Le 21 septembre 2016
Je ne suis pas ce que l’on appelle « famille ».
C’est-à-dire que je ne suis pas attachée aux rituels des repas de fêtes, je n’ai pas un besoin irrépressible d’avoir des nouvelles de mes parents et de ma sœur, et je ne me sens pas d’obligation envers eux.
Moi, sauvage ? Distante ?
Quand j’étais enfant, il y avait constamment des amis de mes parents à la maison : c’était leur « seconde famille ». Je me souviens d’une ambiance festive, d’attachement et de beaucoup d’amour.
Ils étaient en lien permanent par téléphone, via des invitations et des sorties.
Je ne suis donc pas « sauvage », comme cela a pu m’être reproché : je pense être sociable, et malgré une timidité latente, je parle facilement et rapidement aux gens.
Ma mère téléphonait chaque dimanche à ma grand-mère ; mon père, n’ayant plus de famille, n’a jamais pu faire de même (je ne sais absolument rien de leurs relations, j’étais trop jeune pour m’en souvenir).
Nous n’étions pas tout le temps chez mes grands-parents, mais l’année était ponctuée de repas de famille obligatoires.
De la même façon, j’ai toujours été entourée d’amis qui étaient très « famille », à prendre régulièrement voire quotidiennement des nouvelles de leurs proches, que ce soit par SMS, mail ou en passant un coup de fil. Je trouve cela touchant et positif pour eux.
Mais je ne vais pas de suite courir sur mon téléphone pour en faire de même. Cela ne me vient même pas à l’idée, je n’en ressens pas un besoin viscéral.
Ce qu’il s’est passé quand j’ai pris mon envol
D’ailleurs, j’ai quitté le nid familial assez tôt. Enfin, le plus rapidement possible, c’est-à-dire après le bac.
J’ai choisi une école éloignée de mon lieu de naissance, et du lieu d’habitation de mes parents, dans une envie de changement d’air, de couper ce cordon ombilical trop présent à mon goût.
Je voulais commencer ma vie, ma propre vie en tant qu’individu.
Cela a été difficile pour ma mère et ma sœur. Beaucoup parlent de ce lien indéfectible qu’il y aurait entre une mère et son enfant. Je ne comprends pas bien, et peut-être que je ne comprendrai d’ailleurs jamais.
Ma sœur a quant à elle pris mon éloignement volontaire comme une preuve de non-amour, et m’a accusée d’être sauvage. Il y avait peut-être aussi un peu de jalousie du fait que j’ai quitté le nid avant elle.
Elle est beaucoup plus en demande envers mes parents, elle veut des nouvelles quasi-quotidiennement, elle veut tout savoir dans le moindre détail… Rien ne doit lui échapper. Elle est très attachée à la famille, autant par devoir que par envie.
Ma mère et ma sœur étaient toutes les deux en demande constante de nouvelles et de preuves d’amour, et je ne savais pas leur rendre, ce qui m’a mise considérablement mal à l’aise.
Plus elles en voulaient, moins je pouvais en donner.
Avec mon père (mes parents sont divorcés), les échanges étaient peu nombreux mais notre relation n’en a été que meilleure.
Je prenais plaisir à avoir et prendre des nouvelles, même si ce n’était qu’une fois par mois, ou que c’étaient de simples « Ça va ? Oui, oui, nickel ! À bientôt ! ».
Il allait bien, il était heureux, c’est tout ce qui m’importait.
Pour autant, je me sentais mal, je ne comprenais pas. Pourquoi moi, qui avais eu une famille aimante, entourée et soudée, je n’avais aucune envie d’avoir un attachement ou un besoin d’amour de la part de ma famille ?
Étais-je anormale ? Sans sentiments ? J’y ai cru un moment.
Pas proche de ma famille et c’est très bien comme ça
J’en ai pleuré de ne pas avoir cet élan de joie d’aller aux fêtes de familles, de ne pas me sentir concernée par des événements qui me semblaient futiles (non parce que vraiment, la première dent de tel petit cousin, je trouvais cela un peu léger comme célébration).
J’ai mis environ cinq ans à comprendre que non, ce n’était pas un manque d’amour ou un désintéressement de ma part, mais mon caractère. Je ne veux pas m’obliger à prendre des nouvelles par obligation familiale.
Je considère que si je n’en ai pas, c’est que tous mes proches vont bien, qu’ils mènent leurs vies paisiblement et j’en suis heureuse.
J’ai mis du temps à comprendre que finalement non, nous n’étions pas obligés d’aimer nos familles. Et c’est à partir de ce constat que j’ai compris que je n’avais aucune obligation envers mes parents, ma sœur.
Je ne suis pas obligée de les tenir informés que j’ai une nouvelle coiffure, un nouveau petit copain ou envie de manger les spaghettis sauce fromage de Margaux Palace.
