« Le principe est simple : permettre aux français d’interpeller directement les candidats » nous dit Laurence Ferrari en introduction de l’émission qu’elle présente le lundi soir sur TF1 : Parole de Candidat.
Le principe n’est pas aussi simple. J’ai souffert 4 émissions dont 2 en replay, je peux vous en parler. L’idée était de confronter le candidat à des ‘vrais’ gens qui ont de ‘vrais’ problèmes, afin de le contraindre à répondre concrètement aux attentes des français, par opposition à un débat d’idées face auquel le pékin moyen est vite largué – c’est du moins ce qu’ont dû se dire les génies qui ont pondu le concept de l’émission.A vouloir ancrer le débat dans une réalité concrète et pragmatique, ils ont, au contraire, produit l’effet inverse. En effet, le débat d’idée ne consiste pas à s’échanger des concepts déconnectés de toute réalité. Il se construit selon un triptyque idée – argument – exemple. J’avance une idée (qui peut être une opinion), je l’étaie d’un ou plusieurs arguments (des faits, des constats, une démonstration logique) et je l’illustre d’un ou plusieurs exemples (pour le rendre plus clair, plus intelligible – « ah oui, je vois de quoi tu parles »).
Démonstration :
- La dette publique est un problème – idée (ça se discute ; moi je ne vois pas le problème.)
- Plus notre dette est importante, plus les taux d’intérêt sur nos emprunts seront élevés, notre dette augmentera : c’est un cercle vicieux (argument – qu’on peut réfuter, si on est économiste. Moi je ne vois toujours pas le problème.)
- Des pays comme la Grèce ou l’Espagne sont déjà dans cette situation – on voit les effets dévastateurs sur la Grèce (exemple – vous voyez de quoi je parle. Ah oui je vois la Grèce, j’ai compris pourquoi la dette est un problème ! )
Dans Parole de Candidat, on échange uniquement des idées et des exemples, voire que des exemples, sans passer par l’argument. On dialogue directement à partir de l’exemple.
Déjà, c’est pas parce que JE suis une quiche en macro-économie – et un pourcentage certain de la population avec moi – qu’il faut prendre le reste de la population pour des buses en n’agitant que des exemples. Or, c’est précisément à ce travers que l’émission Parole de Candidat incite fortement.
Le panel de « français » est choisi pour représenter des typologies de problèmes, des exemples de situations, histoire de voir si le candidat a vraiment des solutions concrètes. Évidemment, le candidat ne les a pas, car contrairement à Mme Michue, qui connaît bien son problème, le candidat ne connaît pas le cas de Mme Michue dans les détails. S’il essaie de lui répondre, il se plante forcément. C’est ce qu’ont tenté de faire François Bayrou et Eva Joly : spoiler, ça n’a pas marché.
En réalité, on n’attend pas d’un candidat à l’élection présidentielle qu’il ait les solutions au problème de Mme Michue. On attend de lui précisément la hauteur, le recul et la réflexion nécessaires à la compréhension de problèmes complexes et imbriqués qui ne peuvent justement pas être résolus un à un, séparemment. Voilà pourquoi débattre du menu des cantines scolaires ou des horaires de piscine est un hors sujet : on attend du candidat à l’élection présidentielle un projet de société. Or sur Parole de Candidats, ce n’est pas ce qu’on attend de lui/d’elle.
Dès que le candidat essaie d’en savoir plus sur le cas du Français auquel il/elle est confronté/e, il se rend invariablement compte qu’il n’a pas, parmi son programme ou ses fiches, la solution au cas de Mme Michue
. Et pour cause ! ‘Sont malins à TF1, en choisissant le panel, ils s’arrangent tout de même pour qu’il y ait débat ! Donc face à celui qui prône le protectionnisme, on lui colle des commerçants qui exportent (Marine Le Pen), celui qui prône le “produire français”, on lui colle un entrepreneur qui produit déjà français – mais ne s’en sort pas. REP A SA François Bayrou…
J’en suis arrivée à cette analyse car François Hollande n’est pas tombé dans ce piège lors de son émission. (idée – c’est mon opinion). Il a, à partir de chaque exemple, remonté la chaîne de démonstration, rattachant l’exemple à l’un des arguments qu’il utilise pour défendre une de ses propositions, quitte à ne pas résoudre le problème particulier qu’on lui soumet (argument : voilà pourquoi je dis qu’il n’est pas tombé dans le piège).
