Publié initialement le 17 août 2013
Ah le péage, cet édifice grisâtre où les vacancier-e-s sont quasiment obligé-e-s de passer pour aller se faire dorer la pilule. Je fais partie des derniers rescapés humains dans ce lieu-dit — car comme partout on passe à l’automatique, et c’est bien dommage !
Ça fait des petits jobs d’été pour les étudiants, des compléments de semestres pour la retraite et un sourire quand vous passez à notre « caisse » : plus sympathique qu’une machine qui marche une fois sur deux, vous ne trouvez pas ?
Devenir péagère
Quand j’ai dit à mes amis que je bossais là-bas, ils ont tous eu cette réaction : « Au péage ? C’est original comme boulot, au moins tu passes pas ta journée à récurer des friteuses dans un fast-food. T’as trouvé ça comment ? ».
Ça marche, comme dans beaucoup d’endroits, grâce au piston. Tous les saisonniers qui bossent là sont « fils de », la preuve ? Les trois quart des titulaires (ceux qui travaillent toute l’année) m’ont demandé : « Alors piote t’es la fille de qui ? » (oui, oui, ils m’appellent « piote »).
Péagère, jour 1 : la formation relou
Les trois premiers jours, on est obligé-e-s d’avoir une petite formation pour savoir comment marche tout ce machin et c’est EXTRÊMEMENT long. Tu restes assis-e derrière le/la titulaire qui te forme et tu regardes ce qu’il ou elle fait tout le long de la journée, point à la ligne.
Pour ma part, mon premier jour a été plutôt relax : le mec qui s’occupait de moi me filait des gâteaux, écoutait du Pantera et fumait clopes sur clopes, on s’est très bien entendus et la journée est passée super vite.
Les deux jours suivants, je suis tombée avec des personnes à l’opposé : pas de musique, pas d’humour, quasi pas un mot… pendant huit heures ! Ma seule envie était de me tisser une corde avec les affreux gilets jaunes qu’on m’avait donnés.
Ça m’a paru durer une éternité.
La journée-type d’une péagère
Tout d’abord, je peux très bien me retrouver avec 5 jours de boulot d’affilée comme je peux travailler uniquement week-end. Niveau horaires, ça suit le système des matins (5h-13h) — après-midi (13h-21h) — nuits (21h-5h).
Prenons en exemple un poste d’après-midi, ça sera far-pait.
- J’arrive en voiture, je me gare dans un parking réservé et je vais en premier lieu dans l’office (c’est le petit bâtiment qu’il y a côté du péage, sur le bord de la route).
- Là, les surveillants-péage me donnent une avance d’argent et les clés de ma cabine. Je vérifie qu’il y a le compte, et la journée peut commencer.
- Une fois que c’est fait, je vais dans ma cabine en évitant de me faire rouler dessus grâce à un petit chemin jaune dessiné au sol entre les voies.
- « J’appelle » mon obus avec une clé spéciale, je sors ma monnaie et la range, je tabule mon numéro de saisonnière dans l’ordinateur, je mets le feu vert et la journée peut commencer.
- [Quelques heures plus tard] Il est temps que je prenne ma pause, j’appelle le SP par l’interphone pour qu’il vienne me remplacer pendant 20 minutes.
- Je retourne à l’office pour manger un morceau et aller aux W.C. : il n’y en a pas dans les cabines, ça serait trop beau. Je peux y aller en dehors de la pause, mais je dois demander la permission (oui, comme en maternelle).
- Une fois de retour, le SP s’en va et je finis mon poste tranquillement. Le dernier client passé, même opération qu’au début : j’envoie mes sous dans le tube pour les récupérer de l’autre côté.
- Une fois l’argent récupéré, je compte ce que j’ai amassé et je rentre tout ça dans un logiciel en croisant les doigts pour qu’il n’y ait pas d’erreur…
- Merde, une erreur ! Bon, ça va, elle est inférieure à 2€. Je retourne voir en cabine : nada. C’est en sortant que je vois une petite pièce tombée sur ma voie, on recompte avec la pièce en plus… Recette juste, YOUHOU ! Je peux rentrer chez moi zen !
Les contraintes d’une péagère
- La pression des supérieur-e-s : ma chef un dragon et ça, tous les nouveaux le comprennent TRÈS vite. On manipule des énormes sommes d’argent et la moindre erreur est vivement réprimandée, qu’importe la somme en moins (ou en plus) dans la caisse : pour elle, 10 centimes ou 22 euros, c’est la même chose. Je me souviens de mes premières erreurs : sans mentir, j’avais les larmes aux yeux après son appel, tellement elle était mauvaise.
- Les gens et leurs humeurs… le péage, c’est un endroit difficile pour les automobilistes, je les entends grincer des dents à 3 kilomètres et je vois déjà leurs yeux sortir de leurs orbites. Il y en a certains qui ont le sang un peu plus chaud que d’autres et la vue du prix à payer n’arrange pas les choses : je ne compte plus les minutes de pourparler et les insultes qu’on m’a lancées parce que c’était trop cher.
- La solitude : pendant huit heures je suis toute seule, mon seul contact est celui des clients, la voix du surveillant-voie (le mec qui vous parle dans l’interphone quand il y a un souci) et c’est TOUT.
- Le tout petit espace vital : dans les grands péages, ça correspond à la taille d’une cabine de WC, dans les plus petits péages ce sont des cabines plus grandes et un peu plus confortables, mais ça ne m’enlève tout de même pas l’impression d’être comme un canari en cage.
C’est un peu ma tête.
Les bons côtés du métier
- Les personnes souriantes et aimables qui sont contentes de voir enfin quelqu’un, et qui repartent en me disant « Bonne journée et bon courage ». À cet instant j’ai toujours la même réaction dans ma tête :
Vous êtes merveilleux, t’as vu comme ils sont merveilleux ?
- Apprendre à compter dans une autre langue : j’habite près de l’Allemagne et du Luxembourg, donc savoir parler anglais c’est super pratique mais tout le monde ne comprend pas forcément. Pour nos voisins, je me suis mise à apprendre les nombres et quelques phrases de politesse en allemand et ça leur fait plaisir, j’ai souvent droit à un sourire de leur part !
Alors, qui veut passer son prochain été sur les autoroutes de France et de Navarre ?
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On a hâte de vous lire !
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Les Commentaires
Non sérieusement, le chemin jaune est juste derrière les barrières. C'est comme un passage piétons, quand on veut passer alors qu'il y a une voiture, on appuie sur un bouton et la barrière se bloque quelques secondes pour nous laisser passer sans se faire écraser.
On essaie de se faire aussi rapide et discrets que des suricates