Vous voyez la façon dont, à certains moments, le temps paraît interminable et à d’autres les aiguilles filent en un clin d’œil ? Comme les minutes nous paraissent des heures pendant certains cours, alors que les journées paraissent des secondes lorsqu’on fait quelque chose que l’on aime ?
Le temps peut être envisagé de façon fixe et compté en secondes : c’est le « temps objectif », celui que dicte votre montre, que donne votre réveil, celui qui met tout le monde d’accord. Pourtant, nous ne percevons pas tou-te-s et le temps de la même manière – il existe également un « temps subjectif », qui dépendra de notre état, de l’attention qu’on lui prête, de l’activité (ou de la non-activité) que l’on est train d’effectuer, de nos émotions… Selon les mots de Sylvie Droit-Volet (dans Cerveau&Psycho), « la flèche du temps donne tout son sens à la vie » : nous sommes enfants, puis adolescents, puis adultes, puis vieux, nous suivons une frise chronologique, nous mangeons, travaillons, dormons, et le temps passe – parfois même, il déborde.
Quels facteurs influencent nos perceptions du temps ? Comment expliquer la subjectivité de notre perception ?
Arrêter de fumer rendrait le temps plus long ?
Dans son ouvrage Tout ce que vous devez savoir pour comprendre vos semblables, le psychologue Serge Ciccotti s’attaque au sujet (dans une partie intitulée « Pourquoi plus c’est bon, moins c’est long » – petit coquinou) et revient sur une étude menée par Klein, Corwin et Stine (2003) : ici, les sujets de l’expérience sont des individus non-fumeurs et des fumeurs réguliers, à qui l’on demande d’évaluer une durée de temps (qui, en vrai, est de 45 secondes). Les sujets fumeurs doivent donner cette estimation à deux reprises, une fois en n’ayant rien changé à leurs habitudes nicotin-iques et une autre fois après avoir arrêté de fumer pendant 24 heures.
Paf : alors que les estimations effectuées par les non-fumeurs et les fumeurs avant abstinence seraient plutôt précises et similaires, les évaluations des fumeurs après abstinence ne seraient plus les mêmes… Le temps leur paraîtrait plus long !
Et si la musique raccourcissait le temps ?
Ciccotti donne un autre exemple de facteur potentiel de « distorsion temporelle » : la présence de musique.
Dans une expérience menée par Stratton (1992), des sujets sont dans une salle d’attente – on diffuse aux uns une musique pop, les autres n’entendent rien. On demande ensuite à tous les participants d’estimer leur temps d’attente ; ceux qui ont été dans la salle d’attente avec musique auraient estimé le temps d’attente plus court que les autres.
Cette constatation a été rejointe par une expérience sur le même thème (menée par Guéguen et Lepy en 2001), montrant que lorsque nous sommes en attente téléphonique, le temps passe plus vite si une musique accompagne le message d’attente (personnellement, je pense surtout que certaines musiques d’attente peuvent vous balancer tout droit dans des abîmes de folie pure).
Et les films, alors ?
Dans un article pour Le Monde
, Marc Gozlan présente l’une des expériences menée par Sylvie Droit-Volet et Sandrine Gil (2011). Cette fois, les psychologues font visionner à des étudiants des extraits de films d’horreur (Scream, Shining…), d’autres dramatiques (Philadelphia, Dangerous Mind…) ou « neutres » (séquences météo…) ; avec l’objectif d’induire une sensation de peur, de tristesse ou aucune sensation particulière. Ensuite, les étudiants doivent évaluer la durée d’un stimulus visuel. Selon les conclusions des chercheuses, la perception du temps ne serait pas modifiée après vu les extraits dramatiques ou neutres. En revanche, la sensation de peur induite par les extraits de films d’horreur provoquerait une « distorsion temporelle » et mènerait à percevoir la durée du stimulus comme plus longue.
Qu’est-ce que le temps ? Pourquoi peut-il être distordu ?
