Je joue à la fille forte et indépendante, mais en vrai, je suis une grosse flippette. En guise de thérapie, j’ai décidé de vous conter l’un des problèmes les plus handicapants de ma vie : j’ai peur de dormir seule.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours ressenti un certain malaise à l’idée d’aller me coucher, mais c’est quand j’ai emménagé seule pour mes études que le phénomène s’est aggravé.
La situation m’a plus ou moins convenu pendant la première année, durant laquelle j’étais super contente de m’endormir toute seule, avec la possibilité de mettre la musique à fond jusqu’à une heure du matin et de me gaver de M&M’s et de saucisson sec pour le dîner. Pourtant, un soir, le déclic, l’angoisse à nouveau ; j’avais l’impression d’étouffer, dans mon minuscule studio sous les combles, mon voisin était un fou fan de Cauet qui tapait comme un dingue contre le mur quand je faisais ma vaisselle à 21h30, et je me souviens précisément du moment où j’ai réalisé que cette armoire humaine n’aurait pas beaucoup d’efforts à faire pour défoncer ma porte, et me foutre une grosse mandale pour me punir d’avoir écouté du Céline Dion à 19h, sans personne pour venir me sauver. Soudain, j’ai réalisé que n’importe quoi pourrait m’arriver sans que personne ne soit là pour me sauver.
Du coup, la panique me sautait à la gorge et je commençais à croire à toutes sortes de trucs complètement improbables et paranormaux, me laissant ainsi submerger par les angoisses inhérentes à la vie de « presque adulte » (« Est-ce que je vais réussir ? Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Vais-je vivre jusqu’à 22 ans, sachant que mon voisin pourrait aisément passer dans Confessions Intimes et qu’il m’a dans le nez ?« ) et par mes peurs d’enfant (« Et si y avait de la vie dans les poutres au plafond ? Et si en fait, les fantômes existaient vraiment et que, genre, ils étaient pas cool ? Et si y a un Dieu, comme je suis pas baptisée et que je passe mon temps à faire des réflexions odieuses sur les gens que je n’aime pas, est-ce que ça veut dire que j’irai en Enfer et que je me ferais fouetter comme une mayonnaise qui ne voudrait pas monter ? »).
Alors mes angoisses nocturnes ont repris, plus fortes que jamais. Parfois, l’inquiétude devenait panique et je me suis quelquefois retrouvée à errer dans les rues tard dans la nuit pour échapper à mon cagibi. Le fait de partir vivre en colocation m’a soulagée pendant deux ans : j’étais rarement seule chez moi une fois le soleil couché, et quand c’était le cas, je m’arrangeais pour partir chez mon copain ou des amis.
Cette enfant a bien de la chance d’avoir une grande soeur pour veiller sur elle pendant son sommeil.
Mais la semaine dernière, j’ai emménagé dans un appartement. Seule
. Parce que je suis une apprentie adulte et qu’il faut que je me sorte l’index du fondement et que j’apprenne à arrêter de flipper la nuit. Le souci, c’est que mon logement est grand, qu’il y a plein de recoins et plusieurs pièces où pourrait se cacher n’importe qui ou n’importe quoi. Depuis, chaque nuit passée est une petite victoire sur la lose. En attendant de gagner la guerre contre moi-même, j’ai décidé de vous relater quelque peu les batailles que je mène quotidiennement quand la nuit tombe et que les vampires sortent de leur antre.
La flippette et la rationalité
Au fond, je crois que j’ai une double personnalité : le jour, je suis une fille tout à fait raisonnable, rationnelle, et malgré ma crédulité, j’essaie de ne pas croire n’importe quoi (sauf quand ça implique Bruce Willis ou Burger King). Mais quand le soleil se couche et que la lune luit comme une frite molle dans les cieux, je mute en Sophiente, grande flipée devant l’éternel qui croit tout ce que les autres gens de mon âge ont arrêté de croire à 8 ans.
Adieu SPP, bonjour Sophiente.
Ainsi, chaque soir, quand je me couche seule, je tombe dans un véritable vortex de l’angoisse :
- je repense aux légendes urbaines,
- je réfléchis sur la probabilité que la sans-papier à qui je n’ai pas voulu donner d’argent dans la rue – rapport au fait que, n’est-ce pas, je n’avais qu’un billet de 50 sur moi et que ma générosité s’arrête là où mon compte en banque commence à picoter – me jette un sort,
- je me demande si le chat noir qui traîne devant chez moi ne serait pas le Malin déguisé en boule de poils,
- je finis par me rappeler des chaînes de mail que je n’ai jamais renvoyées à 77 personnes dans un élan d’audace et du coup, une petite fille morte avec les yeux plein de sang va se glisser dans mon lit.
Vérification du périmètre de sécurité
Qui dit flippée dit avisée : plus j’ai peur, plus je vérifie chaque coin de mon appartement. Je commence par la chambre (notamment le dessous de mon lit, passé au peigne fin), puis je descends faire le tour du rez-de-chaussée, passant par toutes les pièces, tous les placards. Après tout, on sait jamais, quelqu’un pourrait se cacher derrière les casseroles ou dans la housse de ma planche à repasser. Je rouvre les volets en plissant les yeux de peur pour voir si personne n’est derrière la fenêtre (je vis au premier étage, la réponse est donc bien souvent non), et je pousse même le vice à regarder si une araignée ne serait pas en train de remonter le long de la cuvette des toilettes ; on n’est jamais trop prudent. Jamais. Le problème, c’est qu’une fois recouchée, je me demande si quelqu’un ou quelque chose ne s’est pas faufilé dans une pièce pendant que j’en examinais une autre, et je finis par faire le tour du propriétaire quatre fois en vingt minutes.
Car la flippette a tendance à exagérer quelque peu. Les chiffres affichés par le radio-réveil dans la nuit se transforment en regard démoniaque, les courants d’air sont des esprits qui dansent la Macarena tout autour de moi et chaque bruit est synonyme de danger imminent (ce qui est très handicapant quand on a pris un appartement dans une vieille maison avec des poutres qui craquent comme des chips sur lesquels on marche pieds nus).
Flipper la nuit, en soi, n’a rien de dramatique ; après tout, je finis par tomber de fatigue vers 3h du matin et j’ai la chance de ne pas avoir besoin de trop de sommeil pour faire des jeux de mots vaseux et des blagues un peu scatologiques. Mais je travaille sur moi, tous les soirs, pour essayer de me raisonner et faire gagner SPP dans son combat contre Sophiente et m’économiser ainsi des litres d’anti-cernes quand l’heure de la vieillesse et l’accumulation du manque de sommeil viendront frapper à la vieille porte de mon esprit.
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