La dernière fois, en discutant avec la petite soeur de mon pote, mes 23-ans-bientôt-24 me sont revenus en pleine gueule. Il faut dire que je pense encore naïvement être au fait de l’habitus des 12-15 ans, mais la réalité, c’est que j’y comprends de moins en moins de trucs. La petite soeur de mon pote (coucou petite tête, comme promis je ne te cite pas « pour pas que tu te tapes la honte » mais tu te reconnaîtras, je sais que tu me lis) me contait une sombre histoire de « situation abusée » où « sa meilleure srabinette » avait dû « galocher un pecno » parce qu’il lui avait « payé un monaco » dans le PMU en face du collège. Je lui ai donc dit…
– Mais elle était pas obligée ! – Bah si, ça aurait été chaud sinon. – (l’air inquisiteur) Pourquoi ? il lui avait pas dit « un verre en échange d’une galoche », quand même ? – (blasée) Bah non mais bon. c’était pour être polie. – (effarée) « merci » ça aurait suffi, non ? – Ouais mais elle avait pas demandé à avoir un monaco. – Et pourquoi elle l’a bu alors ? Il ne l’y a pas obligé, j’espère ? – Bah elle était stressée avant son exposé, elle aime pas parler devant tout le monde, et tout. Donc elle voulait boire un peu. – Ah. OK.
Cette discussion (dont je ne vous ai livré qu’un extrait) m’a d’abord semblé illogique, mais après mûre réflexion, je crois que le mot n’est pas « illogique » mais juste « conforme à une logique qui me dépasse ».
Pour me sentir moins à l’ouest, j’ai donc essayé de me souvenir des terminologies que j’utilisais, et que les jeunes d’aujourd’hui utilisent encore. Un peu pour me rassurer et me dire que nos jeunesses ne sont pas si différentes. Voilà l’objet de ce papier : ces phrases que tu ne prononces plus depuis 10 ans. Laissez-moi faire s’il-vous-plaît, ça me fait du bien.
« Mon intercalaire est cassé »
Des intercalaires en carton (moi j’étais plus team intercalaires en plastique) (bourgeoisie, tout ça)
Intercalaire, quoi ! Ce mot que tu ne prononces plus jamais après le bac. Même en classe prépa où organisation et persévérance sont les maîtres mots de ta scolarité, plus personne ne se ramène en classe avec des intercalaires. Bravo la jeunesse. Il nous aura fallu 10 ans avant de comprendre que les feuilles volantes, c’est bien plus léger qu’un classeur tout entier – et ce, quitte à tout ranger ensemble une fois la maison. Sérieusement, intercalaire, quoi. Le mot qui te fait penser à un os chelou.
– Zut, Mathieu s’est cassé l’intercalaire sur une piste noire.. – Oh non l’intercalaire, quoi !
Parlez-moi des oeillets, tant que vous y êtes. L’élément de tes fournitures scolaires qui ressemble le plus à des pansements.
Et je dis pas ça pour rester dans la thématique médicale.
« Il nous prend pour ses bouche-trous ou quoi ? »
Aujourd’hui, quand quelqu’un avec qui tu n’as pas l’habitude de chiller près de la machine à café vient te parler, tu trouves ça « étonnant », « surprenant », « sympathique ». Mieux : tu qualifies ton nouvel interlocuteur d’avenant (c’est vrai que ce serait con d’être dans la même option / de bosser dans la même équipe sans s’échanger quelques mots quand même). Bref, tu discutes volontiers avec la dite personne, enthousiaste et ravie d’apprendre à la connaître un peu plus qu’en septembre dernier.
Au collège, cette logique ne marchait pas. Souvenez-vous comme on faisait flipper à l’époque : on croyait dur comme fer que les groupes devaient se former avant début octobre maximum, et pire, après décembre, un « changement de groupe » était forcément mal perçu (« il s’est fait tèj ou quoi ? »)
Cette logique de clans nous obsédait tellement qu’à chaque rentrée, on avait méga peur de ne pas se retrouver avec nos copains de l’année dernière, d’avoir que des « ploucs » dans notre classe ou de commencer à traîner avec ceux avec qui il ne fallait pas. D’ailleurs, se retrouver au volley dans un groupe déjà soudé, c’était le drame. Limite on allait voir le prof d’EPS à la fin du cours pour demander à être avec Fanny et Clémence. AU SECOURS.