Nous l’avons dit plus haut, le temps peut être objectif et subjectif, et nous pouvons le percevoir de manière « distordue » – c’est-à-dire que nous pouvons « vivre » le temps comme plus long ou plus court qu’il ne l’est en réalité.
Dans un dossier du magazine Cerveau&Psycho consacré au « sens du temps », Sylvie Droit-Volet apporte quelques éléments de réponse sur ce qu’est le temps, sur l’étude de celui-ci et nos perceptions subjectives.
Comme le montrent les expériences précédentes, pour analyser nos perceptions temporelles, les chercheurs-ses peuvent utiliser des « tâches de production de durées » (des sujets appuient sur un bouton pendant X secondes), de « reproduction » (des sujets reproduisent la durée d’un son) ou de « discrimination temporelle » (des sujets comparent deux durées). De ces expériences, selon les explications de Droit-Volet, on pourrait conclure que généralement, nous sommes capables d’estimer correctement le temps, mais nos estimations peuvent varier (d’ailleurs, plus la durée à évaluer est longue, moins nous sommes précis).
Comment ces estimations de temps peuvent-elles se former ? Pour la psychologue, les structures cérébrales utilisées dans la perception du temps ne seraient pas encore identifiées avec certitude (si vous souhaitez toutefois en savoir plus sur ce sujet plus « neuro », n’hésitez pas à creuser les liens du « Pour aller plus loin » à la fin de l’article). Pour l’heure, les chercheurs-ses utiliseraient la métaphore suivante : nous aurions une horloge interne, où des impulsions seraient accumulées régulièrement (comme un « tic tac interne »). Nous serions capables d’évaluer la durée du temps en comptant ces impulsions : plus nous recensons d’impulsions, plus la durée est longue. Lorsque notre attention est détournée de ce recensement d’impulsions, le temps passerait plus vite.
L’exemple précédent (le fait de trouver un stimulus plus long après avoir visionné des extraits de films d’horreur) serait ainsi dû aux conséquences « physiologiques » de la peur : lorsqu’on a peur, notre corps est éveil, nos pupilles se dilatent, notre rythme cardiaque augmente, nos muscles se contractent, etc. Tout ça accélèrerait le rythme de notre horloge interne – et comme il y aurait plus d’impulsions… le temps paraîtrait plus long !
Si l’on continue le raisonnement, lorsqu’on vous demande d’effectuer une action alors que vous êtes stressé, vous arrêterez cette action plus rapidement – l’horloge interne va plus vite, ce qui amène à plus de « tic tac »… On croit donc atteindre la durée fixée plus vite !
Le temps pourrait donc changer d’allure à tout moment et sous l’effet d’une bonne tripotée de facteurs : nos émotions, la dopamine, notre environnement, les médicaments (ou drogues) que l’on prend, les personnes face auxquelles on est, notre âge… Lorsqu’on détourne notre attention, lorsqu’on s’amuse, on loupe les « tics » et les « tacs » de notre horloge – le temps semble alors filer plus vite. En somme, comme le conclue Sylvie Droit-Volet pour Le Monde : « Il n’existe pas un temps unique, homogène, mais plutôt de multiples temps dont on fait l’expérience. Nos distorsions temporelles sont le reflet direct de la façon dont notre cerveau et notre corps s’adaptent à ces temps multiples, ces temps de la vie ».
Pour aller plus loin :
- L’article du Monde, fouillé et drôlement intéressant
- Deux expériences de Guéguen et Jacob, l’une sur les musiques d’attente au téléphone, l’autre sur les musiques d’ambiance online
- La thèse de Sandrine Gil, sur le temps et les émotions
- Le dossier de Cerveau&Psycho, malheureusement payant, mais extrêmement bien construit
Les Commentaires
Sinon article très intéressant! C'est vrai que quand un cours est chiant on a l'impression qu'il dure une éternité, on compte les secondes, alors que quand on fait un truc qu'on aime ça passe si vite...