Article initialement publié le 20 décembre 2011
Très franchement, j’aurais drôlement aimé paraître flegmatique et détachée, affirmer que je m’en fiche un peu de Noël et de ses folklores* – mais la vérité, c’est que j’ai du vernis pailleté sur les ongles et que je chante du Tino Rossi (je crois que ça veut tout dire). Subséquemment**, nous causerons cette semaine du Père Noël et des rapports que les enfants entretiennent avec le bonhomme rouge (et je présente mes excuses à ceux qui en ont ras-le-luc de se farcir les histoires de Noël)…
Voyez-vous, le monde martèle le mythe du Père Noël avec une telle ferveur qu’il est quasiment impossible d’y échapper et que le délire collectif est complètement implanté dans les cerveaux de toutes les mini-personnes qui peuplent nos contrées. Que peuvent nous dire les lettres que les enfants écrivent à Santa ? Que se passe-t-il lorsque les mouflets découvrent le mensonge collectif ?
Quand les mini-personnes écrivent au Père Noël…
La manière dont nous appréhendons Noël pourrait bien être révélatrice du contexte socio- économique dans lequel nous évoluons ; et les missives envoyées par les enfants au Pôle Nord pourraient nous permettre de comprendre leurs perceptions non seulement du Père Noël, mais aussi du monde. Ainsi, lorsque le psychologue Ray Cradick demande à des enfants de faire un dessin pour le Père Noël avant et après Noël, il semble que les productions soient plus grandes, plus fouillées et plus abouties avant la période de Noël – comme si les enfants étaient conscients du danger : si je ne m’applique pas pour mon dessin, si je ne suis pas sage, le Père Noël va être déçu (quel petit susceptible) et mes cadeaux vont me passer sous le nez.
Selon Gueguen, leurs lettres seraient également remplies d’indices sur le contexte économique du moment, sur leurs appartenances sociales, sur les informations transmises par les médias… Si elles sont censées exprimer toutes les envies les plus farfelues des enfants, les lettres s’avèrent soumises à un « autocontrôle » reflétant le milieu social d’appartenance (le nombre de cadeaux demandé sera plus faible dans tel milieu, tel autre aura tendance à moins commander d’objets « de marque »,…).
La psychologue Carole Slotterback a entrepris d’analyser des lettres d’enfants américains au Père Noël durant quatre années, de 1998 à 2002. Après 2001 (soit l’époque des attentats du 11 septembre et de l’entrée en guerre des États-Unis), elle souligne une évolution dans le type et le nombre de vœux formulés par les enfants dans leurs lettres : le nombre de vœux formulés pour autrui augmente largement (« Père Noël, fais que mes parents soient heureux / en bonne santé /… »), le nombre de cadeaux demandé est moins important, le coût des cadeaux rêvés diminue, les formulations de type « suppliques »s’accentuent (« Je t’en prie/s’il te plaît ») et les phrases patriotiques deviennent plus fréquentes (« Dieu bénisse l’Amérique »).
Finalement, ces lettres, que l’on envisage a priori comme anecdotiques, laissent transparaître une grande richesse et pourraient constituer un outil particulièrement intéressant pour comprendre ce que les petites têtes des mini-personnes pensent de la société, ce qu’ils partagent comme angoisse, ce dont ils rêvent… Du moins jusqu’à ce qu’ils pigent que toute cette histoire de gros type en rouge descendant des cheminées n’est qu’une vaste fumisterie.
Et quand les mini-personnes découvrent le pot-aux-roses…
Je ne sais pas comment cela s’est passé pour vous, mais personnellement, j’ai découvert l’île des Pollypockets planquée dans la voiture autour de mes sept ans. Passé le bonheur ultime à la perspective de jouer avec le graal des jouets de 1994, je me suis tout de même demandé : hé, les parents, c’est quoi l’idée ? Si je me souviens bien, je ne suis pas allée crier tout de suite que je SAVAIS (des fois qu’on ne voudrait plus me donner de cadeaux), mais j’ai bien senti qu’on me prenait pour une petite buse à me dire d’aller me cacher en attendant le passage du Père Noël. Je n’ai pas non plus couru annoncer avec pertes et fracas la nouvelle à mon blondinet de petit frère – pas par envie de le préserver, non, plutôt parce qu’il avait une trouille absolue du mec en rouge (hinhinhin)***.
