— Article initialement publié le 9 mai 2015
Vendredi dernier, j’étais invitée à la crémaillère d’une amie. Après ma journée de travail, j’ai donc décidé d’aller inaugurer ce nouvel appartement parisien. Mon verre à la main, j’étais plutôt disposée à échanger avec autrui, je dirai même « guillerette » à l’idée de festoyer (oh dis donc !). Pourtant, j’ai rapidement déchanté, me confrontant encore et toujours à un bon nombre de clichés sexistes.
Mise en situación lorsqu’une personne inconnue vient me taper la causette :
— Salut ! Tu fais quoi dans la vie ? — Je travaille chez madmoiZelle.com, tu connais ? — Ah bah non ça risque pas ! Je suis un mec donc le maquillage ça ne m’intéresse pas trop… — Euh… effectivement on a une rubrique beauté, mais le magazine ne se résume pas uniquement à ça. On fait aussi des articles sur la pop-culture, la société, l’actualité, l’humour… On a une ligne éditoriale engagée, voire féministe !
BIM BAM BOUM. Féministe. J’avais prononcé le mot interdit (genre comme Voldemort mais en piiiiiire). Un débat s’est rapidement installé au sein de la soirée, de nombreuses personnes autour de moi ont tenté de me convaincre que « le sexisme, ça n’existe plus ! » et j’ai pu prendre conscience (à mes dépends) que certaines idées étaient profondément ancrées dans le cerveaux de mes concitoyen•ne•s.
Une méconnaissance du féminisme
La première réaction qu’a eue ce jeune homme en apprenant que je bossais pour madmoiZelle a été :
« T’es féministe ? Ah ouais donc t’es une FEMEN alors ! Vas-y, montre-moi tes nichons ! »
Bon.
On peut se considérer comme féministe mais ne pas se reconnaître dans le mouvement FEMEN. Il n’y a pas UN féminisme et mais DES féminismes. Par exemple, en politique, on peut avoir des convictions mais ne pas toujours adhérer aux idées de certains partis. On peut être de gauche sans être communiste : eh bien là, c’est pareil. Ce n’est pas parce que nous adhérons au même socle idéologique, que nous dénonçons les mêmes problèmes, que nous sommes d’accord sur la manière de changer les choses. Il y a une multitude de courants, et si les FEMEN sont des féministes, toutes les féministes ne sont pas des FEMEN.
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Toutefois, je tiens quand même à signaler un point. La seule chose que semble avoir retenue ce jeune homme du combat des FEMEN, c’est le fait qu’elles « payent leurs nichons ». Il ne m’a pas interrogée sur les idées soulevées par ce mouvement, mais m’a uniquement interpellée sur leur poitrine !
Cet élément nous rappelle le phénomène d’objectification, ou réification en bon français (Lady Dylan en parle bien mieux que moi dans cet article) : dans les médias, la publicité, la littérature et bien d’autres domaines, les femmes sont régulièrement considérées comme des objets. Cristallisant un désir, elles sont régulièrement affichées dénudées, dans des positions lascives pour vendre des produits ou nous divertir.
Comment vendre de l’eau pétillante ? Avec une femme à poil, bien sûr Jamy !
Dans son ouvrage Petit traité contre le sexisme ordinaire, Brigitte Grésy nous dit « en toutes circonstances, même les plus officielles, les hommes, on les écoute ; les femmes, on les regarde ». La discussion que j’étais en train d’avoir avec ce mec semblait être l’incarnation de cette citation : j’avais beau tenter de discuter, mon propos avait peu d’importance, le point central semblait être « Hey ! T’as des seins, lol » ! Cette même personne qui essayait de me prouver que le sexisme n’existait pas, tenait (sans s’en rendre compte) des propos profondément sexistes…
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Variante du même type déjà entendue en société :
« Ah ? Donc tu détestes les hommes ? »
ATTENTION SPOILER : non, les féministes ne détestent pas les hommes ! Les féministes réclament seulement l’égalité, c’est-à-dire être considérées comme l’égal d’un homme — ni mieux, ni moins bien.
Le sexisme, un problème systémique
Me voilà lancée, à mes risques et périls, dans un débat avec un groupe présent à la soirée. Une bonne partie des participant•e•s à la conversation semblait ne pas reconnaître le caractère systémique du sexisme et utilisaient ce type d’arguments :
« Je peux pas être sexiste, j’ai grandi avec deux femmes. »
« Je ne peux pas être sexiste, je suis une femme ! »
Quand on parle de personne tenant des propos sexistes, on a souvent l’image d’un mec macho qui dirait d’un ton agressif « Femme, fais la vaisselle ! ». Cependant le sexisme ne se limite pas à cette grossière caricature : il s’inscrit dans une réalité beaucoup plus pernicieuse.
