Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours mal supporté la solitude.
Je n’ai jamais vraiment été seule de toute façon : bon, bien sûr, à l’adolescence j’étais un peu laissée sur le carreau par les gens de mon âge vu que mes complexes me rendaient con et snob, mais ça veut pas dire que j’étais satisfaite de cette situation.
Mon angoisse de la solitude
Ça m’a toujours vite pesé, la solitude. Je la supporte pas bien longtemps. Passer une journée au travail entourée de gens et rentrer chez moi pour ne rien foutre, ça me va. Passer une journée seule chez moi et sortir le soir, ça me va aussi. Mais faire les deux, et sur plusieurs jours, ça me rend un peu dingue, j’ai jamais bien compris pourquoi.
Quand je rentre chez moi et que je sais que je vais passer 24h toute seule chez moi.
Et là justement, c’est ce que je fais. Parce qu’hier on a réalisé qu’on avait un gros bug de l’internet au travail, que ça prendrait plusieurs jours à réparer et qu’il nous fallait rentrer chez nous pour bosser à distance.
J’ai passé une demie-journée entière à essayer de travailler de mon canapé, musique à fond, télé en marche (et de préférence des programmes en direct pour que je me rappelle que le monde tout autour est toujours en marche) pour faire semblant qu’il y a du monde chez moi.
J’ai enchaîné sur une soirée à rien foutre parce qu’on était lundi, que le lundi aucun de mes potes ne veut jamais sortir et qu’en plus, y avait L’Amour est dans le pré à la télé. Jusqu’à ce que Karine Le Marchand rende l’antenne franchement, ça allait. J’étais plutôt fière de moi et j’ai pensé un temps que j’avais fait vachement de progrès là-dessus.
Sauf qu’en fait, non.
Une journée seule : ma vision de l’Enfer
Note de préambule : oui, tout ceci est vrai. Merci de ne pas me juger.
0h16 : Plus personne n’est connecté ni sur Skype, ni sur Facebook et je commence à tourner en rond. J’angoisse à l’idée d’une insomnie, quand soudain je me souviens : il existe un endroit où à 1h du matin, c’est le gros rush. Une sorte de ruche version rut, sans miel, avec des gens qui ont vraiment très très envie de discuter avec toi.
0h20 : Je termine donc mon inscription sur Adopte un mec, et le regrette quelques minutes après. Car quelques minutes après, je reçois ceci (oui, j’aime bien modifier les photos de mes conquêtes) :
« Petit bout », chapeau chapeau. Et pourquoi pas « mimi » tant qu’on y est ?
2h34 : Épuisée d’avoir répondu quarante cinq fois à la question de « Et si je tire sur ton doigt ça fait quoi ? », complètement repue de sociabilisation, je baille de plus en plus fort, de plus en plus fréquemment, et décide d’aller me coucher. Je suis d’humeur pas trop amorphe et je vis ceci comme une petite victoire.
2h36 : La victoire est peut-être un peu atténuée par le fait que je parle depuis deux minutes devant ma glace, yeux rivés dans ceux de mon reflet, alors que je suis censée me laver les dents.
8h00 : Je me réveille, d’abord enthousiaste puis un peu groggy. Aujourd’hui, je ne vais presque pas ouvrir la bouche de la journée. Je n’entendrai personne parler en vrai, je ne me ferai pas bousculer dans la rue, je ne prendrai pas le métro. Même les relous qui essaient de me parler quand je passe devant le MacDo vont me manquer, si ça se trouve.
Quoique non en fait, non. Non je pense pas qu’ils vont me manquer. Je me prépare mon petit-déjeuner et comme d’habitude, je renverse du café sur ma couette et jonche mon lit de miettes. Finalement, ça va être une journée normale.
8h35 : J’ai un peu peur de la journée qui s’annonce parce que j’ai un gros passif en terme d’incapacité à gérer la solitude. Depuis que je suis toute petite, être seule m’a fait paniquer (sur plusieurs degrés). C’est quand même bizarre parce que je suis fille unique et que les moments où j’étais toute seule dans ma chambre étaient loin d’être traumatisants. Mais en même temps je savais qu’il me suffisait de descendre les escaliers pour trouver mes parents et les écouter parler, voire discuter avec eux.
N’empêche, j’étais une enfant relou. Plusieurs fois, chez ma nourrice, je me prenais à hurler en pleurant parce qu’il y avait personne dans la maison quand je me réveillais de la sieste alors qu’en vrai, elle était simplement aux toilettes. J’étais le cliché de la gosse relou qui empêche de déféquer en rond et s’imaginait sans cesse être abandonnée de la Terre entière.
9h01 : Depuis bien longtemps, je suis persuadée que mon deuxième animal totem, après le pingouin, c’est le chien. Un chien loyal et joyeux quand il est entouré, quand il peut faire ses blagues et parler à des gens – si tant est qu’il soit un chien qui parle. Sauf que là, je me sens un peu plus comme ça :
C’était la caution chien mignon de l’article.
Une journée seule : Au fond, je souffre
9h54 : Oh. J’ai oublié de me laver. Je m’en rends compte en me grattant la tête et en sentant ma main. On dirait l’odeur d’un kebab oublié sous un lit pendant quatre ou cinq mois.
10h30 : Après deux cafés et un demi-litre d’eau, l’heure est venue pour moi d’aller vider ma vessie. Je vous rassure : je ne prendrais pas la peine de le préciser si ce n’était pas pour dire qu’en me lavant les mains devant la glace, je recommence à parler à mon reflet. Je lui dis qu’il va bien gérer cette journée, et qu’en plus ce soir il voit des gens alors « respire bien fort et tout va bien se passer ».
10h33 : Je sors de ma salle de bain.