Bon, bien sûr que s’il y a un gros changement dans ma vie, je le leur annoncerai, et je serai même heureuse de partager ce moment de bonheur avec eux — comme je suis heureuse qu’ils partagent une bonne nouvelle de leur côté.
Mais je ne comprends pas et ne ressens pas le besoin constant d’avoir des nouvelles.
Donner des nouvelles et en prendre par obligation deviendrait pour moi quelque chose d’hypocrite.
Ce n’est pas toujours évident quand je m’entends dire que je suis distante, solitaire, sauvage. Et peu de personnes le comprennent. Elles sont parfois blessées et prennent mon éloignement pour un désintéressement.
Je ne m’en rends même pas compte, et en même temps, rien ne les empêche de venir me faire un coucou de temps en temps.
Ce n’est pas parce que je n’y pense pas, que je suis pas contente quand elles font un petit tour par chez moi — au contraire !
Du moment que cela reste occasionnel, que cela n’empiète pas de manière intrusive dans mon quotidien et mon équilibre.
On dit « parlons peu, mais parlons bien » ; c’est comme cela que je vois ma relation familiale.
Et si j’ai une famille plus tard ?
Je ne sais pas comment je serai avec mes enfants si j’en ai un jour (rien n’est moins sûr !). Mais cela fait maintenant un moment que j’aime l’idée de n’étouffer personne de ma famille avec mes histoires personnelles.
Et si je peux en faire de même avec mes propres enfants/neveux, j’en serai contente.
Bien sûr, je me demande si je n’aurai pas de regrets quand les personnes qui me sont chères seront parties.
Est-ce que je vais me dire que je ne leur ai pas porté assez d’attention ? Est-ce que cela ne pas remettre en cause mon fonctionnement ?
C’est possible, mais seul l’avenir me le dira.
Pour le moment, je me concentre sur mes études, pour finir cette étape qui me bloque dans mon évolution personnelle et trouver enfin un lieu géographique stable avec mon amoureux.
Je verrai ensuite si cette stabilité m’apporte plus l’envie de me rapprocher de ma famille.
Dans tous les cas, mon manque d’attention n’est pas que je ne les aime pas, mais que je les aime différemment.
Plus d’un an après, qu’est-ce qui a changé ?
Un an et demi après mon premier témoignage, je reviens vous causer.
Alors, qu’est-ce qui a changé depuis ce temps ? Plein de choses et en même temps, pas tellement. Pour couper court avec la question évidente, je ne suis toujours pas « famille ».
Depuis mon témoignage, j’ai fini mes études, j’ai déménagé à environ 1 500 km et j’ai un appartement douillet avec mon copain.
Je ne saute toujours pas sur mon téléphone, je vais toujours rarement chez mes parents. La seule différence est peut-être que je parle plus facilement avec ma sœur.
Nous avons des discussions plus adultes : chacune a grandi, pris du plomb dans la tête. Alors qu’avant elle me reprochait mes relations distantes, ce n’est plus le cas.
Est-ce que c’est le fait qu’elle s’est créée son propre cocon ? Ou parce qu’elle a compris que c’était comme ça ? Je ne sais pas. Mais c’est plutôt agréable et plus facile à gérer.
Et j’ai d’autant plus envie d’aller lui demander quelques nouvelles.
La famille qu’on se choisit
Je suis beaucoup plus zen depuis que j’ai accepté l’idée que c’était mon caractère. J’avais parfois des moments de doute et de peur, mais ce n’est plus le cas.
Mes parents ne sont pas mon futur : mon futur, c’est mon binôme de vie et moi-même.
Nous construisons notre futur en créant notre propre bulle, et cette bulle n’inclut pas mes parents, ni mes beaux-parents (qui sont d’ailleurs très contents de ça !).
C’est peut-être égoïste, mais c’est comme ça que nous avançons ensemble. Bien sûr, pas de surprise, mon copain est tout aussi « famille » que moi. Nous formons un couple soudé avec notre équilibre propre.
Par contre, depuis la fin de mes études, je me rends compte que mes amies ont pris une place importante dans ma vie.
Malgré nos déménagements et le fait que nos réunions de copines soient un peu plus espacées, nous sommes collées les unes aux autres de façon quasi-quotidienne.
Nous avons tout le temps des discussions instantanées, nous nous passons des coups de téléphone ou discutons sur Skype.
Dès que l’une a besoin de soutien, elle trouve une parole douce, sans jugement et en toute connaissance du caractère de l’autre. Elles ne sont pas toutes « famille » non plus, certaines plus que d’autres, mais nous ne pouvons pas nous détacher de notre lien.
C’est un lien très fort et je considère ces personnes comme des bouts externes de moi-même : est-ce qu’elles correspondent à la définition de la famille ?
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Crédit photo : Sinitta Leunen via Unsplash
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