Que fait une naissance à la vie érotique ? Si le corps post-partum manque de représentations, la sexualité après un accouchement n’est pas davantage montrée dans la pop culture.
Une des rares scènes que j’ai vue à ce sujet figure dans le film Un heureux événement de Rémi Bezançon, dans lequel Louise Bourgoin joue une femme aux prises entre l’écriture de sa thèse et son nouveau rôle de mère. Alors qu’elle tente de s’extraire du lit pour se rendre dans la chambre du bébé qui pleure, son conjoint la force à poursuivre un rapport sexuel qui semble subitement lui redonner goût au sexe… Une séquence « culture du viol » assez dévastatrice si l’on cherche des images auxquelles s’identifier.
Dans la plus recommandable série Workin’ Moms de Catherine Reitman, l’héroïne lesbienne Frankie, qui vient d’avoir un bébé avec sa compagne, parle quant à elle de son absence de désir en raison d’une dépression post-partum :
« Je suis comme ça, genre : “Toc-toc, est-ce que tu es encore là ?” Ma libido, je veux dire. »
Dépression post-partum, déchirure et pression sociale
Camille, 38 ans, m’a justement parlé de dépression, une complication fréquente du post-partum, et qui a des effets sur la sphère intime. Elle a répondu à mes questions par messages pendant la tétée de son deuxième enfant, né il y a un mois :
« Mon premier accouchement a été dantesque, long, douloureux, traumatique. J’ai fait une dépression post-partum, j’avais un corps en vrac, des points de suture. »
Camille refait l’amour quatre mois plus tard, mais son clitoris la fait souffrir à cause d’une déchirure.
« Ça me faisait douiller à la moindre excitation. Je pense que cette situation a pas mal contribué à ma dépression, car pour moi, la sexualité est quelque chose de capital. Pourtant, aucun médecin ne semblait s’en soucier, malgré mes demandes. Un gynéco m’a même dit que ça ne “relevait pas de son domaine de compétences” !
À côté de ça, à chaque visite médicale, on me demandait si j’avais repris une activité sexuelle. J’ai eu l’impression que le corps médical, mes potes, la société voulaient que je “remette le couvert”, alors que j’essayais de me reconstruire. Mon mec, lui, a été parfait et je pense qu’il n’était pas prêt non plus, contrairement à cette vision de la masculinité qui voudrait que les hommes aient forcément envie tout le temps. »
Sexe après un accouchement : « Pas de règles pour la reprise »
Pour Laura Berlingo, gynécologue-obstétricienne qui vient de publier Une sexualité à soi – Libérée des normes (Les Arènes), il n’y a pas vraiment de règles quant à la « reprise » de la sexualité après une naissance.
« Certaines personnes reprennent après un mois, d’autres après un an. Pour certaines, c’est important de retrouver son corps via une sexualité active, mais pour beaucoup, ce n’est pas la priorité. Ni l’un ni l’autre ne doit être un dogme. C’est quand on a envie et quand on est disponible.
Si l’on parle de rapports sexuels avec pénétration, d’un point de vue médical, on dit que c’est bien d’attendre la fin des lochies, ces saignements qui surviennent après l’accouchement et qui peuvent durer de quelques jours à plusieurs semaines. Car ces saignements signifient que le col de l’utérus est encore ouvert et qu’il y a un risque théorique d’infection. Cela dépend aussi de l’accouchement. Si c’était par voie basse ou par césarienne, s’il y a eu une épisiotomie [NDLR : une incision pratiquée dans le bas du vagin pour faciliter le passage du bébé], une déchirure ou un périnée intact, ce n’est pas pareil. »
Après l’accouchement, un rapport au corps bousculé
Plusieurs femmes évoquent le rapport au corps bousculé, d’un point de vue aussi bien personnel que social, comme un élément qui pèse sur la sexualité. C’est ce qu’a observé la doctorante en sociologie et militante féministe Illana Weizman, autrice de Ceci est notre post-partum – Défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper (Éditions Marabout).
« On nous enjoint à devenir mère, mais on ne veut pas voir les conséquences de l’accouchement. Il y a une volonté claire de cacher le corps post-partum, car il ne répond plus à aucune injonction esthétique. C’est un corps qui a rempli son rôle social d’enfanter et quand l’enfant le quitte, ce corps devient un truc flétri qu’on laisse de côté. Il est affaissé, il fuit, il y a du sang, du lait. Dans le post-partum immédiat, il est désexualisé.