Donc, par exemple : face à M. Michart le coiffeur et son problème d’heures supplémentaires que François Hollande parle de ne plus “défiscaliser” :
“Je comprends votre problème” (oui, l’empathie est obligatoire sur ce plateau, tout le monde comprend tout le monde, c’en est émouvant.) Il explique, il argumente : je propose de revenir sur la défiscalisation seulement pour les entreprises de plus de 20 salariés, parce que [il explique sa mesure par des arguments], – et il reprend l’exemple particulier qui lui est soumis pour clore la démonstration. Notez que je ne rentre pas dans les détails du programme, on verra ça plus tard. C’est la construction logique qui nous intéresse ici.
Surprise, M. Michart a effectivement plus de 20 salariés ; oups ! Donc il sera bien touché par la réforme que veut François Hollande, non ? Quels chafouins sur TF1, ils ont lu le programme d’Hollande ! Lequel a désormais le choix, en direct sur TF1, entre désavouer son programme ou mentir à M. Michard. Or il lui dira la vérité : désolé M. Michard, la défiscalisation des heures supp’ ne sera pas maintenue pour votre entreprise. Bizarrement, comme le candidat a démontré ce point, la pilule passe mieux.
L’autre option, que le candidat socialiste n’a pas choisie, aurait été de se contenter de compatir avec M. Michard et de trouver un moyen d’abonder dans son sens – de préférence en nommant un bouc émissaire. Si le bouc émissaire est une clientèle d’un candidat concurrent, alors c’est le combo-gagnant. Non seulement personne ne s’occupe de vous monsieur, mais moi je vous comprends, et en plus en face, il/elle veut carrément votre peau, donc moi je vous défends ! C’est que d’l’amour cette émission.
La tentation est si grande sur ce plateau de sauter une étape du raisonnement, ce qui permet d’asséner une idée sans construire de démonstration logique. Exemple : Ah, vous êtes ouvrier, vous êtes au chômage ? C’est parce qu’il y a trop d’immigration (argument foireux, mais argument quand même) – je propose justement de fermer nos frontières afin de limiter l’immigration (idée fumeuse), donc il y aura plus de travail pour les Français, donc vous ne serez plus au chômage. Cette démonstration qui n’a de logique que l’apparence est ce qu’on appelle communément la démagogie.
Pour mieux habiller la démagogie en lui donnant l’apparence de l’argumentation, on remplace la 2ème étape (l’argument) par des chiffres. Les chiffres, c’est bien connu, c’est concret, indiscutable. Donc on balance des chiffres qu’on ne s’attarde pas à expliquer – ils sont indiscutables enfin ! Mais un chiffre n’est pas un argument, aussi fiable et rigoureux soit-il, le chiffre n’est jamais qu’un exemple… Donc lorsque Nicolas Sarkozy commence, ponctue et conclut ses interventions d’une ribambelle de chiffres, je suis plus que sceptique (et je ne suis pas la seule !).
La meilleure illustration de notre argument est la prestation de Marine Le Pen, que j’écoute en replay alors que j’écris ces lignes. C’est merveilleux, cas d’école, tout y est : empathie, les chiffres, les exemples les plus indiscutables, de l’emphase, des certitudes, et j’en passe. La candidate du FN a parfaitement bossé et brossé sa communication. Face aux journalistes, c’est déjà plus difficile : eux aussi ont bien bossé leurs leçons de com’ politique. Forcément, ça clash… Pour elle comme pour les autres, Il est toujours plus facile de baratiner Mme Michue et Monsieur Michard que François Lenglet, l’économiste qui intervient dans des Paroles et des Actes sur France 2…
En conclusion, l’émission Parole de Candidat, en voulant simplifier à outrance le débat politique, ouvre en grand la porte à la démagogie. Elle se voulait sans doute émission vedette d’une campagne “au service des Français”, elle n’est que le théâtre d’un concours d’éloquence. La preuve en est qu’à décider lequel des invités a réalisé la meilleure prestation, mon verdict est sans appel : victoire haut la main de Jean-Luc Mélenchon, dont la verve séduit les foules. Sa sortie contre Marine Le Pen me fait rêver à ces grands discours politiques prononcés par ces légendes, à des temps que je n’ai pas connus.
Non, je n’argumente pas ce point. Quoi, ma plume seule n’a-t-elle pas su vous convaincre ?!
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Sinon quitte à regarder une émission de débat politique, je préfère celle de Pujadas sur France 2.