Même si l’éducation joue un rôle primordial et que le fait d’être une femme ou d’avoir grandi auprès de diverses femmes peut aider à casser certains préjugés, le problème est plus global.
Nous vivons dans une société patriarcale, au sein de laquelle nous recevons une éducation genrée : les garçons jouent aux petites voitures et les filles à la poupée, pour prendre l’exemple de base. Les hommes doivent transpirer la virilité, cacher leurs émotions et surtout ne jamais pleurer, quand les femmes doivent être jolies, fragiles et émotives. Ces différences ne sont pas inscrites dans notre ADN : elles sont le fruit d’une construction sociale.
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En attribuant des qualités différentes aux hommes et aux femmes, nous créons une sorte de hiérarchie entre genres, plaçant les hommes en position de dominants. Tout ce qui touche à la féminité est souvent victime de raillerie : « c’est un truc de gonzesse », « je ne suis pas une femmelette »… alors que les qualités « masculines » sont régulièrement valorisées. Un garçon qui adoptera un comportement considéré comme « féminin » inquiètera ses parents alors qu’une fillette championne de foot sera vu comme débrouillarde et sportive — quoiqu’un peu « garçon manqué », attention !
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Ces éléments ont tellement été assimilés par notre subconscient que cette organisation sociale n’est que très peu remise en cause. Ainsi, on peut TOU•TE•S, sans s’en rendre compte, tenir des propos sexistes.
En tant que femme, j’ai moi-même des réactions empreintes de clichés. Par exemple, à chaque fois que je vois Cy. manier la perceuse comme personne, je suis super-impressionnée. Alors qu’à l’inverse, si je vois mon mec galérer pendant des heures à monter une étagère, je vais le gratifier d’un très affectueux « TU ES NUL ».
Comprendre ce qu’est le patriarcat et tâcher de déconstruire sa pensée, c’est déjà faire un énorme pas en avant dans la lutte contre les inégalités.
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L’illusion du sexisme inversé
Après avoir tenté de déconstruire en vain la société patriarcale, j’ai été confrontée à un nouvel argument : le sexisme inversé.
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« Si une fille se fait agresser, en tant que mec on va attendre de moi que j’aille la défendre, c’est du sexisme ! »
Alors déjà, je décernerai la palme de l’égocentrisme à cette personne. Pour moi, le problème n’est pas « Oh mon Dieu ! Il faut encore que j’aille secourir une demoiselle en détresse », mais le fait que tant de femmes sont encore victimes d’agressions.
Le quotidien de Belle (qui s’en sort « plutôt bien » cette fois-ci).
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Avant de plaindre « les sauveurs », je préfère exprimer ma compassion envers les victimes. Toutefois, je peux totalement concevoir qu’un mec ne soit pas forcément plus costaud, plus courageux et/ou plus apte à se défendre qu’une femme. C’est encore une fois le filtre de la société patriarcale qui offre aux hommes cette position dominante, laissant entendre qu’ils pourront protéger « les pauvres demoiselles en détresse ».
Si tu n’es pas d’accord avec ça, nous sommes tout simplement du même côté. Mais dans ce cas, c’est admettre que tu es l’égal d’une femme : ni mieux, ni moins bien (et ce, dans toutes les situations).
Cependant, attention, cet argument n’est pas une carte que tu peux invoquer uniquement quand cela t’arrange. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de passer sa journée à appeler ses amies « petits culs », à continuer d’entretenir de nombreux clichés, et lorsque c’est le moment d’aider une jeune femme en difficulté, de brandir une pancarte disant « bubububu la société patriarcale me martyrise »…
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Petit bonus (véridique) entendu en soirée :
« T’es féministe ? Ah du coup tu baises jamais ? »
À ce niveau, j’ai préféré répondre que « non, ça ne m’arrive effectivement jamais ». Pour tous ceux/celles qui se posent réellement la question, je vous invite à remonter au point n°1 de mon article.
N’ayant pas encore évacué mon stock de petites phrases chatoyantes entendues en soirée et me retrouvant régulièrement muette face à tant d’hostilité à mon égard, je vous annonce dès à présent que cet article aura une suite ! Joie et cotillons.
Et vous ? Quelles sont les phrases les plus sexistes que vous avez entendues en soirée ? Quels sont vos arguments pour les contrer ?
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On a hâte de vous lire !
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