J’ai profité d’un weekend ensoleillé dans ma région natale pour retrouver mes parents avec qui je ne cohabite plus depuis quelques années.
Nous sommes en excellents termes mais je sens, depuis un an ou deux, que nos opinions divergent de plus en plus autant sur les sujets politiques que sur les mœurs et les choix de vie (avoir ou ne pas avoir un enfant, être ou ne pas être féministe…).
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Cela ne m’empêche pas de les aimer et de les admirer de tout mon cœur, car ils m’ont toujours donné l’amour dont j’avais besoin.
Leur enseignement ainsi que la façon dont ils m’ont éduquée m’ont aidée à grandir.
Le drame des poils à table
J’arrive donc chez mes parents et tous deux sont de très bonne humeur. Ma sœur est également présente pour le weekend. Je me dis que ces deux jours s’annoncent sous de très bons auspices.
Jusqu’à ce que nous nous mettions à table. Je m’attache les cheveux afin de ne pas me les prendre dans la figure pendant le repas, et je vois mon père loucher sur mes aisselles apparentes sous mon débardeur.
Il pointe un doigt sur moi et, d’un air très sérieux, déclare :
« Tu vas aller mettre un T-shirt, je ne veux pas voir ça à table. »
Mon père n’a pas apprécié de voir mes poils sous les bras que je ne rase plus pour des questions de confort (et de grosse flemme) depuis plusieurs mois.
Qui plus est, à table.
Je suis vexée, même outrée, que mon propre géniteur refuse d’accepter une des choses les plus naturelles du corps humain, surtout de MON corps à moi.
Lire cette pointe de dégoût dans ses yeux me met en colère et je ne peux pas m’empêcher de lui rétorquer :
« Et bien toi, tu iras mettre un chapeau, je ne peux pas supporter de voir ta calvitie. »
Je ne critique pas la calvitie de mon père. À vrai-dire, je m’en conte-fiche qu’il soit chauve ou non.
En comparant sa perte de cheveux à mes poils à moi, je voulais lui faire comprendre que notre corps est tel qu’il est et que je ne compte pas le transformer selon ses préférences.
J’ai des poils sous les bras, comme lui perd ses cheveux, comme j’ai des cheveux châtains, comme lui a des yeux marrons.
Évidemment, il l’a très mal pris et nous nous sommes disputés au-dessus du mutisme de ma sœur et des cris de ma mère qui regrettait déjà la tournure de la conversation.
Le soir même, je me suis rasée à la tondeuse sous les bras. Pas question d’utiliser un rasoir, j’ai une peau trop sensible.
J’ai taquiné mon papa le lendemain, en lui agitant mes aisselles presque lisses sous le nez :
« Regarde ! Tu as vu ? Je suis propre maintenant !*
Je suis jolie maintenant !
Tu penses que je peux manger à ta table ? »
Il a bougonné sans me regarder dans les yeux et j’ai compris qu’il se sentait bête.
*Je rappelle que les poils n’ont rien de sale. Les épiler où que ce soit n’est pas plus hygiénique que de les garder.
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Papa, maman, je ne suis plus une enfant
Autre question que je me suis posée après cette altercation, c’est celle de l’infantilisation que j’ai ressentie quand il m’a demandé d’aller mettre un T-shirt.
J’ai 24 ans. Cela fait donc plusieurs années qu’il n’a plus aucun droit juridique sur moi.
Il n’a plus à choisir à ma place. Pourtant, j’ai eu l’impression d’avoir de nouveau 16 ans en entendant cette phrase sortir de sa bouche.
J’aime mon papa vraiment très fort. Il a des défauts, il est humain et je ne suis pas d’accord avec lui la plupart du temps.
Pour moi ce n’est pas incompatible à condition qu’il soit à l’écoute et qu’il ne m’infantilise pas comme il a pu le faire cette fois-là à table.
Je voudrais qu’il comprenne que je suis une adulte, que je sais d’où viennent mes opinions et qu’il est temps de m’accepter telle que je me suis construite.
Ce n’est pas parce qu’il m’a élevée avec ma mère qu’il peut exprimer son avis sur mon corps ou sur la façon dont je m’habille.
J’étais à des années lumière de croire qu’il me balancerait une aberration pareille en voyant mes poils d’aisselles, puisque deux ans auparavant, il découvrait mon premier tatouage sans broncher.
« Tu fais ce que tu veux, tu es majeure », m’avait-il dit à l’époque.
Cela ne devrait-il pas s’appliquer aussi à ma pilosité ?
C’est possible d’éduquer son propre père ?
Je sais que mon père a une vision étriquée de l’image qu’une femme doit renvoyer.
Elle doit être féminine, classe, élégante. Pour cela, il faut qu’elle soit rasée, qu’elle évite les chaussures plates etc.
Je ne me balade qu’en baskets pour ma part et cela fait un moment que j’ai cessé de m’inquiéter pour mes poils (j’épile ce que je veux, quand je veux et surtout si je le veux.)
Mon père ne comprend pas ça et je ne suis pas sûre qu’il le comprendra un jour. Je pense vraiment que ce qui le gêne, ce ne sont pas les poils mais l’idée esthétique qu’il y a autour : on ne voit pas de poil dans les publicités, à la télévision, au cinéma.
Il sait bien que des femmes en ont, lui aussi d’ailleurs, mais il a tellement intériorisé cette norme de beauté qu’il a du mal à appréhender la présence de pilosité sur les femmes.
À son âge, je ne suis pas certaine qu’il pourra se déconstruire et accepter que les poils chez les femmes, ce n’est pas laid.
Mais je m’en fiche.
Je compte bien arborer mes poils d’aisselles tout l’été. Peut-être les raserai-je si je le souhaite, mais s’il n’est pas content, il pourra bien râler, je ne bougerai pas d’un pouce.
Je me suis déjà préparée mentalement à faire face à ses critiques et je sais déjà comment je vais lui répondre.
Il n’y aura pas de dispute cette fois, seulement une discussion.
J’espère bien le mettre face à ses contradictions, en comparant ses poils d’aisselles qu’il ne retire pas, et les miens.
Et puis en voyant ma pilosité sous mes bras pendant quelques semaines, il finira par s’y habituer, un peu comme si je changeais de coiffure.
À moins qu’il ne se montre de mauvaise foi (et je sais qu’il en est capable), je ne pense qu’il aura un début de piste pour s’ouvrir un peu l’esprit sur les femmes et sur la manière dont leur corps est traité et jugé en permanence.
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Les Commentaires
Pas plus tard qu'avant hier ma mère me sort "Tu t'es pas rasée, c'est pas possible, ça fait sale et les gens ne viendront pas te parler".
Ce qui est fou c'est que même rasée la foule n'est pas venue vers moi