Le harcèlement de rue, « épuisante banalité » : cette qualification continue malheureusement à être pertinente. Car malgré la sensibilisation, l’acte reste désespérément fréquent.
Ce qui ne veut pas dire que rien n’avance. Je ne me souviens pas de la dernière fois qu’un homme m’a harcelée dans la rue.
Enfin, la dernière fois avant ce samedi… Et la peur qui est revenue à toute vitesse.
J’ai été harcelée dans la rue ce samedi
Tu as peut-être lu cette histoire que j’ai partagée ce dimanche sur les réseaux sociaux, notamment dans un fil de tweets qui commence ainsi :
Je vais te raconter les bails ici, ce sera plus simple.
Samedi, moi qui suis casanière, j’ai fait plein de trucs cool hors de chez moi. Notamment une intervention autour de l’empouvoirement dont je te cause bientôt dans Laisse-moi kiffer.
J’ai aussi mangé une empanada, bu une bière, fait du shopping et revu un vieil ami. Bon samedi, non ? Ouais. À un détail près.
Alors que je rentre faire une pause chez moi entre deux activités, vers 15h, il se met à pleuvoir comme pas permis — 2h plus tôt que les prévisions météo. Autant te dire que JE NE SUIS PAS ÉQUIPÉE.
Hâtant le pas sur une rue bien fréquentée, j’atteins le premier abribus venu. Un homme y est installé, assis sur le banc. Je ne sais pas s’il attend un transport ou la fin de l’averse.
Et pour tout te dire : je m’en fous.
Je m’appuie à l’encart publicitaire, regardant la pluie tomber en écoutant un podcast sur LOST (oui j’ai des obsessions). Quand je remarque que le type me parle.
Peut-être a-t-il besoin d’un renseignement sur la ligne de bus, perturbée par des travaux ? J’ôte un écouteur, je lui fais signe de répéter. Il parle FORT.
— TU VIENS D’OÙ ?
Ah. Ok. Super. Bon. Bah ça arrive. Pas étonnant. Ni bonjour ni merde quand même.
J’ai mis du rouge à lèvres, c’est bien ma veine, chacun sait que c’est un motif de harcèlement de rue ! J’aurais dû m’y attendre.
J’ai fini par apprendre à ne pas me forcer à parler aux inconnus si j’en ai pas envie, à arrêter d’être « gentille ». J’en suis assez fière. Je lui dis, poliment :
— Oh, je n’ai pas envie de discuter.
Et je remets mon écouteur, relance mon podcast. Dans ma tête, je me sens comme ça :
Mais je déchante vite, car j’entends qu’il continue à parler, fort. Je devine par les mots qui filtrent qu’il est en train de s’énerver contre moi.
Il n’y a que nous deux sous cet abribus. Je me dis, eh merde, il lâche pas l’affaire. J’ai pas envie de me retourner vers lui, pas envie de lui donner de l’attention.
J’ai un peu peur. Car son comportement vient de passer de « malpoli tendance relou » à « inquiétant ».
J’ai plus peur de lui que de l’averse, donc je m’élance, à pied. Avec ma veste pas imperméable, et mon tote bag en coton fin.
15 min plus tard, je suis chez moi. La pluie ne s’est pas arrêtée. Avant de me sécher, je fais une story Insta rigolote sur le fait que je suis saucée.
Je n’y précise pas que je me suis retournée une dizaine de fois pour vérifier que l’inconnu ne me suivait pas.
Le harcèlement de rue m’a fait (très) peur
Sur le coup, j’ai pensé que la peur était passée une fois l’interaction terminée. Après tout, ce mec ne m’a pas touchée, ni suivie, ni cognée.
Il a voulu me draguer, j’ai refusé, il l’a mal pris, je suis partie. J’ai fait ma vie. Je me suis endormie, fatiguée mais satisfaite de ma journée.
Et les cauchemars ont commencé.
Cette nuit-là, dans ma tête, des hommes me poursuivaient, menaçaient, harcelaient, violentaient. Mon sommeil a été agité, désagréable.
Je me suis réveillée en toussant — en rêve, un inconnu m’étranglait.
Cette peur que je pensais avoir dépassée, je l’avais simplement enterrée, ignorée, niée. Elle a attendu que je m’endorme pour ressurgir, s’expurger dans des cauchemars fiévreux.
Pourquoi les femmes ont toujours peur dans la rue
J’ai eu peur, oui. Peur d’un pauvre mec, banal, « normal », un mec de tous les jours, un mec qui attend sous un abribus, sa sacoche sur ses genoux.
J’ai eu peur de ce qu’il aurait pu décider de faire.
J’ai eu peur parce que mes potes ont pris des coups de boule par des harceleurs de rue
. J’ai eu peur parce qu’elles ont été suivies jusqu’à chez elles. Jetées sur le trottoir. Plaquées contre un mur.
J’ai eu peur parce que je sais que, si ça se trouve, personne ne m’aurait aidée en cas de danger. Car je connais l’effet témoin, et moi-même je ne suis que rarement intervenue pour porter secours à quelqu’un.
J’ai eu peur comme tant de femmes ont peur ; pas forcément de ce qui leur arrive, mais du pire qui pourrait arriver.
Car en matière de violences sexistes, il n’y a pas toujours de logique, l’escalade n’est pas toujours progressive.
