Héloïse et Pierre sont heureux. Ils attendent leur premier enfant et sont en vacances à la montagne. À six mois de grossesse, Héloïse se repose, mais une nuit, des contractions vont se faire sentir et elle va devoir accoucher à l’hôpital le plus proche d’un bébé grand prématuré.
Héloïse des Monstiers raconte dans Peau à Peau le récit de cet accouchement difficile et des mois qui ont suivi, le long combat pour la vie. Les joies, les galères… l’ancienne journaliste narre avec finesse et beaucoup d’émotions tous les moments qui ont jalonné ce long parcours pour sortir de l’hôpital.
Ayant connu la prématurité avec mes jumeaux, je ne peux que reconnaître les espoirs et les peurs inhérents à cette période terrible et beaucoup de scènes ont fait écho à ce que j’ai connu. C’était une lecture assez bouleversante, qui m’a beaucoup émue. Il me semble qu’elle peut être intéressante pour tous et toutes.
60 000 naissances en France chaque année sont considérées comme prématurées. Cette lecture permettra aux familles d’être mieux préparées, mais aussi aux proches de comprendre les difficultés qu’elles traversent, et ainsi d’être aidants et emphatiques.
Une lecture que je recommande à toutes et tous ! J’ai rencontré Héloïse avec qui nous avons parlé de ce récit poignant. Nous avons été également éclairées sur certains aspects par Aline Rideau Batista Novais, pédiatre en réanimation néonatale à l’hôpital Robert Debré à Paris, présente lors de l’interview.
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Est-ce que l’on ne parle pas assez de la prématurité ? Vous dites dans le livre que vous n’étiez pas du tout préparée à ça ?
Ça touche quasiment une naissance sur dix mais beaucoup de femmes n’en ont jamais entendu parler. On va parler beaucoup des risques de la grossesse, de faire attention, etc. J’ai l’impression qu’on entend plus parler des bébés qui naissent post-terme que des bébés qui naissent avant.
C’est un sujet dont on parle très peu car on ne veut pas inquiéter les femmes enceintes. On se dit qu’elles ont déjà tellement d’angoisses qu’il ne faut pas entraîner du stress inutile mais moi j’ai la conviction qu’il faut en parler. Si vous découvrez le sujet le jour où ça vous arrive, vous tombez de votre montagne. Tout est angoissant, la couveuse, l’intubation, la réanimation…
Les gouvernements successifs font beaucoup d’efforts pour aborder les sujets liés à la parentalité. On voit aussi aujourd’hui tous les débats qu’il y a autour de l’endométriose, tant mieux si la parole se libère. Le sujet de la prématurité ne s’est pas encore libéré, alors qu’il touche tellement de personnes.
On nous annonce au début, lorsqu’on a un enfant prématuré que ça va être les montagnes russes. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Dans nos vies à 100 à l’heure, on adore se projeter, on envisage la vie au quotidien comme une projection de ce qui va arriver (les prochaines vacances, etc.). Quand votre bébé entre dans le service de réanimation, vous ne pouvez pas vous projeter. Vous savez quand vous entrez mais vous ne savez quand vous en sortirez. Les médecins ne savent pas.
Ce qui est dur dans ces montagnes russes, ce n’est pas seulement que parfois tout va bien et parfois tout va mal, c’est qu’on n’a aucune perspective. Il va falloir apprendre à vivre sur un tempo très différent de celui qu’on connaît. Chaque jour qui passe est un jour de gagné. Aujourd’hui, un jour de plus.
Un enfant qui est né avant terme, c’est un enfant qui est extrêmement fragile. Certains jours, il va aller bien, et certains jours parce qu’on lui en a trop demandé, parce qu’il est fatigué ou parce qu’il y a un virus, il va ralentir, voir il va descendre une marche. Ces retours en arrière sont extrêmement difficiles à vivre. On a toujours envie de se dire que la vie de cet enfant est une ligne droite. C’est un chemin compliqué mais on a un but. Quand on rétrograde, c’est très violent. La prématurité, c’est pas un chemin linéaire. Cela nécessite beaucoup de temps, de résilience et d’amour.
Il y a pas mal de fausses croyances qui circulent sur la prématurité, quelles sont-elles ?
La première, c’est celle que les mères portent en elles, que si cet enfant est né trop tôt, c’est forcément de leur faute. C’est cette culpabilité qu’on porte, pendant très longtemps. C’est nous qui portons les enfants, ça indiquerait qu’on en a trop fait, qu’on ne s’est pas assez écoutées, qu’on a déconné d’une certaine façon. La première fausse croyance, c’est de penser que la mère y est forcément pour quelque chose.
Il y a énormément de causes et la mère n’est pas la principale. Il peut y avoir la grossesse gémellaire, un stress au boulot, une maladie, un virus. Il peut aussi n’y avoir aucune cause, et c’est comme ça.
