On appelle ça la « neuromanie », ou cette capacité que l’on a, aujourd’hui, à tout ramener au cerveau. « Pourquoi notre cerveau détruit-il l’environnement ? », « Comment certaines zones du cerveau sont responsables de la procrastination ? ». Autant de questions auxquelles on pense pouvoir répondre uniquement par le fonctionnement du cerveau, dont l’étude pourrait tout expliquer : pourquoi les gens sont paresseux, mangent gras, échouent à l’école ou encore votent à gauche ou à droite…
Nos habitudes et notre cerveau sont-ils liés ?
« On le voit beaucoup dans les médias, ça a beaucoup la cote, voici ton cerveau quand tu bois ton café le matin […] c’est une sorte de survente des imageries, on va montrer des cerveaux colorés et expliquer ceci ou cela » explique Albert Moukheiber, spécialiste du cerveau qui veut alerter sur les dérives médiatiques et politiques de sa discipline.
Si hier, le cerveau était encore un organe mystérieux, et que l’attention était davantage focalisée sur la génétique, il semble que ces derniers temps, il soit au cœur de toutes les analyses, notamment grâce à la neuroscience. Cette discipline, qui a émergé au début des années 1960 aux États-Unis, a connu un essor considérable à l’aube des années 1980, notamment grâce au perfectionnement de l’imagerie et de la cartographie de l’activité de notre cerveau.
Imbrication du social et du biologique
Au fil des décennies, l’étude du cerveau a tenté d’expliquer et de justifier un grand nombre de comportements, considérant que le biologique seulement était responsable des actions individuelles, mais que celles-ci pouvaient être dépassées, modifiées, notamment grâce à la neuroplasticité du cerveau, à savoir, la capacité de notre cerveau à changer en fonction du contexte dans lequel il est (et de ce que l’on se dit à nous-même). En bref, nous sommes responsables de l’impact de nos actions sur nos vies individuelles et collectives, et celles-ci sont le résultat de l’activité de nos cerveaux qu’il ne tient qu’à nous de contrôler, d’entrainer pour améliorer notre vie et le monde.
Cependant, contrairement à ce que l’on pense lorsque l’on observe, dans les médias notamment, le cerveau ne fonctionne pas par zones (colorées sur les imageries pour les rendre visibles), qui seraient activées par une action ou une émotion seulement, mais bien comme un réseau plus complexe, dont chaque réaction peut être induite par une infinité de causes. On appelle cela l’imbrication du social et du biologique. Ou comment, par exemple, le contexte influence aussi la réaction cérébrale. Albert Moukheiber explique, par exemple, que les résultats sont forcément biaisés, lorsque l’on analyse le comportement du cerveau d’une personne qui scroll son feed Facebook dans des conditions spécifiques : en l’occurrence, les conditions d’analyses diffèrent forcément, la personne est allongée, dans une machine qui fait du bruit, dans un endroit froid.
L’impossibilité de mesurer le sentiment amoureux
De la même manière qu’on ne peut pas saisir l’expérience physiologique de l’amour uniquement avec l’émotion ressentie physiquement, puisqu’il y a aussi d’autres critères à prendre en compte au moment où cela arrive : ce que l’on se dit dans la tête, ce que l’on ressent, des critères qui diffèrent d’une personne à l’autre. Il n’y aura donc jamais d’imagerie cérébrale capable de capter un sentiment universel d’amour. En cela, l’expérience et le vécu de chaque personne compte aussi beaucoup, et c’est quelque chose d’éminemment difficile à mesurer.
On ne peut donc pas tout expliquer avec l’analyse du cerveau, et son activité ne peut pas nous définir entièrement. Et c’est là que les limites de l’étude de notre matière grise se dévoilent.
Tout n’est pas qu’une question de volonté
Pour Albert Moukheiber, les capacités cognitives des individus et la neuroplasticité du cerveau ont été « transformées en une sorte de baguette magique pour mettre toute la responsabilité de plein de sujets souvent sociétaux et complexes sur des comportements individuels ». Sous prétexte que nous sommes les uniques responsables, cela consiste par exemple à inciter les individus à économiser de l’eau en prenant des douches plus courtes pour économiser les ressources, et ainsi sauver le climat, quand on passe sous silence les vols à 9 euros de certaines compagnies aériennes. Car tout n’est qu’une question de volonté…
Dès lors, les capacités de notre cerveau sont une bien bonne excuse pour nous faire porter le chapeau de nombreux problèmes systémiques que la société au global est incapable de régler. Un sujet passionnant, pédagogique et accessible, brillamment expliqué en moins de 30 minutes, à revoir sur le site d’Arte.
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Crédit photo : Albert Moukheiber dans Les idées larges / Capture d’écran ARTE.tv
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