Vendredi soir, c’était la cérémonie des César. Depuis que je suis en âge d’être toute seule un vendredi soir, je la regarde de chez moi avec un bon repas fait maison ou fraîchement livré à ma porte et un verre de rosé. Mais cette année, c’était différent. Cette année, Canalplus.fr m’avait invitée à y aller.
Je te vois venir et non. « Non », je n’ai pas foulé le tapis rouge avant de photobomber toutes les stars possibles. « Non », je n’ai pas vu la cérémonie de l’intérieur du Théâtre du Châtelet. « Non », je n’ai pas fait la bise à Pierre Niney ou Françoise Fabian. On m’a conviée au tapis rouge pour livetweeter, Viner, Instagramer ou VidéoInstagramer, avec mon iPhone. Bref, on m’a demandé de venir pour retranscrire ce que je voyais et faire de la blague. Un des pendants de mon job, en quelque sorte. Pas forcément celui qui rend mes parents le plus fiers, mais c’est un des aspects que j’aime bien.
Pour tout te dire, et parce que j’aime être honnête avec toi, j’avais peur plus que je n’étais excitée. J’avais peur d’échouer, en ce jour brumeux de février. Tu sais, c’est comme essayer de se concentrer sur un truc alors qu’on a l’esprit obnubilé par une envie de fromage. D’ailleurs, c’est impossible. Je vais m’acheter du fromage. Je reviens.
Voilà.
J’avais peur aussi parce que les images que j’avais vues des photocalls m’angoissaient : je m’imaginais déjà, perdue au milieu d’une foule compacte de photographes complètement fous, bringuebalée de droite à gauche. Je me voyais déjà, les mains sur les oreilles, m’écrouler à genoux sur le tapis rouge en tremblant, des larmes perlant au coin de mes yeux.
Je pouvais déjà voir les gens de la sécurité essayer de m’attraper par le dessous des bras, mais je me serais débattue dans mon instinct animal. Ils auraient de toute façon fini par me lâcher, dégoûtés par l’expression humide de ma détresse du corps et du coeur. J’imaginais déjà les photographes, remarquant une faille dans la sécurité, courant sur le tapis rouge histoire d’immortaliser les cinéastes de si près qu’on aurait pu plonger dans leurs pores comme si c’était des piscines une fois la photo imprimée.
Bien, et bah laisse-moi te dire que j’avais tort. Tu viens de lire ce que je m’attendais à vivre, laisse-moi te conter ce qu’en réalité j’ai vécu.
Introduction à l’expérience
Vendredi 28, 17h10 : je suis à la bourre mais je n’oublie pas pour autant de me changer, pour la troisième fois. J’ai eu beau demander partout autour de moi, personne n’était capable de me dire si oui ou non je devais moi aussi m’habiller en tenue de soirée, même pour rester sur mon petit gradin. D’un coup je me suis fait la scène dans la tête des organisateurs me refusant l’accès après avoir regardé mes chaussures sales et mon jean usé à l’entrecuisse et j’ai décidé d’enfiler mon plus jeune short (le genre de trucs tellement taille haute que tu prends dix minutes pour le retirer quand tu vas faire pipi).
Mais je suis me suis dit que pour le coup, c’était pas grave : il était hors de question que j’aille uriner pendant le photocall. J’avais de toute façon arrêté de m’hydrater dès 12h pour éviter d’avoir à me rendre aux toilettes à un moment inopportun. De toute façon, même si j’avais dû, j’aurais été bien mal lotie : je n’ai pas vu de WC. En même temps, imagine un peu la gueule du tapis rouge si on avait mis une cabine de chantier dans un coin.
Quand je suis arrivée sur place après un changement de métro et une petite balade souterraine à Châtelet (la station, pour les non-habituées-de-Paris, où on te prévient sur des pancartes du temps qu’il te faut pour arriver à ta ligne de métro), je n’ai pas pu rater le Théâtre. Il y avait des barrières partout, des gens qui regardaient ce qu’il passait derrière les barrières (spoiler alert : il y avait d’autres barrières), des agents de sécurité et des gens qu’on reconnaissait comme apparentés à l’équipe puisqu’ils avaient un badge autour du cou.
Moi aussi j’en avais un, de badge. Je me la raconte drôlement depuis (même si tout le monde pensait vraiment que je m’appelais Sophie-Pierre et que j’ai une tête de zob dessus) :
Si tu es passée dans le coin à ce moment-là, sache que tu pouvais pas me louper : j’avais tellement peur de me tromper d’endroit que je demandais à chaque personne que je croisais où il fallait que j’aille. Même si un agent m’avait dit « c’est là », je demandais au suivant, cinq mètres derrière, pour vérifier que je m’étais pas trompée de direction. J’ai bien fait ma zozo, c’était bien.
L’ambiance à M-quelques secondes
Je sais pas si j’avais bu (non, cf. ci-dessus) ou si les organisateurs sont suffisamment rodés à l’exercice et organisés pour ne pas paniquer, mais j’ai trouvé l’ambiance très calme. On m’a assigné ma place tranquille (la 14, si vraiment ça t’intéresse), limite avec le sourire (limite) et puis après j’ai attendu.
Y avait bien un peu d’animation quand deux mecs sont venus avec des marteaux pour clouer un morceau du tapis qui rebiquait quelque peu (morceau de tapis qui rebiquait toujours après), et c’était un peu rigolo de voir les gens se prendre dedans.
Au début, avant que des photographes et journalistes ne m’adressent la parole, je me sentais un peu seule (au point de m’auto–vanner), mais ça n’a pas duré bien longtemps. Très vite, on m’a parlé, on m’a demandé pour qui je bossais et ce que j’allais faire avec mon petit iPhone bien mignon mais qui filme un peu comme une bouse. Et puis, en fait, c’est une profession qui paraît tarée à travers l’écran. Quand on est sur place, on réalise que tout répond à un code bien précis et que rien n’est dramatique. Je m’explique.
Rencontre du troisième type, du deuxième et des autres
Il faut pas croire : oui, les photographes crient quand une célébrité est en train de se faire photographier. Ils crient pour attirer son attention, pour qu’elle les regarde et qu’ils puissent avoir la meilleure photo possible. Ça donne, de l’extérieur, un rendu étrange où les mecs et les filles armé-e-s de leur appareil donnent des ordres à quelqu’un de très respecté, voire adulé, dans le métier :
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Mais c’est surtout une sorte de moment de partage bizarre où chacun fait son boulot : les photographes, d’un côté, ne manquent pas d’humour et n’hésitent pas à en rajouter trois couches. J’ai souvent ri très fort en les entendant faire ce qui s’apparentait à un concours de celui qui criera le plus fort ou celui qui prendra la voix la plus remarquable (big up à celui qui a imité Mozinor : qui que tu sois, je t’apprécie beaucoup).
Les bousculades sont franchement raisonnables (pas même au niveau d’un petit pogo) et on ne m’a donné qu’un tout petit coup d’objectif dans la tête avant de s’excuser tout de suite. Définitivement, c’était une ambiance bon enfant où tout le monde a l’habitude de travailler non pas ensemble mais les uns à côté des autres sans aucune compétition — du moins, pas affichée.
De l’autre, les acteurs, actrices, cinéastes en tout genre qui se prenaient au jeu, probablement parce que ça fait partie de leur métier. En fait, à part Jeremy Irons et Scarlett Johansson, tout le monde rigolait, tout le monde souriait, tout le monde était de bonne humeur. Scarlett parce que bon, elle préfère sourire sans les dents. Jeremy Irons parce que je sais pas, peut-être qu’il était bougon parce que l’escalator pour sortir du métro était en panne. Mais tu peux donner ta propre hypothèse.
Mais surtout, les journalistes et photographes sont drôles : je les entendais jouer au jeu de sosie avec les invités inconnus du grand public, faire des vannes, des jeux de mots, des commentaires marrants sur à peu près tout.
La prise de conscience
Au bout d’un moment, alors que ça faisait plus d’une heure que je photographiais des cinéastes que je respectais, voire que j’adorais avec mon tout petit iPhone à côté du gros matos de mes voisins, j’ai eu un petit moment de recul. J’étais concentrée, je faisais mon job, j’étais à fond dedans, l’oeil peut-être un peu torve et le sourire un peu neuneu, quand j’ai compris que bon.
Bon : je venais de voir Tarantino, et Scarlett Johansson, et André Dussolier, et Guillaume Gallienne, et Sandrine Kiberlain, et Zabou Breitman. Tous ces gens que j’avais un jour admirés, voire adorés, s’étaient retrouvés face à moi. Je n’avais pas eu d’interactions avec eux, mais je les avais vus. Et ça m’a fait bizarre de réaliser que j’avais mis autant de temps à m’en rendre compte. Je peux pas vraiment me l’expliquer. Peut-être que c’était précisément parce que j’étais là pour le boulot ?
Bilan de l’expérience
Ça va, quoi. C’était pas un remake de La Mélodie du Bonheur couplé avec un épisode de La Petite Maison dans la Prairie version comédie musicale, mais c’était drôle, et cool, et bizarrement peu impressionnant et simple. J’ai réalisé que tout ce monde du cinéma que je m’imaginais inaccessible était en fait plutôt sympa, du moins de là où j’étais. Tout le monde est là pour faire son boulot, et tout le monde le sait. Mine de rien, rien ne fait plus vraiment peur une fois qu’on ne le voit plus à travers l’écran de sa télé (sauf peut-être les films d’horreur, faut bien l’avouer).
Ça ne m’a même pas fait bizarre de rentrer chez moi après avoir vu autant de costumes et robes à paillettes. Le combo McDo – Coca Light éventé a supplanté mon traditionnel repas au rosé, mais c’était cool d’être chez soi suffisamment tôt pour reprendre le cours de la cérémonie, sitôt mon short un peu desserré.
Non, vraiment, le seul truc qui m’a fanée, c’est le fait de ne pas avoir pensé à m’acheter une batterie de rechange avant d’y aller, et d’avoir donc dû compter sur celle d’un journaliste qui avait proposé de me la prêter. Jamais je n’oublierai ce moment horrible où j’ai réalisé que je n’avais plus que 2% d’énergie pour tweeter.
Ça, et aussi le fait de constater que mon tweet de la soirée qui avait le plus fonctionné était une blague d’une autre personne que moi.
Teuh.
Et puis maintenant au moins, je peux dire aux professionnels comme au quidam : « oui, j’ai déjà fait le photocall des César avec un iPhone nul ».
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Ah je vois, Madmoizelle c'est magouilles et compagnie !