Je suis Noura Iffa, j’ai 33 ans, et je suis Marocaine. Au quotidien, je suis fonctionnaire d’État, mais depuis janvier 2020, je ne travaille plus : j’ai pris un congé sabbatique de deux ans, pour me consacrer à un projet bien particulier.
Sillonner l’Afrique à vélo, et en solo
Le jour de mon 32e anniversaire, le 6 janvier 2020, j’ai décidé de partir pour sillonner l’Afrique à vélo ! Mon itinéraire initial partait d’Égypte pour aller vers le Soudan et l’Éthiopie, avant de passer voir entre autres : la faune et la flore du Kenya, les plages paradisiaques de Tanzanie, les chutes de Victoria en Zambie… Et enfin, de rejoindre l’Afrique du Sud.
Un cadeau spécial que je m’offrais, et qui portait un sens bien plus large que mon simple amour du voyage.
Certes, c’est l’occasion pour moi de découvrir mes limites et mes possibilités, tout en découvrant mon continent dans une démarche purement écolo, et sans le dégrader. Mais c’est aussi un outil pour faire changer le regard que le monde porte sur l’Afrique, et sur les femmes africaines.
Changer le regard que le monde porte sur l’Afrique
Aux yeux de nombreuses personnes, ce projet sonnait comme un défi complètement fou. Parce que, quand on dit « Afrique », l’imaginaire collectif a tendance à penser aux guerres civiles, aux attentats, aux maladies ou aux animaux dangereux…
Quand j’ai commencé à préparer mon voyage, les réactions étaient toujours inquiètes : on me disait d’aller faire ça en Europe, ou que j’allais me mettre en danger. C’est absolument faux ! La réalité n’est pas aussi simpliste, et ces craintes sont souvent ancrées dans des préjugés de longue date.
À travers ce voyage, je voulais montrer d’autres facettes de mon continent : ses beautés, ses richesses, sa diversité… Et montrer que c’était possible, de faire tout ça seule et à vélo, en étant une femme ! Je voulais que d’autres se sentent capables de tenter l’aventure, si elles en ont envie.
Les préparatifs du voyage
Pour être honnête, même si je n’avais jamais voyagé à vélo de ma vie, je n’ai pas prévu de préparation physique particulière à ce périple. J’ai acheté mon vélo 6 mois avant le départ, et essayé de faire entre 30 et 40 kilomètres de balade tous les jours après le boulot. Juste de quoi m’habituer à être sur la selle le plus longtemps possible, et que mon corps s’y adapte.
Je faisais aussi un peu de fitness à la salle de sport… J’étais très loin de l’entraînement extrême !
Pendant ces préparatifs, j’ai longuement cherché des retours d’expériences sur internet. Je suis tombée sur des récits de voyages similaires racontés par des hommes, qui m’ont été utiles, mais n’étaient pas forcément représentatifs de ce à quoi je pouvais m’attendre. En effet, les problématiques de ce genre d’aventure sont très différentes, si l’on est un homme ou une femme.
J’ai réalisé qu’il était très difficile de trouver des femmes maghrébines qui auraient vécu ces aventures. Bien sûr, il y avait des similitudes quand une femme française ou italienne me racontait son parcours. Mais nous venons de milieux et de cultures très différentes ! Et avoir quelqu’un qui nous ressemble et qui l’a déjà fait, ça aide à se sentir légitime et à oser se lancer.
Comme je n’ai trouvé personne, je l’ai aussi fait pour qu’il existe une référence. J’espère que cela pourra aider les femmes maghrébines à se sentir libres de voyager en Afrique.
D’ailleurs, depuis que j’ai commencé à partager cette aventure sur les réseaux sociaux, quatre ou cinq femmes, mais aussi des hommes que j’ai rencontrés sur la route m’ont dit qu’ils s’étaient lancés eux aussi. J’en suis très heureuse !
Tout a commencé en Égypte
Le 6 janvier 2020, je suis donc partie pour l’Égypte, point de départ de mon circuit, avec mon vélo dans la soute de l’avion.
Je suis arrivée au Caire, où j’ai passé une semaine, avant de rouler pendant presque un mois. Tellement excitée de commencer enfin mon voyage, j’ai fait 100km le premier jour ! J’en ai eu des courbatures pendant trois jours, mais j’ai vu des endroits magnifiques.
Je me suis arrêtée à Dahab , un spot international de plongée, puis j’ai pris la route de Saaid, qu’on appelle « La route de l’agriculture », le long du Nil.
Pendant ce trajet, j’ai été escortée par la police. Quand je m’en suis rendu compte, j’ai pensé que c’était parce que j’étais une femme, et que ce que je faisais était interdit. En réalité, j’ai appris que c’était une escorte obligatoire pour les touristes qui voyagent à moto, en vélo, et même en bus de tourisme !
D’après ce que j’ai compris, il y a longtemps, des touristes ont été kidnappés par des terroristes. Depuis, on ne laisse aucun étranger pédaler seul en Égypte, en tout cas sur cette route.
Les aléas de la route sous escorte
J’en ai été agacée — voire furieuse — mais un membre des forces de l’ordre plutôt sympa m’a promis qu’ils ne me dérangeraient pas, et qu’ils seraient à 1km devant moi sur la route.
Au fur et à mesure de mon voyage, il a commencé à s’arrêter pour faire le guide touristique, m’a présenté du monde… et me prenait même en photo sur la route, quand je le demandais !
Quand j’ai atteint la ville de Qenna, proche des tombes des pharaons Luxor, cette escorte a pris fin : j’étais arrivée dans une zone plus touristique, et la police m’a expliqué que ce n’était plus nécessaire. Je n’ai jamais vraiment compris l’utilité de tout ça, puisque tout au long de cette route, je n’ai rencontré que des gens très agréables dans les petits villages.
Mais j’imagine que, comme partout dans le monde, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre. Ensuite, j’ai traversé la frontière du sud pour aller découvrir le Soudan et son grand désert.
Le Soudan, l’Éthiopie… Et la fin du voyage
Il a été très compliqué d’obtenir un visa soudanais, mais je l’ai eu. Après mon entrée sur le territoire, j’ai eu quelques surprises : il n’est pas possible d’utiliser une carte bancaire sans être résident du pays !
Je n’en avais aucune idée, et je me suis retrouvée avec l’équivalent d’une soixantaine d’euros sur moi, à me dire que j’allais galérer jusqu’à la prochaine frontière.
Au final, grâce à des rencontres et à l’aide qu’elles m’ont apportée, je m’en suis sortie.
J’ai beaucoup campé, parfois, des gens m’hébergeaient chez eux et nous dinions ensemble… Je me suis sentie très en sécurité dans ce pays sur lequel on entend tant de choses négatives. Mais je sais aussi qu’au sud de l’État, il y a des conflits et que les choses se passent d’une manière très différente.
Et puis, au début du mois de mars, je suis entrée en Éthiopie, le troisième pays de cette aventure. Mais tout a changé soudainement : le monde entier a commencé à parler du Covid, et les pays ont fermé leurs frontières un par un.
Deux semaines après mon arrivée, le Maroc a fermé ses frontières et ne laissait plus entrer personne, y compris ses citoyens. Je n’avais donc plus la possibilité de rentrer, mais je n’y pensais même pas : je voulais rester en Éthiopie, en attendant que la situation se débloque.
Comme nous le savons toutes et tous, la situation a duré bien plus longtemps que prévu, et j’y suis restée du mois de mars au mois d’août. En juillet, j’ai attrapé le coronavirus, qui m’a couté mon odorat qui n’est toujours pas revenu ! Mon visa a expiré, et j’ai dû rentrer au Maroc après une escale en Turquie, où l’aéroport a égaré mes bagages.
Eh oui, je ne suis pas une voyageuse très chanceuse… Mais fin août, j’ai réussi à rentrer chez moi, à Essaouira.