Dans tout ça, quand une fille venait voir un groupe de filles avec lequel elle ne « traîne pas d’habitude », le lever de boucliers était presque systématique, mode présomption de culpabilité enclenché : « qu’est-ce qu’elle nous veut ? », « elle a plus de potes ou quoi ? », la meilleure phrase étant « elle nous prend pour ses bouche-trous ? »
Ceci est un extrait de Skyblog :
N’ayez pas peur.
« T’aurais pas une cartouche ? »
Le mot cartouche me fait aujourd’hui davantage penser au coït qu’à une recharge d’encre bleu Reynolds mignonne. Genre « ils ont quitté la boîte ensemble, il lui a mis une cartouche ou quoi ? » Tristesse. N’empêche : une cartouche, quoi. Même la boite ressemble à un paquet de 3 préservatifs achetés en distributeur.
Bon et sinon, qui écrit encore au stylo plume ? Je me demande si j’en serais encore capable aujourd’hui.
Je suis un peu nostalgique, en fait. Le fil conducteur de ma vie scolaire a longtemps été la problématique du stylo-plume, de l’encre et des effaceurs. Ma matière préférée, c’était le français, alors avoir des outils confortables pour l’exercice de la dictée et des rédactions, c’était primordial.
Ma mère a longtemps participé à l’effusion de joie que supposait chacune de mes rentrées en acceptant de me payer un nouveau stylo plume. J’étais d’ailleurs tellement attachée à cette symbolique que pour signifier « mon passage à l’âge adulte » (foutaises, je ne faisais qu’entrer en seconde), j’avais troqué mon stylo plume Inoxcrom rose (un de ceux-là, mais version mini) pour un sobre Parker gris métal. Trop mature.
« J’vais en études. »
La phrase la plus absurde du monde, quand on sait que la plupart du temps, personne n’y allait pour ÉTUDIER. Réviser ses déclinaisons de latin ou avancer sur son problème de maths ? Plutôt mourir. On préférait s’adonner à une autre activité très surfaite : « écrire un mot dans l’agenda de sa copine ». L’égocentrisme et la construction sociale à son maximum. COMME SI on allait y écrire « Mélissa, c’est vrai que tu pues de la gueule. Mais t’es sympa » ! Non, en réalité : griffonner « Mélissa, t’as de trop beaux cheveux. Big bisous bien baveux » était beaucoup plus socialement accepté.
Tout ça pour dire que je suis bien contente que le concept d’études ou permanence ne me soit plus imposé. Aujourd’hui, quand un cours / un rendez-vous est annulé, on a le droit d’aller boire des cafés en face jusqu’à en avoir des palpitations au coeur. Ou fumer des clopes. Pour préserver notre droit inaliénable à se faire mal au corps.
« Il lui a demandé ou elle lui a demandé ? »
(sous-entendu « de sortir avec »). Une copine me disait récemment :
« Je regrette cette époque où l’on devait se DEMANDER officiellement. Au moins, c’était clair : un râteau ou un bisou, et hop on était fixés »
C’est vrai que pour ma dite copine, les choses sont citadinement peu simples : elle va au resto avec ce type, dort et fait ce qui s’ensuit avec ce type, se balade avec ce type. Pire : ce type lui dit « tu me manques » (mais pas « je t’aime »), lui offre des bouquins (mais pas des fringues, c’est « trop personnel »), lui dit en souriant « t’es jolie » (mais pas « t’es belle » comme s’il allait crever sur place). Bref. Ce mec, elle ne sait pas si c’est SON mec. Et parfois, elle aimerait bien lui dire « hey, tu veux sortir avec moi ? » pour enfin savoir si c’est normal qu’elle ne mate plus le serveur quand on va boire des bières et si c’est pas chelou qu’elle ait parfois envie de voir CE MEC juste pour un câlin, pas un truc sexuel.
OK, je comprends ce point de vue. N’empêche que : se demander, quoi ! Y’a pas plus mécanique, froid, cérémonieux, ridicule, flippant, pas naturel, aseptisé, procédural ? C’est hyper gênant, comme concept.
Mais je dis peut-être ça parce que je fais partie de cette espèce pour qui il a suffi d’un baiser sur le quai d’une gare pour que la messe soit dite. Détestez moi. Pour ce dernier paragraphe, je vous offre le droit de me trouver aussi insupportable que disons Hannah Montana en sarouel violet, assise sur le sable, pieds nus, des tongs à moins d’une mètre de son corps, une guitare sèche à la main.
Attendez, faut que je trouve une photo.
…
..
.
Ah bah voilà.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires