Aujourd’hui, je vous propose un article en immersion. Ayant raté mon train à 30 secondes près (30 secondes pendant lesquelles, ironiquement, je vérifiais l’heure de mon train), je suis, au moment où j’écris ces lignes, bloquée pour 4h32 très précisément en gare de Tergnier, petite bourgade de l’Aisne. Les petits fails du quotidien ayant au moins l’avantage d’être une véritable source d’inspiration, j’ai décidé d’en faire un papier d'(in)utilité publique, histoire de te donner quelques conseils astucieux qui t’aideront à passer le temps dans une petite gare de campagne au cas où tu te retrouverais, un jour ,dans la même situation que moi.
Comment être bien sûre de louper son train
Avant toute chose, revenons sur les raisons qui nous amènent ou peuvent nous amener à rater notre train. Voici le matériel qu’il te faudra si tout comme moi, tu as envie de gâcher une grosse, grosse partie de ta journée en loupant ce fantastique moyen de locomotion onéreux mais néanmoins pratique. Pour cela, il te faudra :
- une faille spatio-temporelle,
- vivre à la campagne,
- (et donc) avoir des horaires de train casse-ovaires avec par exemple un gros trou entre 8h03 et 12h35,
- un camion qui te précède pendant une longue partie de la route te menant à la gare et t’oblige à rouler 20km/h en-dessous de la vitesse maximale autorisée,
- une légère tendance à vérifier si tu as bien éteint ton fer à lisser / coupé le gaz / éteint toutes les lumières / arrêté la radio et la télé / fermé les portes / mis le frein à main sur ta voiture (ce qui te fait généralement perdre 10 minutes le matin),
- un parking sans place pour accueillir ton bolide,
- des talons de 10cm (qui t’empêcheront de courir),
- une gare de campagne, petite, sujette aux courants d’air et sans toilettes (même pas un trou dans le sol qui pourrait faire office de niche à urine).
(Une panne d’oreiller peut éventuellement suffire).
C’est bon ? T’as loupé ton train, tu t’es tordu la cheville en courant pour essayer de l’avoir, tu vas louper une demi-journée de cours ou de travail, tu as plus de 4h à attendre dans une gare mais tu ne souhaites pas rentrer chez toi pour ne pas re-rater le suivant ? Bienvenue dans ma vie, c’est parti !
Conseils à l’usage des madmoiZelles qui ont la lose des transports dans le sang
Avant de me mettre à écrire cet article, j’ai commencé par chercher les différents moyens qui étaient à ma disposition pour tuer les quelques heures qui me séparaient du prochain train pour la ville où j’étudie. Le problème, c’est que « petite gare de campagne » signifie aussi « y’a rien à faire, tu peux toujours crever, t’avais qu’à te magner le fion espèce de rognure d’ongle mycosé ». Pourtant, avec un peu d’imagination, on peut faire de grandes choses et je vais tenter de t’aider à voir dans chaque petit détail de ta gare une bretelle menant sur l’autoroute de l’amusement.
Étape #1 – Observer son environnement
Il est relativement rare qu’une petite gare de campagne ne ressemble pas à une autre. Prenons tant qu’à faire l’exemple de la gare de Tergnier. On peut ainsi y trouver :
- un guichet avec un(e) employé(e) de la SNCF dedans,
- un distributeur à bonbons, madeleines et boissons sucrées,
- une poubelle,
- du carrelage en guise de revêtement de sol,
- des panneaux roulants rappelant les nouveaux horaires en vigueur depuis le 11 décembre dernier,
- une cabine pour y faire des photos d’identité,
- une photocopieuse,
- des individus X et Y attendant leur train,
- des bancs.
Ces éléments du décor suffiront-ils à t’occuper pendant de longues heures ? Souspènsse.
Étape #2 – Mettre à profit son environnement pour s’occuper
Que faire avec ce qui t’entoure ? Laisse-moi te donner quelques idées.
>> Discuter avec l’employé(e) du guichet
Tu peux profiter de ces longues heures à tuer pour en savoir plus sur cette personne à qui on ne demande jamais rien d’autre qu’une réservation : l’employé de guichet de la SNCF. Si tu as un peu de chance, tu tomberas sur une personne aimable qui sera ravie de répondre à tes questions, dans la limite de son temps disponible. Si tu n’en as pas, tu auras affaire à un individu aussi sympathique qu’une décharge publique.
Le problème, c’est que dans ce genre de discussion à tendance inquisitrice avec un inconnu, on se retrouve vite à court de sujet de conversation. Après les « Bonjour, ça va ? », les « Dites, y a pas de toilettes ici ? » et les « Et sinon, être employé du guichet, c’est bien payé ? » d’usage, il y a de fortes chances pour que la conversation s’arrête là, la peur de passer pour quelqu’un de trop curieux te faisant baisser les bras et retourner sur ton banc.
