Le Rescued Film Project permet de récupérer et de restaurer des photographies jamais développées. Récemment, Levi Bettweiser, collectionneur et restaurateur du programme, a fait l’acquisition de 31 rouleaux originaux ayant appartenu à un soldat américain pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Avec pas moins de 70 ans de retard, ces clichés ont enfin été développés ! Ce projet permet d’aborder de nombreuses questions relatives à l’histoire de la photographie, son importance en tant que source et son traitement. Car ce sont des rouleaux très abîmés qui arrivent en possession du restaurateur, sans aucune garantie que ce qu’il va trouver sur les négatifs permettra d’observer quoi que ce soit d’intéressant. Il ignore si le temps qu’il va mettre à développer les clichés et les coûteux produits utilisés permettront réellement de récupérer des fragments de vie.
Pourtant, ce passionné nous emmène dans son monde fait de mystère et d’excitation. À chaque rouleau, on retrouve les mêmes gestes et la surprise de découvrir ce qui n’a jamais été vu avant. On y apprend donc les enjeux de ces restaurations, comme des détails plus techniques.
C’est bien l’enjeu du traitement de ce type de documents : nous voyons l’Histoire à travers une série d’images construites à partir de divers documents. Nous intégrons des représentations contemporaines d’une époque passée, par des séries ou des films imitant une époque. Cependant, la réalité historique est difficile à appréhender quand la photographie est très officielle, posée, présentée seule, sans sa série ni son contexte.
Dans le cas présent, les photographies sont réalisées par la même personne, à la même période, et n’ont été ni vues, ni retouchées ou interprétées par aucun être humain.
L’émotion est donc multiple quand Levi Bettweiser développe ces clichés : il termine un processus interrompu il y a 70 ans, il fait aboutir la mémoire de quelqu’un. Il va se plonger dans son univers de manière totale, et pouvoir observer la manière de photographier de ce soldat anonyme. Il ignore si l’humidité et les mauvaises conditions de conservation n’auront pas tout effacé des films, mais il a l’espoir et le désir de faire perdurer la mémoire de ces gens.
Ces rouleaux, s’ils ne sont pas traités, vont disparaître à jamais. Levi ressuscite l’expérience d’une personne depuis longtemps décédées en accomplissant les gestes qui n’ont jamais permis à la photo d’être imprimée sur papier !
La Seconde Guerre Mondiale a eu un impact incroyable sur la diffusion massive de la photographie et donc son histoire : les soldats américains avaient apporté avec eux beaucoup d’appareils portables, les premiers Kodaks. Ainsi, les reporters de guerre et photographes professionnels ne sont pas les seuls à avoir documenté l’Histoire : des millions de clichés nous sont parvenus de cette époque grâce à ces soldats qui ont emporté avec eux des appareils pour tout immortaliser.
La guerre a changé la donne, la photographie s’est démocratisée et ne s’est plus cantonnée pour les gens ordinaires à une pause figée en habits du dimanche. Car se faire tirer le portrait, c’était un événement, ça coûtait cher, et il fallait se faire beau. Le côté spontané de la photographie n’est pas né pendant la guerre, mais s’est fortement développé à ce moment-là. Car les gens pouvaient enfin faire les photographies eux-mêmes, sans avoir l’impression de gâcher un objet de valeur. Ils ont aussi eu accès à la photographie dans les journaux, et ces possibilités de production ont permis à la photo de devenir quelque chose d’ordinaire et important à la fois.
J’ai pris un grand plaisir à découvrir ces clichés, car on peut y voir les marques du temps et ses dégâts. Elles sont sans prétention, prises sur le vif, elles n’ont jamais été développées pour une raison inconnue… et pourtant, elles témoignent avec force d’une époque qui s’efface de plus en plus de nos mémoires.
Les clichés une fois développés renforcent cette idée : le soldat a immortalisé une atmosphère particulière, et le restaurateur a gagné son pari en développant à l’aveugle 31 rouleaux qui étaient voués à l’oubli !
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