Pédaler au Maroc pour la journée des droits des femmes
J’espérais que ce film d’horreur nommé Corona prenne fin avec l’année 2020, et pouvoir reprendre mon voyage. Malheureusement, ce n’est pas arrivé, et j’ai passé plusieurs mois chez moi, à subir des restrictions de déplacement très strictes.
Quand les règles se sont adoucies, en mars, j’ai eu envie de voyager dans mon propre pays à vélo, une première pour moi. Et quelle meilleure occasion pour ce faire que la journée internationale des droits des femmes ?
Pour attirer l’attention sur les luttes pour leurs droits des femmes marocaines et pour leur rendre hommage, je me suis lancée dans 1977 kilomètres à vélo, en référence à l’année de création de la journée internationale des droits des femmes. Je suis passée de l’Atlantique au désert et aux montagnes de l’Atlas. C’était riche en paysages, et passionnant de découvertes et de rencontres.
Mais aujourd’hui, je n’ai qu’une envie : reprendre mon projet de voyage. Son sens est d’autant plus important pour moi qu’après ces premières destinations, mon propre regard a changé.
« Je n’imaginais pas les richesses de mon continent avant ce périple »
Je n’imaginais pas la richesse de mon continent avant d’entamer ce périple, tant d’un point de vue naturel que culturel. Partout dans le monde, on imagine les femmes africaines comme des personnes soumises ou aliénées, on croit voir de grands dangers dans certains pays. J’ai découvert une réalité bien différente !
En Éthiopie, les femmes sont libres de porter ce qu’elles veulent, y compris des mini-jupes, et personne ne les harcèle dans la rue. Au Maroc, nous n’y sommes pas encore ! On me disait aussi qu’en Égypte, les femmes se font harceler de partout, et j’y suis allée avec des craintes. Pourtant, même seule dans les transports en commun du Caire la nuit, je n’y ai vécu aucune mauvaise expérience.
Évidemment, je ne minimise pas le vécu des autres : je sais bien qu’en voyage, on ne sait jamais ce sur quoi on va tomber. Mais il est important de nuancer les descriptions monolithiques que l’on nous offre.
Et la suite ?
Après un an et trois mois d’arrêt de mon voyage à vélo, j’ai décidé de terminer une partie de mon projet, et de reprendre mon trajet du Kenya à l’Afrique du Sud. Mais sans avoir réussi à trouver de sponsor, après cet arrêt, je n’ai plus les fonds pour pouvoir continuer. J’ai donc lancé une cagnotte sur gofundme, pour pouvoir faire vivre encore un peu cette aventure africaine au féminin !
Si je tiens autant à pouvoir terminer ce voyage, c’est parce que je pense qu‘il est possible de faire évoluer les préjugés qui pèsent autant sur l’Afrique.
Grâce aux réseaux sociaux, nous avons le pouvoir de proposer des images d’un nouveau genre au reste du monde. C’est aussi le moyen le plus rapide de trouver des informations ! Quand on fait des recherches sur certains pays d’Afrique, les résultats ne montrent que des problèmes, des maladies, des choses négatives… ce sont ces informations qui se diffusent le plus. Avec la documentation de mes aventures, il est possible de voir d’autres choses.
L’Afrique offre une richesse immense de paysages, de cultures, et d’expériences. Moi, je ne savais pas qu’il y avait des pyramides au Soudan jusqu’à ce que j’y pédale, ou qu’il y avait des spots de plongée incroyables dans la Mer rouge. Et si vous n’aimez pas pédaler, en fonction de votre budget et de votre destination, tout est possible ! Il faut juste oser changer de regard.
Si vous souhaitez aider Noura Iffa à poursuivre son parcours, vous pouvez la soutenir financièrement grâce à sa cagnotte Gofundme.
Vous pouvez aussi suivre ses aventures sur Instagram, et sur Facebook !
À lire aussi : REPLAY — Pourquoi (et comment) partir seule en voyage ?
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Les Commentaires
Je me suis tout de suite abonnée à son compte instagram du coup, j'espère qu'elle va pouvoir finir son périple!