Pour
John Blair et son crew de psychologues, les enfants découvriraient généralement l’infâme vérité aux alentours de huit ans, un âge qui resterait constant au travers des époques (et malgré l’accessibilité des informations aujourd’hui).
Y a-t-il un impact sévère de cette grande révélation sur les enfants ? Pour l’évaluer, Carl Anderson et Norma Prentice se sont entretenus avec des enfants de 9 à 12 ans. Vous savez quoi ? Aucune perturbation majeure n’est relevée. Les enfants expérimentent sur le moment un léger sentiment de tristesse, un p’tit coup d’angoisse ; mais il ne semblerait pas y avoir d’impact majeur sur le moyen/long terme.
En réalité, l’impact serait plutôt à étudier du côté des parents, pour qui l’évènement serait plus douloureux – certains allant même jusqu’à jouer les parrains pour empêcher les aînés de révéler la supercherie aux plus jeunes. Bien sûr, il est probable qu’ils ressentent de la nostalgie de l’époque où eux-mêmes croyaient – et faire croire à ses enfants, c’est continuer de croire soi-même un peu, perpétuer la « tradition ». Peut-être aussi qu’en passant du côté de ceux qui savent, leurs enfants leur échappent un peu.
Pour Nicolas Gueguen, avec la disparition du mythe, c’est aussi une « astuce » éducative qui se carapate. Lorsqu’ils brandissent la menace du Père Noël (qui serait omniscient et verrait TOUT, même les croche-pattes en douce au cadet), les parents se déchargent : le méchant, c’est l’autre. Pas eux… Ce qui signifie que lorsque les enfants ne sont plus dupes, les parents doivent endosser le rôle de celui qui punit et assumer toutes leurs responsabilités.
Est-ce pour ces mêmes raisons que, même un peu adulte, même sans enfants, nous continuons à apprécier les fêtes de Noël ? Est-ce que la trêve de Noël nous rassure, en nous faisant croire pendant quelques jours que tout le monde est drôlement gentil et que le méchant, ce n’est pas nous ? Et si c’est le cas, est-ce très juste (et très sain) de le faire croire aux enfants ?
* Sachez que mon folklore familial pour Noël, c’est de manger des lasagnes. OUAIS, des lasagnes. ** Faites pas genre, je sais très bien que nous le placions tous dans nos commentaires composés en 2nde F, parce que « subséquemment », comme « en outre », ça claquait. *** N’allez pas croire non plus que je ne l’aimais pas et que j’étais sadique, je me suis rattrapée plus tard en allant terroriser un petit voisin pour récupérer des pogs que mon Mathiouze avait perdu (loyalement, je précise) (mais mon frère n’a jamais aimé perdre).
Pour aller plus loin
– L’article de Nicolas Gueguen en question (Certaines de ses publications sont également disponibles ici) – 12 études psychologiques de Noël – Un article sur les sapins de Noël – qui pourraient mettre mal à l’aise
— Illustrations Timtimsia
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Les Commentaires
Ce n'est pas un mensonge, c'est faire appel à l'imaginaire de l'enfant. Par définition un enfant est quelque chose en cours de construction, il ne sait pas bien ce qui est possible de ce qui ne l'est pas parce qu'il est en train d'apprendre, et le but n'est pas de lui apprendre au plus vite ! Je trouve ça merveilleux, moi, de profiter de cette possibilité pour apporter de la magie, une possibilité d'un personnage aussi extraordinaire qu'est le père noël (ou la petite souris, les cloches / le lapin de pâques, etc) et l'enfant fera le tri par lui même en grandissant et en apprenant. Il y aura que "traumatisme" s'il apprend la nouvelle avant qu'il soit prêt, mais ce n'est pas la plupart des cas, il n'y a qu'à voir la majorité des Madz qui disent ne même plus s'en rappeler.
Je suis même d'ailleurs pour qu'on continue à cultiver autant que possible l'imaginaire même adulte, qu'on arrête de dire que tout ce qui est émerveillement, imaginaire, magie, c'est pour les enfants, tout ça quand on est adulte, "c'est trop la honte". Ça n'empêche pas d'être un être tout à fait rationnel, et je trouve ça même vachement bénéfique. Parce que l'imaginaire c'est tout ce qui sort du possible ou du probable, et c'est donc se permettre d'être créatif, de sortir des carcans (c'est pas que ça la créativité, c'est aussi se permettre de se tromper, mais c'est une autre discussion). Je trouverais donc ça d'une tristesse infinie qu'on commence à blâmer ça même pour les enfants.