La deuxième fausse croyance, c’est l’apparence physique. Je n’avais aucune idée de ce à quoi ressemblait un bébé né trois mois avant terme. Je me demandais si j’allais accoucher d’un monstre. Est-ce que ma fille avait bien deux bras, deux jambes ? Je n’avais aucune idée de l’apparence. Un bébé prématurité a l’apparence d’un bébé. Ce n’est pas l’enveloppe physique qu’on regarde, mais c’est l’enveloppe interne, la non-maturation des organes.
La troisième fausse croyance, c’est de penser que les parents n’ont aucun rôle à jouer. C’est une naissance très médicalisée. On peut avoir envie de se dire : « je vais le laisser aux mains des médecins, je vais déléguer aux gens qui savent faire. » Les médecins ont intégré depuis très longtemps que les parents sont des partenaires de soins, et notamment avec le peau à peau [pratique qui consiste à mettre bébé en couche ou peu habillé, directement sur la mère ou le père, poitrine contre poitrine, NDLR].
Ce n’est pas un câlin, c’est un vrai soin qui permet d’apaiser le bébé, et d’aider le bébé à retrouver des sensations qu’il avait in utero, que ça soit la voix, le rythme cardiaque, le toucher, etc. Cela aide aussi beaucoup les parents à reprendre leur rôle dans cet univers très médicalisé.
Vous parlez également dans le livre du don de lait maternel dont votre fille a bénéficié. Il y a une pénurie actuellement. Est-ce qu’il faudrait en parler plus ?
Le don de lait maternel, je l’ai découvert au moment où j’en ai eu besoin. Je n’avais aucune idée qu’en France, on pouvait donner son lait, comme son sang. Il y a une richesse incroyable que chaque femme allaitante a et évidemment il y a une nécessité d’en parler.
Quand on est soi-même en train de gérer le début d’un allaitement, on ne pense pas forcément à ça. Mais beaucoup de femmes ont trop de lait. Il faut se rapprocher des lactariums. Il y a une pénurie très souvent, faute de communication.
C’est ce qui a permis à mon enfant de vivre. Les femmes qui ont donné leur lait ont aussi sauvé la vie de cette petite fille donc je leur dois aussi beaucoup, autant qu’aux médecins, autant qu’aux puéricultrices. C’est un cadeau magnifique et on est en pleine sororité. Si son enfant va bien, on peut de façon très généreuse donner son lait.
Un prématuré ne peut pas être nourri au lait industriel, ce n’est une pas une coquetterie, c’est vital !
Il y a des complications gravissimes qui tuent les enfants, comme l’entérocolite, dont le principal moyen de prévention, c’est le lait maternel. C’est crucial et vital.
Il faut informer les femmes qu’en donnant leur lait, elles peuvent sauver la vie d’enfants. Cette information doit être relayée à grande échelle. On est en pleine pénurie, on a restreint l’accès à certains prématurés. Des enfants qui auparavant y avaient accès ne l’ont plus. C’est un vrai risque que l’on doit prendre.
Vous parlez de votre mari dans le livre. Au moment où votre fille est née, il n’y avait pas de congé spécial pour le co-parent. C’est maintenant le cas, avec 30 jours mis en place par le gouvernement. Comment avez-vous vécu cela ?
Peu importe que ce soit un père ou une autre mère, il y a ce sentiment de trouver sa place. Ce n’est pas la personne qui a donné la vie, donc il n’y a pas la même culpabilité. Il y a tout l’enjeu de trouver sa place vis-à-vis de sa femme qui ne va pas très bien, vis-à-vis de l’hôpital et vis-à-vis du bébé.
C’est un moment que je raconte sans filtre. C’est un moment compliqué pour le couple. Une naissance prématurée, ce n’était pas ce que le couple espérait. C’est une désillusion, ça devait être quelque chose de joyeux. Et là, cataclysme, c’est une naissance qui est traumatisante pour tout le monde. Ça redéfinit chacun dans son rapport à la maladie, à l’hospitalisation, à la finitude, et forcément c’est pas parce qu’on s’aime qu’on a les mêmes visions de ces choses-là.
Dans le cas de mon couple, c’était très compliqué. Ça ne veut pas dire qu’on s’engueule devant la couveuse, mais on y met pas forcément les mêmes émotions. Mon mari se raccrochait à la technicité de la médecine, et on voit que finalement il craque au moment où on s’y attend le moins. C’est une épreuve aussi pour le couple. Vous êtes chacun seul face à ces angoisses de mort.
Vous dites « la prématurité, c’est la parentalité puissance mille ». Pourquoi ?
Devenir mère n’est simple pour personne. Vous ajoutez à cela l’angoisse, la médicalisation. Vous avez une épée de Damoclès au-dessus de la tête, vous avez peur qu’on vous dise que finalement la marche, ce ne sera pas possible, que votre enfant va développer des troubles autistiques, ou je ne sais pas quoi.
C’est la parentalité puissance mille, c’est la seule fois où vous êtes dans une bulle. Quand vous accouchez à terme, au bout de trois jours, vous retournez chez vous, vous avez des visites. La prématurité vous met dans une bulle, où vous êtes totalement focalisée sur la survie de cet enfant.
