi, ta région natale, celle où tu as grandi, a voté en majorité pour le Front National et c’est contre tes valeurs… Bah viens, on se promet de pas la renier, pour pas rajouter encore plus de bordel et de négativité. On se promet de ne pas oublier les autres, ceux qui nous ressemblent à l’intérieur et dans l’isoloir, ceux qui vivent toujours là-bas et auront sûrement à gérer des politiques régionales difficiles à avaler pour eux. C’est la moindre des choses à faire pour soutenir les gens qui y sont restés, et qui se battent pour l’unité, l’humanisme, la solidarité, la culture, la santé, les droits des femmes et des LGBT.
Et pour te remonter le moral, fais comme moi, en te souvenant de tout le reste, de tout ce qui est beau chez toi. Tu verras, ça fait du bien, ça donne envie d’être un peu là pour elle.
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Les Commentaires
J'avais très envie de troller sur cette article et te parler du livre d'Eddy Belleguelle (https://fr.wikipedia.org/wiki/En_finir_avec_Eddy_Bellegueule) pour te parler de la Picardie dans laquelle j'ai grandi ou encore de la section fait divers du Courrier Picard mais j'ai changé d'avis.