Vous avez sans doute remarqué : l’asexualité est à la mode. La presse s’est amusée deux mois de ce retour de balancier limité à une infime minorité – oubliant les questions qui se posent à l’immense majorité. L’intérêt principal de cette microtendance a été de mettre à jour le côté pas glamour du sexe : la lassitude qui intervient trèèès souvent après quelques années de couple, et l’interdiction de parler de cette lassitude (au prétexte que l’amour dure toujours, donc la libido aussi). Hors asexualité, dans le cadre d’une vie plutôt conventionnelle, peut-on ne pas faire l’amour ?
– Légalement. Depuis que le viol conjugal est reconnu par les tribunaux, personne ne peut vous obliger à pratiquer le missionnaire du samedi soir. De ce côté-là tout va de mieux en mieux. Pour les autres cas, il y a le viol tout court : violence, contrainte, surprise ou menace. Le droit de dire non est garanti par l’Etat.
– Socialement. Tout de suite c’est plus compliqué. Des discussions/vannes sexuelles restent un outil majeur de socialisation : les confidences forgent les amitiés, pourvu qu’on reste relativement dans la norme (combien de lesbiennes abandonnées par leurs copines lors de leur coming-out, hmmm ?). Je ne dis pas qu’il faut avoir une vie sexuelle pour avoir une vie amicale, parce qu’a priori de vrais amis vous soutiendront toujours. Mais bon, une libido de crevette peut vous isoler un chouïa. Evidemment, si vos potes sont des crevards, ils s’empresseront de tout répéter, faisant de vous un objet de curiosité… ou de cruauté. Parce qu’au fond, tout le monde pense que se priver d’un plaisir aussi trendy que le sexe doit cacher un secret inavouable, genre vous violez des petits Thaïlandais dans votre cave.
– Médicalement. Votre corps ne s’autodétruira pas si vous ne faites pas l’amour. Oui je sais, on réinvente la roue aujourd’hui sur madmoiZelle.
– Psychologiquement. Les bénéfices de l’activité sexuelle sont multiples : lutter contre la douleur, se détendre, relâcher son agressivité, prendre un bon shoot d’hormones à bien-être, éteindre cette maudite télé… Alors peut-être qu’on peut compenser en cumulant du doliprane et un Mojito, mais je ne vous recommande pas. On peut certainement se sentir bien dans sa tête sans sexe, sauf que ça revient à prendre l’escalier au lieu de l’ascenseur. Un escalier qui s’arrêterait à mi-parcours. (Et puis c’est pas comme si l’univers offrait un million de plaisirs dénués de contrepartie embêtante, les accros au chocolat savent de quoi je parle.)
– Amoureusement. Euh, là ça se corse sérieusement. Bonne chance pour trouver quelqu’un qui vous aimera platoniquement ! Et en même temps, bonne chance pour faire tenir la tension sexuelle après vingt ans de vie commune. Pour couper la poire en deux, on dira que ne pas faire l’amour en début de relation reste exceptionnel, mais que faire encore régulièrement l’amour en fin de relation est tout aussi exceptionnel – même si le sexe entre « seniors » sort peu à peu de l’ombre. Il y a des couples qui se câlinent deux fois par an. Et qui sont très heureux comme ça…
– Culturellement. Tadam, on grimpe encore d’un cran dans le complexe. La pression sociale est tellement forte sur ce qu’on doit pratiquer à tel ou tel moment de sa vie qu’il est compliqué de savoir quels désirs nous appartiennent, et quels désirs sont là parce qu’on nous a bourré le crâne (avec la perte de virginité, la nuit de noces, la grossesse, le deuxième gamin, etc… tout est quand même sacrément balisé). Aujourd’hui, les personnes volontairement abstinentes sont invisibles, et quand par miracle on en pointe une du doigt, ce sera pour la transformer soit en alien venu de Pluton, soit en monstre au bord de la psychose. Des modèles pas franchement positifs, surtout depuis que les affaires de pédophilie ont jeté un curieux éclairage sur la chasteté de certains religieux…
Donc la question du libre-arbitre n’est pas évidente. Je dirais que théoriquement, on peut ne pas faire l’amour, mais que dans les faits, résister à la norme sexuelle ne se conçoit qu’involontairement (si vous êtes célibataire) ou secrètement (vous ne faites pas l’amour mais vous le planquez comme si c’était la honte sur huit générations). Dommage, parce que pouvoir dire non, c’est pouvoir dire oui. Et en même temps… on n’a pas forcément envie de dire non juste pour réaffirmer qu’on peut dire oui.
— Merci à Maud d’emploi pour les dessins !
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Les Commentaires
J'aime vraiment pas du tout du tout du tout cette phrase.
Voilà, c'est dit.