Si l’audace coule dans tes veines, et que l’ennui t’effraie plus qu’agacer ton prochain, tu peux cependant creuser un peu plus la personnalité de l’individu qui te fait face en lui posant les questions suivantes
:
- Vous avez des enfants ? Combien ? Ils s’appellent comment ? Ils ont quel âge ? Ils travaillent bien à l’école ?
- Vous écoutez quoi comme musique ?
- C’est quoi votre couleur préférée ?
- Vous avez eu vos premières règles à quel âge, dites ?
- Vous allez voter pour qui à la présidentielle ?
- Vous aimez bien porter des lunettes ?
- Vous portez un pantalon quand vous êtes assis au guichet ou vous êtes tous en caleçon ?
François L’Embrouillardise-toi, en somme.
>> Temps gagné sur l’attente : 1 minute. (Ou 3h, tout dépend de la patience de la personne au guichet).
>> Refaire la déco
Les bancs et les panneaux n’étant pas forcément fixés au sol, tu peux éventuellement décider de tout changer de place et ce pour deux raisons : ça risque de t’occuper un certain temps, et tu as encore 3h59 à passer dans la gare alors autant qu’elle soit à ton image et que tu t’y sentes un peu plus chez toi.
Les bancs étant lourds, les autres personnes présentes dans la gare n’étant pas forcément à même de t’aider, tu feras tout toute seule et sentiras ce faisant poindre des douleurs musculaires. Mais qu’est la souffrance physique comparée au plaisir que tu ressentiras après coup en contemplant la jolie rosace faite de bancs et de panneaux roulants que tu auras créée à la force de tes bras ? Rien. Emmanuel Kant disait d’ailleurs cette chose très juste :
L’art ne veut pas la représentation d’une chose belle mais la belle représentation d’une chose.
Je te laisse méditer là-dessus. Pendant ce temps, je vais m’auto-congratuler pour avoir réussi à citer Kant dans un article ayant une gare de campagne comme sujet principal.
Inconvénient : je ne suis pas bien sûre que ce soit tout à fait illégal, mais je suis au moins certaine que ce sera très mal vu. En outre, si tu n’as pas un excellent déodorant, tu risques de sentir le rat mort après l’effort.
Temps gagné sur l’attente : 1h et 15 minutes.
>> Acheter chaque article proposé par le distributeur
Pendant ces longues heures d’attente, tu risques d’avoir ce qu’on appelle un petit creux. Le distributeur automatique te fera alors de l’oeil. Après avoir lutté contre sa parade amoureuse, tu as fini par céder. Ne sachant quoi choisir et n’étant pas pressée par le temps, tu as décidé de prendre de tout.
>> Temps gagné sur l’attente : 15 minutes + 45 minutes pour la dégustation. Coût de la manoeuvre : 84€ (j’ai eu le temps de calculer).
Note : En raison de l’absence de toilettes dans la plupart des petites gares de campagnes, je te rappelle qu’il vaut mieux ne pas forcer sur la boisson.
>> Faire des photos de toi
Faisais-tu partie de ces collégiens qui après les cours allaient régulièrement faire des photos dans ces petites cabines disponibles dans toutes les bonnes gares de France – cabines qui, à la base, sont destinées aux personnes souhaitant avoir une photographie homologuée pour leur carte d’identité ? Moi, j’en étais. Je me souviens qu’on prenait bien le temps de choisir la grimace suffisamment drôle pour atterrir sur nos skyblogs tout en mettant nos visages à leur avantage. D’après de nombreux historiens, c’est d’ailleurs ainsi qu’est née la fameuse duckface.
Bloquée plusieurs heures dans une gare, c’est l’occasion de retrouver ce petit plaisir d’antan. Sauf que seule et à plus de 15 ans, l’opération n’a plus rien de drôle. Tu en ressortiras avec 5 photos de toi qui te montreront arborer l’air ahuri d’un lapin dans les phares d’une voiture. Des photos qui ne te mettront par ailleurs absolument pas en valeur tant on dirait que la personne qui a fait les réglages de luminosité de la cabine s’est endormi sur la touche +. Inconvénient supplémentaire : ton porte-feuille sera allégé de 5€.
Peau grasse, regard morne, air désemparé : il va sans dire que je n'utiliserai pas cette photographie pour mon cv.
Temps gagné : 11 minutes.
>> Photocopier ton anatomie
En dernier recours, tu te diriges vers le photocopieur. Tu commences soft en photocopiant ta main. Puis ton bras. Puis ton oreille. Puis ton majeur, levé, comme dans un signe de protestation face au carcan de la société. Puis la tête. Quand tout à coup, un éclair de génie traverses ton esprit : et si je photocopiais mes fesses ? Je les montrerai à mes copines en arrivant au cours de l’après-midi, ça sera bien rigolo, te dis-tu alors. Sauf que qui dit gare « quasi déserte » dit « gare pas tout à fait déserte quand même ». Déçue, tu relâches la pression que tu exerçais inconsciemment sur le premier bouton de ta braguette.
