C’est le fruit d’une collaboration entre l’Ipsos, Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof : chaque année depuis dix ans paraît la très riche enquête « Fractures françaises », qui cherche à mesurer et à analyser les points de tensions, les perceptions et les enjeux qui traversent la société dans son ensemble.
Pour la version 2022, avec plus de 10 000 personnes interrogées, le quotidien de référence dresse un état des lieux complexe de la France contemporaine, de ses clivages et de celles et ceux qui les composent. Une image « la plus complète possible de l’état de l’opinion dans le pays » dont on retiendra les chiffres suivants.
Une société perçue comme violente
L’analyse des sondeurs est sans appel : le pays est mécontent, ou du moins, 58 % des sondés affirment l’être. lls s’ajoutent aux 36 % de répondants qui se décrivent comme en colère et contestataires. Seules 6 % des personnes interrogées se désignent comme faisant partie d’une France satisfaite et apaisée.
En outre, 89 % soit près de 9 français sur 10 estiment vivre dans une société violente. Un constat partagé par toutes les franges de la population puisqu’il dépasse les 80 % d’adhésion quel que soit le courant politique revendiqué, l’âge ou la catégorie socio-professionnelle. L’immense majorité des interrogés (87 %) estime aussi que cette violence est en augmentation.
Fait inquiétant : un quart des interrogés (26 %) trouve plutôt normal ou tout à fait normal que certaines personnes usent de la violence pour défendre leurs intérêts. Une statistique particulièrement élevée chez les moins de 35 ans (33 %, 10 points de plus que chez les plus de 60) et chez les sympathisants du parti politique d’Eric Zemmour, où elle s’élève à 44%.
68 % des Français estiment que notre société est patriarcale
La majorité des Français perçoit des discriminations importantes à l’œuvre dans notre société.
Ainsi, 54 % des Français pensent que les femmes sont victimes de discriminations (ce chiffre baisse à 38 % chez les sympathisants LR, et 27 % chez Reconquête), et plus des deux tiers estiment que nous vivons dans une société patriarcale, où le pouvoir est détenu par des hommes.
C’est aussi plus de la moitié des interrogés qui témoigne qu’en France, on peut subir des discriminations importantes en raison de son orientation sexuelle (62 % affirment avoir l’impression que les homosexuels et les lesbiennes subissent des discriminations importantes), sa religion (pour les confessions juives et musulmanes, seul 25% des interrogés estimant qu’on peut être discriminé parce qu’on est catholique en France) ou son handicap.
Au total, 8 français sur 10 jugent le racisme présent en France. La majorité des interrogées déclare ainsi avoir l’impression que les personnes racisées subissent des discriminations, citant les personnes d’origines maghrébines, les personnes d’origine rom, gitane ou tsigane, et les personnes d’origine d’Afrique sub-saharienne. Grand absent de la perception du racisme en France, le racisme anti-asiatique, n’est constaté que par 34% de la population.
Une conscience du racisme qui s’accompagne pourtant d’un fort sentiment négatif à l’égard de l’immigration : 66 % des Français trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France. Ce sentiment reste minoritaire chez les sympathisants de gauche (LFI, EELV, PS), devient majoritaire dès le parti présidentiel et atteint 95 % chez les pro RN.
Une majorité critique des aides sociales
Au deuxième trimestre de 2022, le pays comptait 2 944 700 personnes en recherche d’emploi. En 2021, les chiffres de la DARES montraient qu’il y avait 13 fois plus de chômeurs que d’emplois vacants en France.
Pourtant, les deux tiers des Français (67 % des interrogés) estiment que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. Un chiffre en hausse constante depuis la première élection de Macron. 63 % partagent aussi le sentiment que la France évolue vers « trop d’assistanat ».
La crise climatique et l’écologie
Parmi les préoccupations majeures des Français, la protection de l’environnement occupe la deuxième place, quel que soit l’âge ou le lieu de vie. D’après le Monde, c’est désormais près de 90 % de la population qui affirme que nous vivons actuellement un changement climatique, et 61 % que ce changement est dû principalement à l’activité humaine.
La preuve que la considération environnementale, encore minoritaire il y a quelques années, est devenue capitale… À part peut-être à l’extrême droite, puisque 25 % des sympathisants reconquête et 13 % des sympathisants RN déclarent que nous ne vivons pas de changement climatique.
Pour lutter contre les dangers de la crise climatique, 69 % des interrogés se disent prêts à modifier en profondeur leur mode de vie. Une majorité rassurante toutefois en baisse : l’an dernier, c’est 82 % des sondés qui s’étaient exprimés en faveur de ces changements profonds.
Surtout, les Français estiment qu’ils n’ont pas à faire ces efforts seuls : 68 % d’entre eux estiment qu’ils en font déjà assez, et que c’est aux entreprises ou à l’État d’agir principalement.
Pour les analystes du Monde, cette enquête marque un tournant : la société française serait en train de se décrisper. Malgré la peur d’une guerre mondiale (deux tiers des sondés estiment que son éclatement serait possible dans les mois à venir), et une polarisation du monde politique, les Français ont confiance en leurs institutions, et l’optimisme vis-à-vis de l’avenir du pays est en légère hausse. De quoi tenir jusqu’à l’année prochaine !
À lire aussi : Combien de Français regrettent d’avoir eu des enfants ? Une nouvelle étude donne des chiffres
Crédit photo de Une : Mat Napo / unsplash
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Intéressant aussi de voir que le sentiment assez généralement partagé de vivre dans une société violente n'est pas corrélé avec la préoccupation sur l'insécurité (seulement 18% des français). De même, pour le racisme : majoritairement les française "ne se sentent plus chez soi comme avant" et en même temps, considèrent que le racisme est "présent" en France (bon du coup c'est cohérent mais ça fait bizarre).
Je trouve rassurant que la confiance en un système redistributif soit constante (60% d'accord avec " pour établir la justice sociale il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres" : stable depuis 2013).
Et je ne comprend pas le "Fait inquiétant : un quart des interrogés (26 %) trouve plutôt normal ou tout à fait normal que certaines personnes usent de la violence pour défendre leurs intérêts". Déjà c'est une minorité, plutôt jeune (donc plus facilement radicale dans ses idées et ses modes d'action), et ensuite, ça colle avec la culture contestataire et "révolutionnaire" qui est valorisée dans la culture populaire et dans la manière dont on lit notre histoire.