Combien de femmes ont vécu ce fameux :
— Bonjour mademoiselle, vous êtes charmante, ça vous dit pas d’aller boire un verre ? — Désolée, je ne suis pas intéressée, et puis je ne suis pas célibataire… mais merci du compliment ! — Ok bah va te faire enculer SALE PUTE ! T’es dégueulasse de toute façon !
La drague de rue, toujours pas sans risques
C’est pour ça, en fait, qu’il y a des femmes comme Marion Séclin, pour n’en citer qu’une, qui demandent aux hommes d’arrêter de draguer dans la rue.
Pas parce que c’est intrinsèquement une mauvaise idée : parce que ça fait PEUR.
Parce qu’on ne peut pas savoir si vous êtes cool ou non. On ne peut pas savoir si le refus sera gracieusement accepté ou violemment rejeté.
Parce que ceux qui nous ont frappées, insultées, suivies, malmenées, avaient bien souvent la même tête et les mêmes fringues que vous.
C’étaient des mecs « normaux ».
Souvent, tout en tentant de mettre fin à l’interaction, on sourit, on est polies, on fait même mine d’être flattées, juste parce qu’on a peur.
C’est triste mais c’est une réalité : le harcèlement de rue est encore trop présent pour que beaucoup de femmes puissent voir une tentative de séduction comme dénuée de risque.
Vers un monde sans harcèlement de rue
Cependant, je tiens à continuer sur une note positive : je crois sincèrement qu’à la fin, on vivra dans un monde sans harcèlement de rue.
Déjà parce que c’est déjà le cas dans divers pays. Les femmes sont TRANQUILLES dans l’espace public. Ce comportement n’est pas génétiquement inscrit dans l’ADN humain.
Alors comment se débarrasser du harcèlement de rue ?
En sensibilisant, tout d’abord. En expliquant qu’aborder une meuf, c’est peut-être passer après 5 relous. Qu’insister, suivre, ne pas écouter un refus, c’est faire peur.
En apprenant à avoir moins peur, aussi, par l’autodéfense féministe par exemple. En échangeant, pour ne plus se sentir isolée.
Ne pas être un relou quand on fait le premier pas envers une inconnue, c’est très facile, la preuve ici. Et faire changer les choses, c’est possible, même si c’est long.
Un jour, je n’aurai plus d’histoires comme celle-ci à raconter. Ce sera bien. En attendant, je les raconte, mes histoires, parce que partager, ça fait toujours avancer.
J’ai un peu hésité. Je ne voulais pas d’un énième article qui fait flipper, qui donne envie de ne plus sortir de chez soi. Je ne veux pas, en racontant mes sentiments, resserrer les brides qui freinent certaines femmes.
Mais je ne pense pas que cet article ait cet effet — pas d’après mes collègues en tout cas, qui ont toutes pris le temps de lire, et ont toutes déjà été harcelées dans la rue.
Ma peur et moi, en attendant la fin du harcèlement de rue
Ce récit, c’est celui d’un harcèlement de rue, ça ne fait aucun doute. Et la faute, à la base, revient à cet homme qui m’a crié une pick-up line, sans bonjour ni fioritures, et a insisté quand j’ai exprimé mon refus.
Mais je m’interroge aussi sur mon rapport à ma propre peur.
Je pensais sincèrement ne plus avoir peur. Dans la rue, dans le métro, dans les bars. Je pensais appliquer une prudence non-genrée : m’éloigner des gens instables, ne pas provoquer quelqu’un d’ivre…
Je pensais avoir peur comme les hommes ont peur. C’est-à-dire pas de façon démesurée, et pas parce qu’ils sont des hommes.
C’est peut-être pour ça que je l’ai enterrée, ma frousse, en marchant sous l’averse. C’est peut-être pour ça que je l’ai laissée pourrir jusqu’à ce qu’elle vienne niquer ma nuit. Je ne voulais pas la regarder en face.
Avec le recul, je pense que j’aurais plutôt dû l’accepter, ma peur. Accepter qu’elle revienne pour cette fois. Elle a été là si longtemps, c’est dur de la déraciner.
La peur n’est pas de la faiblesse : c’est un signal d’alarme utile. Pourquoi ai-je été tellement flippée par ce mec, alors que j’ai vécu bien pire sans finir traumatisée ?
Je ne sais pas. Je vais y réfléchir.
Peut-être qu’il y avait de la colère, dans cette peur, aussi. La colère d’une meuf qui n’a pas été harcelée depuis des années et qui est OUTRÉE qu’on ose lui faire à nouveau subir ça.
C’est pas mal, la colère, ça veut dire que j’exige une forme de respect, j’exige le droit d’être tranquille. Et en bafouant ce droit, ce type m’a fait flipper.
Ça ne fait pas de moi une froussarde, une fillette. Juste une femme qui a eu peur de revenir en arrière. Parce qu’on s’y habitue, à être respectée, figure-toi !
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Les Commentaires
J'ai jamais eu confiance en moi de ma vie et probablement que je ne l'aurai jamais de toute ma vie, lire que c'est peut-être une des raisons qui font que je me fais emmerder, bah ça fait pas plaisir. Et probablement que ça ne m'aidera pas à avoir plus confiance.
Pourquoi on se cherche des justifications et des explications d'abord ? Quelque soit le type de femme que tu es, tu seras le secret kink d'un phallus humanoïde, ou au contraire le type qu'un mec déteste, donc à quoi bon se déguiser, faire genre et se donner un rôle ?