Ensuite, il y a le retour de la charge sexuelle, la charge de la désirabilité qui revient aux femmes, où il faudrait être à nouveau attirante, perdre ses kilos de grossesse et reprendre une activité sexuelle ».
Estelle, 34 ans, mère d’une fille de 4 ans et enceinte d’un deuxième enfant, me confie avoir eu du mal avec son corps de femme ayant accouché.
« Pour être au taquet et pour avoir envie de faire l’amour, il faut que je m’aime, que j’aie envie de me baiser ! Alors que là, j’avais des cernes, le ventre flasque, du lait qui coule des seins. J’avais plus l’impression d’être une vache laitière qu’une femme. Je n’ai pas été tendre avec mon corps, alors qu’il a mené à terme un bébé, ce qui est trop cool ».
À ce moment-là, la crainte de souffrir engendre des angoisses qui jouent dans son rapport à la sexualité.
« J’avais peur des conséquences, peur de déchirer mon épisio. Parfois, je sentais mon désir arriver et je le faisais taire. »
Sexualité après un accouchement : « La plupart du temps, on retrouve les mêmes sensations »
La gynécologue Laura Berlingo se veut rassurante à ce sujet et explique qu’il ne faut pas hésiter à regarder sa vulve avec un miroir, pour réapprivoiser son corps.
« On a souvent cette impression qu’il y a un trou béant, alors que le périnée cicatrise très bien. En quatre à six semaines, on retrouve un périnée d’aspect comme avant. Ensuite, je conseille de faire la rééducation périnéale, avant tout pour se réapproprier cette zone et la voir différemment. La plupart du temps, on retrouve les mêmes sensations. »
C’est ce qui s’est passé pour Estelle qui avait peur d’avoir mal à cause de son épisiotomie :
« Finalement, six semaines après avoir accouché, on a fait des “préliminaires” avec mon mari et j’ai eu un orgasme. Pour la pénétration, c’était plutôt trois mois après. »
Même chose pour Camille, dont le clitoris la faisait souffrir. Avec le temps, les douleurs se résorbent petit à petit et le plaisir revient.
« Je pensais devoir faire le deuil de mon corps d’avant. En fait, il a peu, voire pas changé, tout comme ma vie sexuelle. On a moins de temps et on est plus crevés. Mais une fois mon corps réapproprié, c’est comme avant ».
Réussir à avoir un orgasme, une revanche après tant de souffrance
Dans certains cas, la douleur physique est un obstacle à l’épanouissement sexuel sur une période plus longue. C’est ce qu’a vécu Andrea, 41 ans, après la naissance de son fils il y a quatre ans.
« Au moment de l’accouchement, j’ai eu des déchirures et une légère descente d’organes. Puis mes chairs ont gonflé et on a dû faire sauter mes points de suture. C’était beaucoup de douleur. Au bout de quatre mois, on a essayé de refaire l’amour, mais j’avais trop mal.
Après dix ans de sexualité épanouie, on a dû réapprendre. Certaines positions étaient compliquées et tiraient sur la cicatrice du périnée. Mon plancher pelvien était très détendu. Mon conjoint était complètement flippé et je devais le guider. Il m’a bien proposé un cunni tout doux, mais j’ai dit non.
Notre vraie “deuxième première fois”, c’est quand j’ai réussi à avoir un orgasme à nouveau, un an après. Ressentir quelque chose de positif à cet endroit-là qui avait été tellement en souffrance, c’était comme reprendre possession de ce corps qui ne m’appartenait plus. »
Les violences obstétricales et leurs conséquences sur la libido
Jihane, 38 ans et mère de deux enfants, parle quant à elle de ce qu’elle a vécu comme des violences obstétricales lors de son deuxième accouchement et de leurs conséquences sur sa libido.
