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Société

Peut-on grandir sans se trahir ? « Les Idées Larges », d’Arte, questionne la philosophe Susan Neiman

Ça veut dire quoi au juste, grandir ? Pourquoi notre société invite-t-elle à « profiter » de la jeunesse et à craindre la vieillesse ? Dans « Les Idées Larges », dont Madmoizelle est partenaire, la journaliste Laura Raim questionne la philosophe états-unienne, spécialiste des lumières et autrice de « Grandir – Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise » (Premier Parallèle), et c’est captivant.

Grandir, ou devenir adulte, constitue chez certaines personnes l’angoisse ultime. Passé 30 ans, il semblerait que nous n’ayons plus rien à vivre, et qu’il faille au contraire subir : l’ennui, le sérieux, la désillusion, la stabilité. Grandir est synonyme de vieillir, et donc, de déclin.

L’apogée du bonheur serait autour de la soixantaine

Pourtant, de nombreuses et très sérieuses études ont déjà été réalisées dans plusieurs pays et démontrent que le sentiment de bien-être décline jusqu’à la quarantaine, puis amorce une remontée et atteint son apogée de bonheur aux alentours de la soixantaine.

Alors, d’où vient ce décalage entre l’idée que la société nous renvoie, celle que la jeunesse serait le meilleur moment de nos vies, et la réalité d’un bien-être, d’une satisfaction et d’une sagesse qui arriverait sur le tard, lors de nos plus vieilles années ?

C’est ce que tente de questionner ce passionnant dernier épisode de la série d’Arte, Les Idées Larges, en interrogeant notamment Susan Neiman, philosophe états-unienne, spécialiste des lumières et autrice de « Grandir – Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise » (Premier Parallèle).

Division occidentale de nos existences

On y apprend notamment que cette réalité consiste en une « division » de nos existences : il y a l’enfance, puis l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Un cadre qui n’est pas universel et qui serait même, bien au contraire, très occidental.

La sociologue Cécile Van de Velde, autrice de « Devenir adulte » (PUF), explique notamment qu’en Afrique de l’Est, il n’existe pas de vision décliniste de notre existence, mais au contraire une vision ascensionnelle, la vieillesse étant synonyme d’expérience, de sagesse, de maturation.

Dès lors, pourquoi se construit-on autour de telles croyances ? Quel intérêt nos sociétés ont-elles à façonner des jeunes qui refusent de devenir adultes ?

À lire aussi : Peut-on tout expliquer avec notre cerveau ? « Les Idées Larges », d’Arte, questionne le spécialiste Albert Moukheiber

Renoncer à ses idéaux pour devenir mature

Pour Susan Neiman, cette réalité pose un problème politique : « Il m’a semblé qu’il y avait un décalage complet entre ce qu’on nous dit sur la jeunesse et le vieillissement (…) parce que les messages que les jeunes reçoivent quand ils entendent ‘c’est le meilleur moment de votre vie, profitez-en maintenant’ est en fait ‘après 30 ans, tout se dégrade, résignez-vous à affronter la réalité et l’idée que votre vie ne sera pas aussi intéressante et aventureuse que vous l’espériez’. Et également à nous dire ‘vous n’aurez aucun impact sur ce monde' ». La philosophe estime qu’il y a donc une fonction politique à cette réalité, celle de nous pousser à nous résigner et à accepter le fait que nous ne pourrons rien changer à ce monde. En résumé : renoncer à ses idéaux fait partie de la maturité.

Mais alors, comment répondre individuellement face à cette réalité ? Comment ne pas laisser tomber ses idéaux et accepter de façon joyeuse de grandir, mais surtout, se persuader que cela n’est pas synonyme d’impuissance et d’acceptation forcée de ce qui est ? Susan Neiman a une idée :

« Ma conviction, c’est qu’être un adulte – et personne n’y arrive complètement, c’est un processus – c’est d’avoir un œil sur le monde tel qu’il est, et un œil sur comment il devrait être. (…) Ma conviction, c’est qu’être un adulte, être un être humain digne, c’est de travailler à réduire l’écart entre ce qui est et ce qui devrait être. » 

Susan Neiman

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