Le premier peau à peau, le premier sourire, la première fois où on le sort de la couveuse, la première fois qu’on le lave. Toutes ces premières fois sont indélébiles, parce qu’elles sont vécues avec une telle intensité. C’est la parentalité puissance mille dans ses côtés angoissants et dans ses côtés positifs.
La prématurité touche les parents mais aussi tout l’entourage
On dit que ça concerne 60 000 naissances en France mais il y a aussi les dommages collatéraux, les grands frères, les grandes sœurs, etc. et on ne sait pas quoi faire.
La consolation, c’est très dur. De prendre son téléphone, en sachant que l’autre va pleurer, c’est très dur de consoler. Il ne faut pas que le sujet devienne tabou. Il y a beaucoup de femmes qui jouent un rôle quand elles ont leur maman, leurs amies au téléphone, en disant que tout va bien, alors qu’en fait elles ont envie d’exploser.
Il faut chercher à savoir et ne pas croire qu’une fois que l’enfant est rentré, tout va bien. Le second round commence. À partir du moment où on a délégué la responsabilité d’être un parent à un médecin, c’est extrêmement long et difficile de se faire confiance et de faire confiance au bébé.
Le parent est encore dans une zone très fragile où quelques jours auparavant, l’enfant était suivi par des machines. C’est le truc qu’on déteste le plus, les machines, mais on ne veut pas les quitter quand on part de l’hôpital. Ça vous dit si votre enfant manque d’oxygène, s’il respire bien. Se dire qu’il est débranché, ce qui est la meilleure nouvelle en fait, c’est un des moments les plus angoissants. Cette désintoxication aux machines prend du temps.
Je reste persuadée que les traumatismes doivent être dits. Il faut se faire aider. Ça peut être compliqué de retomber enceinte, de donner à son enfant une certaine liberté… On les met au monde pour les aider à grandir, pas pour les mettre sous cloche.
Ce que décrit Héloïse des Moustiers est fondamental. Cette zone de transition entre l’hôpital et la maison, le stress post-traumatique, le besoin de prendre confiance en soi… Tout ça est déterminant. Un accompagnement psychologique est nécessaire, aussi pour le long terme.
Merci beaucoup à Héloïse et Aline d’avoir répondu à mes questions.
À lire aussi : Connaissez-vous le don de lait maternel ? Je l’ai fait, voici comment ça se passe (et à qui ça sert)
Image en une : © Buchet Chastel/Ph. Matsas
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Les Commentaires
La phrase que je retiens n'est celle-ci, tellement elle résonne en moi "Toutes ces premières fois sont indélébiles, parce qu’elles sont vécues avec une telle intensité."
Je vais un peu vider mon sac, ne m'en veuillez pas ☺️.
Avant cette grossesse... Mon parcours difficile
Contenu caché du spoiler. tout ça m'a fait douter de ma capacité à devenir mère un jour et c'était inacceptable dans mon esprit.
Étant retombée enceinte,
Contenu caché du spoiler.
A ce stade, j'avais cumulé assez de mauvaises nouvelles pour savoir que ça finirait très bientôt, et en césarienne (que je vous raconterai peut être un jour).
Avec 7 semaines d'avance, j'ai donné naissance à un poids plume de 1,8kg. Par chance il ne montrait pas de problème de santé. Couveuse, tubes dans tous les sens, mais pas de respirateur.
La vie d'une maman en néonatalogie est un calvaire, d'autant plus si on allaite (enfin, on tire son lait jour et nuit 8 fois par 24h, on donne le sein à son petit bout qui ne sait prendre que quelques millilitres (et fait mal au sein), puis on le garde au sein pendant qu'il est nourri par sonde pour qu'il associe les deux, et on le garde un peu plus quand l'estomac est plein pour éviter le reflux. Avec ça il reste 1h pour manger, dormir ou se laver, et on recommence).
J'ai essayé d'expliquer ça autour de moi mais personne ne peut comprendre. On désespère de sortir de cet enfer, que notre petit soit enfin adapté à la vie extra-utérine et hors de danger. Le temps disparaît. Notre identité s'efface. On perd même notre humanité.
Et quand ENFIN on nous laisse sortir, on flippe à mort quand on débranche les moniteurs. On flippe parce qu'on sort du cocon rassurant, on quitte les auxiliaires de puériculture et les infirmières, on se retrouve seuls.
Pour le papa et moi, ça a été une délivrance, ça a été facile, parce qu'on a bien été coachés, et parce que c'était le moment.
Mon fils est né il y a 7 mois mais malgré le travail que j'ai fait sur moi (les psychologues sont indispensables dans ces unités et pour ma part ont été très disponibles), lire cet article m'a fait pleurer, un peu parce que je panse encore mes blessures de guerre, un peu par fierté d'y être finalement arrivée.
Aujourd'hui mon bébé a commencé les purées, et je l'allaite toujours. Tous les efforts et les sacrifices valaient la peine . Il grandit vite et bien, mon petit bonhomme.