>> Temps gagné : 6 minutes. Coût de la manoeuvre 0,50€. Et ta conscience écologique en berne.
Grâce à mes conseils décidément très judicieux, tu as réussi à tuer 153 minutes (soit 2 heures et 33 minutes) sans voir le temps passer. Tu me diras, 2h33 sur 4h, c’est pas énorme, mais j’ai une dernière corde à mon arc : c’est là que le carrelage et son motif à carreaux entrent en jeu. Pendant tous tes déplacements, concentre-toi bien (au point de froncer les sourcils et de sortir la langue) pour ne jamais toucher les petites lignes, ce qui devrait largement ralentir ton allure et donc te faire gagner du temps sur l’attente.
Sur ce, moi, je te laisse : l’employée de la gare est partie en pause, plus personne n’attend son train et il me reste 10 centimes à mettre dans le photocopieur.
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Les Commentaires
En plus, c'était le 31 décembre 2011, ce qui signifie qu'il y a encore moins de train qu'en temps normal - c'était alors qu'il faisait nuit dehors, c'était alors que j'avais une correspondance tram + bus à prendre en descendre et SURTOUT c'était alors que je n'avais plus un centime de crédit pour envoyer des sms à mes potes pour dire que je serais en retard.
J'ai raté ce train de 15 heures 41 parce que la nana du guichet m'avait dit la veille que celui de 16h41 roulait aussi et que je me suis dit "Ah mais au pire, je prends celui-là si j'ai du mal à me mettre en jambe !". Je n'aurais jamais du, ça porte malheur ... Mais, têtue et bornée, je voulais 15 heures 41 malgré tout et ... je suis arrivée à la gare à 15 heures 42 !!! Parce que la poignée de mon sac s'est déchirée en chemin (oui, j'allais à la gare à pieds et c'était la seule fois de mon existence où j'expérimentais la sensation désagréable d'être à la bourre et non ce n'est jamais ma faute lol) et au comble de cette histoire de fou, le train de 16 heures 41 avait été supprimé ! Le suivant ? 17 heures 45 -> deux heures à tuer, sans rien à faire. Alors vous me direz, deux heures ce n'est rien ... mais comme j'ai une sacrée tendance à l'hyperactivité et que je ne suis pas fichue de rester concentrée sur une même activité plus de 15 minutes, je vous laisse imaginer quelle torture ça a été.
Personne au guichet - personne dans la gare. On oublie les contacts sociaux avec des gens méfiants et étrangement gauches. Pas de distributeur de nourriture malsaine. On oublie sa tendance démoniaque à la boulimie, ou tout du moins sa furieuse manie de manger quand on s'ennuie. Pas de photocopieuse - pas de photomaton, et surtout pas de jeux sur le truc qui me servait de téléphone. On oublie les contacts avec la technologie et surtout, on ne bronche pas. On ne bronche pas, mais on doit aller au petit coin et même s'il y en a, ils sont payants et ... en panne ! C'est ma veine, les cocos. Et j'avais sommeil, alors c'était la guerre pour ne pas m'engourdir et m'endormir dans un des bancs en bois peu confortables
Ce que j'ai fait ? J'ai compté les dalles de faux plafond - il y en a 48 et on s'en fout - et les dalles de carrelage - il y en a plus de 160 en tout cas, j'suis jamais arrivée au bout, et en s'en fout toujours. Oui mais au moins ça m'a occupée pendant plus d'une heure, après la fin de ma crise de désespoir de "Je vais mourir d'ennui toute seule comme un rat mort dans cette gare à la c*n" ... x)
A celles et ceux qui se demandent, oui, j'ai raté ma correspondance. Le train de 17 heures 45 a eu à son tour du retard, eh oui. J'ai de nouveau du attendre, mais c'était moins long et surtout moins chiant. Puis j'ai eu la chance monstre d'attraper LE dernier des derniers trams de cette ligne et LE dernier des derniers bus à destination d'un patelin paumé dans la campagne. J'avais seulement 2 heures et demi de retard ! Seulement !
Mais cette mésaventure m'aura appris deux-trois choses essentielles :
- toujours, arriver en avance - au moins une demi-heure pour faire un f*ck à la poisse
- toujours, j'ai dit TOUJOURS, avoir du crédit sur son téléphone et des potes à harceler
- toujours, avoir des jeux sur son téléphone le cas échéant
- toujours, avoir des journaux, des bouquins ... bref, de la lecture !
- toujours, avoir à manger - surtout que manger dans l'ennui, ça occupe
- toujours (si comme moi vous aimez écrire), avoir du papier et un crayon, et de l'imagination
Le seul inconvénient du système "j'emmène la moitié de ma maison pour passer le temps" ? La quantité de choses à fourrer dans son sac. Mais ça c'est une autre histoire !