Ce n’est pas sans doute ni la première ni la dernière fois que nous nous disons ça : nous avons souvent de drôles d’habitudes et de croyances.
Parfois, lorsque j’attends une réponse importante, je compte les voitures vertes : si j’en vois plus de quatre, je me dis qu’alors, il m’arrivera ceci. D’autres ont des manies différentes – par exemple, cela peut être l’heure du coucher qui compte, ou le pied avec lequel on se lève… Je connais même un garçon tout à fait exquis qui, s’il se douche après 23h, craindra de passer une sacrée mauvaise journée le lendemain.
Sommes-nous un peu maboules ? À quoi nous servent ces habitudes et petites superstitions ?
La pensée magique
Ces « rituels » et croyances peuvent être rapprochés de ce que l’on appelle « la pensée magique », qui est un biais de raisonnement par lequel on interprète un évènement comme étant la cause d’un autre, sans avoir aucune preuve qui puisse expliquer le lien de causalité. Autrement dit, deux trucs se produisent, et nous pensons que l’un a causé l’autre… sans que rien ne puisse le prouver.
La pensée magique peut être transmise (il faudrait veiller à ne pas croiser les couverts) ou inventée par chacun-e : des sportifs pourront ainsi décider de manger tel aliment avant leur compétition parce que cela leur porterait chance.
En bref, une fois encore, nous voyons que nous ne sommes pas toujours des êtres rationnels, que nous traitons les informations un peu à notre sauce et que nous sommes soumis à tout un tas de biais, sans vraiment en avoir conscience. Dans un article pour la Revue électronique de psychologie sociale, Emmanuèle Gardair explique que, selon la définition du chercheur Schweder (1977), la pensée magique pourrait exprimer la tendance universelle à chercher des liens symboliques et signifiants entre les choses et les évènements… Entre le nombre de voitures vertes croisées et la réussite à un exam, par exemple. Entre le fait de croiser ses doigts et d’avoir de la chance.
Dans nos petites têtes farfelues, nous pouvons aussi faire des liens entre un objet et un effet, accorder une importance symbolique à certaines choses : on évitera de déchirer la photo d’un proche par crainte qu’il arrive quelque chose de négatif à cette personne, de perdre un bijou offert par un être cher, etc.
Le truc, c’est que la pensée magique reste imperméable à l’information ou l’expérience : on a beau savoir que ce n’est pas logique, voir que ça ne marche pas vraiment… on continue tout de même le manège ! En fin de compte, la pensée magique, ce serait un peu avoir l’illusion d’un pouvoir surnaturel.
Mais pourquoi fait-on ça ?
Le phénomène de la pensée magique, et plus généralement les biais de raisonnements, pourraient résulter de l’application d’heuristiques – c’est-à-dire que l’application d’opérations « cognitives » rapides et intuitives.
La pensée magique permettrait d’aller plus vite, de simplifier les choses… et surtout de réduire l’incertitude et reprendre un semblant de contrôle. Imaginons que vous ayez un partiel, ou un entretien d’embauche dans les jours qui viennent. Il y a pas mal de chances pour que cette perspective vous angoisse un peu, que vous ressentiez de l’incertitude au sujet de ce qu’il se passera pendant l’épreuve ou l’entretien, de vos résultats… Dans ce cas-là, avoir recours à une pensée magique vous permettra de récupérer un peu de contrôle sur la situation et de vous donner une réponse («
Ah, j’ai bien vu les 46 Twingos vertes, c’est sûr, je vais envoyer du gros pâté »).
Pauvre Hermione. Elle n’a vu que 45 Twingos vertes.
Les chercheurs interprètent le mécanisme de plusieurs façons. Pour certains (Taylor, 1981), nous utiliserions ce type de pensée par souci d’économie cognitive (pour pouvoir éviter l’effort d’analyser l’information et la situation)… Mais ce n’est pas parce que nous faisons parfois l’expérience de la pensée magique que nous utilisons systématiquement ce type de pensée !
Ainsi, pour d’autres chercheurs, la pensée magique pourrait être issue d’une stratégie adaptative – c’est-à-dire qu’en fonction des contextes et des interactions sociales, nous ferions soit appel à une pensée magique (un raisonnement biaisé), soit une pensée « scientifique » (une démarche rationnelle). Dans certaines situations, la pensée magique serait la plus adaptée au contexte et rapporterait plus de bénéfices qu’un raisonnement scientifique (à l’approche d’un examen, la pensée magique pourrait par exemple permettre de diminuer un peu le stress, tandis qu’avoir une démarche rationnelle pourrait être anxiogène).
Selon Giora Keinan, la pensée magique serait d’ailleurs plus présente lorsque nous nous sentons impuissants – dans une étude, la professeure a constaté que les individus qui rapportaient les niveaux les plus élevés de stress avaient une plus grande tendance à adopter des pensées magiques…
C’est grave docteur ?
N’est-on pas un peu frapadingue lorsqu’on utilise la pensée magique ? Pas forcément : tout le monde peut utiliser une forme de pensée magique à un moment ou à un autre, de façon plus ou moins importante. Pour la plupart d’entre nous, elle n’a pas de conséquence négative puisqu’elle n’empêche pas d’utiliser d’autres modes de pensée et que nous pouvons reconnaître que notre croyance n’a pas vraiment de sens…
En revanche, pour certain-e-s, la pensée magique peut prendre trop d’importance et devenir un trouble psychologique – par exemple dans le cas de personnes faisant l’expérience de troubles obsessionnels compulsifs qui handicapent la vie quotidienne, ou encore lorsque la pensée magique devient centrale dans la vision du monde (ce sera notamment le cas pour les adeptes de certaines sectes).
Le truc, dans la pensée magique, ce serait donc le dosage et la conscience de l’aspect magique de la chose – si vous avez un rituel qui vous rassure, en ayant conscience qu’il n’a peut-être pas beaucoup de sens, et sans qu’il ne devienne obsessionnel, alors le rituel pourra avoir des effets tout à fait positifs…
Pour aller plus loin :
- L’article Heuristique et biais : quand nos raisonnements ne répondent pas nécessairement aux critères de la pensée scientifique et rationnelle, d’Emmanuèle Gardair, pour le 1er numéro de la Revue électronique de psychologie sociale
- Obsession et pensée magique, Sciences Humaines
- Sur Psychomédia, quelques trucs sur la pensée magique
- Un article fourni de Psychology Today
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