10h33 bis : Je fais demi-tour. J’ai une dernière chose à dire à mon reflet. « T’as le front gras », que je lui sors, car je ne suis pas le genre de personne à se faire des cadeaux, t’as vu.
12h40 : Je mange, seule. Je fais semblant d’aller bien mais au fond je souffre. Je m’en suis rendue compte quand j’ai réalisé que je venais d’esquisser un sourire à une blague de Jean-Luc Reichmann.
13h05 : Lasse, je décide de faire une sieste.
13h40 : J’ai rêvé que je me réveillais et qu’il y avait mes parents qui me parlaient de la pluie, du beau temps et de la coupe de cheveux de François Mitterand.
14h : Il est l’heure de recommencer à bosser et je me rends bien compte que je suis contre productive. Le regard hagard, je cherche de l’oreille des bruits qui pourraient me déconcentrer. Je suis jamais aussi concentrée que quand le reste du monde me déconcentre.
15h54 : J’ai envie d’écouter Waka Waka.
15h54, bis : J’écoute Waka Waka. Soudain, j’ai peur : si ça se trouve, j’ai oublié de mettre mon profil Spotify en mode privé et tout le monde sait que je suis en train d’écouter Waka Waka.
15h56 : J’avais bien pensé à mettre mon profil en mode privé, mon honneur est sauf. Enfin, c’est vite dit : le profil privé pour écouter de la daube c’est bien, les baies vitrées grande ouverte avec vis-à-vis de fou sur les voisins qui me voient donc en train de démolir la chorégraphie de Shakira, un peu moins.
16h07 : En même temps, je me demande ce qui est pire : qu’ils me voient danser sur Shakira d’un déhanché franchement incertain, ou qu’ils puissent m’observer en train de rire seule sur mon balcon, comme je le fais depuis bien trop longtemps en m’imaginant devenir suffisamment dingue pour me mettre à parler au fatboy qui trône dans mon salon ?
16h09 : En même temps, c’est un fatboy expressif. Mais j’ai une dignité et je vais plutôt retourner parler à mon miroir. Ce que je fais en anglais, cette fois-ci, pour avoir l’impression de rencontrer quelqu’un de nouveau. En plus bon, ça entraîne mon accent, c’est pas un mal.
Bilan d’une journée de solitude
16h35 : Mon canapé ayant la fâcheuse tendance à s’affaisser quand on s’assoit dessus (« un peu comme ma vulve », ai-je envie de rajouter car le comique de répétition est ma passion), je décide de migrer pour finir ma journée sur le balcon. En plus j’ai l’impression de sortir de chez moi et de bosser d’une terrasse nulle alors c’est bien.
16h50 : J’essaie de rentrer en contact oculaire avec un voisin, pour lui dire bonjour, mais il ne se retourne pas.
16h52 : En fait je pouvais attendre longtemps, c’était une plante. Faudrait peut-être que je pense à retrouver mes lunettes dans mon appart, en fait. Un jour je le ferai. Je me le promets.
17h02 : La journée est bientôt finie et un pote va arriver, pile pour l’apéro. Après il veut que je l’accompagne à un concert de ragga/dancehall mais je peux décemment pas aller à un concert de ragga/dancehall. Enfin je veux dire, musicalement, c’est contre mes principes. Je veux bien remuer mon boule sur du Sean Paul comme si j’avais un vibromasseur coincé dedans en soirée, mais j’ai mes limites, et tant pis si ça me fait passer quelques heures toute seule. Je suis plus forte que la solitude.
17h30 : Je suis plus forte que la solitude parce qu’en fait, j’ai passé la journée à discuter sur Skype et Facebook. Je me demande comment j’aurais fait si j’avais dû subir ce genre de journée sans possibilité de communiquer par le biais de l’Internet. Bon c’était franchement chiant à vivre parce que j’aime bien voir des gens avec les yeux et la tête qui bougent mais finalement, je suis plutôt pas peu fière de moi.
17h34 : Oui non attends : y a bien des trucs que j’ai pas su gérer. Je m’en rends compte parce que d’un coup, j’ai l’impression qu’on m’a déposé une assiette de rillettes devant moi. Mais c’est pas des rillettes en fait. C’est l’odeur de mes aisselles. Ascenseur olfactif émotionnel de dingue et prise de conscience ultime : un jour, il faudra peut-être que je travaille en free lance comme notre génération sera de plus en plus amenée à le faire et ce jour-là, j’aurai une grosse remise en question à faire.
En attendant, à toi : et toi, tu supportes bien la solitude ou tu craques ton slip bien sévère comme il faut ?
À lire aussi : Pourquoi vivre seule est la meilleure chose
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Le post date un peu mais c’est pas grave!
Je compatis TE.LLE.MENT !! Bon, moi je travaille depuis 2 mois après une lonnnnnnnngue période de chômage (3ans). Je suis très contente et épanouie d’avoir à nouveau une vie professionnelle et sociale mais dès que j’ai un jour de repos : c’est le DRAME !!
Je suis caissière dans un petit magasin de proximité, dans la région Nantaise depuis à peine 3 ans, pas de famille ni amis (et dans tout les cas, les gens travaillent en semaine quand moi je suis en repisn)... j’ai un mari mais bien sûr, il travaille aussi hein ;-)
Alors les moments où je me retrouve seule sont vraiment très compliqué et digne d’une dure épreuve !! Ça me rappelle tellement mes années de chômage que ça m’angoisse. Au lieu de profiter pour me poser, regarder une série, sortir me balader etc...je tourne en rond et m’angoisse :-(
J’aimerais beaucoup avoir des conseils, discuter pour trouver enfin une issue à ce sentiment qui me pourrit la vie !
A vos claviers ;-)
Bises