— Article initialement publié le 24 février 2013
Si j’y réfléchis, cela vient sans doute de l’école. À l’époque, aller en cours était un calvaire, les enfants me traitaient mal et je ne comprenais pas pourquoi je devais endurer ça tous les jours, sans qu’aucun adulte n’intervienne.
Mais ces adultes, cette école, étaient l’autorité à laquelle je devais obéir et me soumettre, je n’avais pas le choix.
Mon rapport au travail
Puis dans les dernières années de lycée, je me suis rendue compte que je pouvais manquer les cours sans me faire attraper.
Certes, j’étais une élève sage et discrète, mais j’ignore pourquoi ils n’ont jamais fait attention malgré toutes les heures que je manquais et les cours où je ne me rendais carrément plus.
Pendant ces heures de liberté, je me promenais, j’allais faire les magasins, j’allais manger un McDo, le matin je faisais des grasses matinées, j’écrivais, prenais des photos.
Bien qu’un peu coupable, je ne m’étais jamais sentie aussi bien que durant ces moments où j’échappais à tout. Où j’échappais à ce qui me semblait être, à l’époque, la seule voie, la seule vie possible.
J’ai arrêté l’école après le bac. J’ai bien dû passer deux ans à ne rien faire, enfin… « Rien » aux yeux des autres car, de mon côté, je découvrais l’amour, continuais à prendre des photos et à construire la personne que je suis.
Puis il a bien fallu rassurer la famille : j’ai fait des petits boulots, du ménage, des distributions dans la rue, des inventaires… Ça ne durait que quelques jours et je n’aurais pas pu supporter plus.
Je n’aimais plus qu’on me vole du temps, ni de devoir être forcée à faire quoique ce soit.
Pas pour moi les réveils à 6h, les heures fixes, les faux sourires, jour après jour, pour simplement avoir accès à un confort qui n’était, déjà, pour moi, pas un but…
Je travaille à mon compte
Petit à petit, j’ai fait de moins en moins de petits boulots et de plus en plus de photos pour ne faire plus que ça.
Aujourd’hui, je suis photographe auteur – j’ajoute « auteur », sans aimer trop ce terme, pour différencier ce que je fais avec ceux qui travaillent en studio, qui font les mariages, les concerts, etc.
Je mets en scène des modèles, ou moi-même, dans de petites scénographies qui exposent mes idées, mes angoisses, mes visions…
Je ne suis pas payée, je ne touche d’argent que si je vends des tirages quand (et surtout si) je fais des expositions.
Autant dire qu’il est difficile de vivre de ça. Pourtant, impossible de revenir en arrière. Je sais que c’est ce que je veux faire. Que ma créativité et ma liberté sont ce qu’il y a de plus important.
De plus, je refuse d’entrer dans un système qui ne me ressemble pas, qui me semble tout à fait affreux
, bien que j’entende tout à fait qu’il soit normal, voire nécessaire pour la plupart des gens.
Comme il est normal et nécessaire pour moi de vivre comme je le fais.
Mais techniquement, en attendant de pouvoir vivre de mes tirages, si jamais cela arrive un jour, comment faire pour le quotidien ?
Les aides m’ont permis de passer le cap
Depuis mes 25 ans, je touche le RSA (600€ par mois avec l’APL), ce qui m’a donné les moyens de quitter mes parents et d’avoir mon propre appartement.
En gros, le RSA me permet de payer tout juste mon loyer, les factures et la nourriture mais rien de plus. Je vis donc chichement, je ne m’achète pas souvent quelque chose pour le plaisir même si cela m’arrive quand même !
Je fais les brocantes, les friperies, les trocs, j’achète sur Internet pour trouver des bons plans. Heureusement, je ne me fais pas envie avec des choses inutiles, ma vie me plaît, rien ne me manque.
Oui, il est possible de vivre avec un RSA même si cela reste très précaire. Ma seule angoisse soit que cette aide disparaisse et que mon art ne marche pas, alors je me retrouverais à la rue… Mais j’essaye de ne pas y penser.
Souvent le RSA est signe de honte, on le pense fait pour les fainéant-e-s et les profiteurs-ses, je ne pense pas que cela soit aussi simple. Ce que je sais c’est qu’il me permet de vivre comme je l’entends, de me lancer dans mon art et d’être libre de mes mouvements et de mon temps.
Je trouve cela essentiel. Oui je profite de cette chance mais évidemment, mon but serait de pouvoir m’en passer, d’avoir assez de succès, puisqu’il s’agit bien de ça, pour n’avoir besoin d’aucune aide et obtenir, en plus des autres, la liberté financière.
Mais l’art est un milieu difficile où il n’y a que quelques élu-e-s, souvent discutables d’ailleurs, pour une marée d’autres qui essayent de ne pas se noyer. Comme partout, au final.
Je ne regrette pas de ne plus travailler
Parfois je me sens coupable quand j’entends des amis se plaindre de leur travail (qu’ils n’aiment pas la plupart du temps), pendant que moi je dors, je lis, je crée…
Mais je me dis que j’ai fait ce choix de vivre différemment, plus en marge, en sachant bien qu’un jour je devrai le payer. Je ne regrette rien, au contraire.
En gros, ce que je voudrais surtout dire aux madmoiZelles (il n’est pas facile d’exposer clairement toute une démarche en quelques lignes), c’est qu’il y a de multiples voies pour devenir une personne complète.
Pour moi le travail (dans le sens « labeur », entendez-moi bien) n’est simplement pas envisageable. Il y a d’autres alternatives, des manières différentes de consommer et de vivre. Ce n’est pas un choix facile mais il est possible. Il n’y a pas de temps à perdre.
- À lire aussi sur le même sujet, le témoignage d’Annelise : Vivre avec le RSA, ça fait quoi ?
- Le revenu de base, qu’est-ce que c’est ?
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Les Commentaires
La différence entre toi et la Madz tu témoignage c'est que tu es de bonne foi alors qu'elle semble dire qu'elle a trouvé un bon plan pour vivre moins cher.
Après je trouve qu'à temps partiel on peut faire un truc moins foufou, moins dans sa branche (sans que ce soit le charbon non plus) si à côté on peut trouver du temps libre pour sa passion.