« Les choses se sont mal passées avec la sage-femme, c’était violent et je n’avais plus du tout les mêmes sensations après l’accouchement. Je ne réagissais plus aux mêmes choses. J’avais besoin de beaucoup de caresses. Ma libido était moins mécanique et il fallait davantage faire monter le désir. Je voyais mon vagin comme une zone sinistrée et j’avais besoin qu’on agisse avec lui avec beaucoup de douceur, qu’on lui dise des trucs gentils. »
Marine, 27 ans, qui a accouché il y a deux mois, évoque de son côté le sentiment de solitude pendant le congé maternité, moment où les tâches quotidiennes de soin pèsent majoritairement sur les épaules des mères.
« Le papa travaille, et il n’y a personne pour prendre le relai la journée. Je m’occupe de tout, je ne vois personne. Quand j’ai donné toute mon énergie au bébé, je n’ai pas envie de faire des câlins. »
Pour la gynécologue Laura Berlingo, cet enjeu pose la question de l’absence de préparation et du manque d’accompagnement à la parentalité durant cette période.
« Dans certaines situations, la solitude du post-partum peut s’avérer le meilleur contraceptif… Quand tu es seule et qu’il n’y a aucun lieu pour trouver du soutien et s’occuper du bébé et qu’ensuite, tu dois reprendre le travail, tu ne peux pas te reposer. Le post-partum ne s’arrête pas au bout de trois mois : il peut durer un an, voire deux ou trois ans. »
Sexe après un accouchement : « pensez à votre mari quand même ! »
Le sexe post-partum soulève aussi la question des rapports de domination genrés, du consentement et des violences sexuelles quand celui-ci n’est pas respecté. La militante féministe et sexologue Lucie Groussin y a consacré un mémoire, Le coït du post-partum : quel consentement ?, dans lequel elle a interrogé vingt-six mères en couple hétérosexuel.
Sa lecture est assez déstabilisante, beaucoup de femmes rapportant des pressions de la part de leur conjoint à « reprendre » des rapports sexuels et témoignant de leur propre intériorisation des discours sociaux sur les « besoins » supposés du partenaire. Certaines de ses témoins disent se forcer pour « sauver » leur couple et ne pas se « retrouver toute seule ».
Dans d’autres cas, ce sont les discours de l’entourage ou de soignant·es qui sont mal vécus et perçus comme culpabilisants. Selon la sexologue, la période du post-partum est un amplificateur des discours normatifs sur la notion de « ce qui fait couple ».
« Les injonctions sont fortes dans ce domaine, avec l’idée reçue que l’absence de rapports sexuels mettrait le couple en danger. Il y a une notion d’auto-contrainte et de “devoir conjugal” qui peut mener à des situations de viols conjugaux. »
Pour lutter contre ce problème, la militante plaide pour un dépistage des violences pendant la grossesse et lors de la consultation médicale post-natale.
« Il y a aussi un manque d’espace de parole sur la sexualité après l’accouchement et les femmes se retrouvent esseulées par rapport à cette question. Certaines ne se sentent pas soutenues dans la réappropriation de leur corps et cela a des conséquences sexologiques importantes ».
Quand la sexualité est encore plus épanouie après un accouchement
D’autres témoignages rendent compte à l’inverse du respect et de l’empathie entre les deux parents, et de la sexualité post-accouchement comme un moment de joie.
Ce fut le cas pour Coline, qui m’explique avoir souffert d’une dépression pendant sa grossesse due aux bouleversements hormonaux et à un syndrome des ovaires polykystiques, et s’être sentie libérée après avoir accouché par césarienne.
« Ma libido est revenue tout de suite et j’ai recommencé à faire des jeux sexuels sans pénétration quand mon fils avait à peine une semaine, alors que je ne pensais pas refaire l’amour avant longtemps.
Je n’en parle pas trop, pour ne pas mettre la pression aux autres, mais j’étais à fond. Ma cicatrice sur le ventre me faisait un peu mal, mais sinon je n’ai pas eu de problème avec mon corps. L’allaitement a même été une révélation pour moi. Je me sentais hyper sexy et puissante. »
Pour certains couples, avoir un bébé entraîne même un renouveau d’un point de vue sexuel. Une femme a ainsi expliqué à Lucie Groussin qu’après avoir eu deux enfants avec son conjoint, il n’y avait plus eu de tabous entre eux.
« Cette expérience a libéré quelque chose dans leur couple et leur sexualité est devenue plus exploratrice après. Beaucoup de femmes rencontrent des difficultés, mais pour d’autres, c’est comme si l’accouchement avait débloqué quelque chose. »
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