Sur les réseaux sociaux, Stencia est aussi connue sous le nom de Perebisou. Danseuse et modèle, l’industrie de la beauté ne lui est pas étrangère. Et parce qu’elle a bien conscience de ses failles, elle a créé il y a quelques mois son média sur Instagram : Beautiful Pendere.
La beauté, un concept qui n’est pas neutre
Ce projet s’enracine non seulement dans le vécu de Stencia, mais aussi de ses amies, et des personnes qui lui ressemblent. Si elle a décidé de le créer, c’est après avoir a réalisé une chose d’importance :
« En discutant avec des amies noires, nous avons réalisé que nous avions à peu près toutes la même histoire : le chemin pour nous accepter, pour nous trouver belles a été long, et un peu tortueux.
Quand on est une personne racisée, une personne noire, on ne représente pas la norme. Moi, toute mon enfance, on a voulu toucher mes cheveux, mon nez… Les questions sur mon corps et la manière dont je présentais étaient constantes : on m’a fait comprendre que j’étais hors-norme.
Grandir avec ces comportements autour de soi, et sans représentation valorisante de celles et ceux qui nous ressemblent rend les choses plus difficiles. On ne peut pas se dire qu’on est vraiment beau, ou belle, parce que tout ce qu’on voit autour de nous nous prouve le contraire. »
Et derrière la question de la beauté comme valorisation esthétique se cache la question de la légitimité à exister, pour les personnes racisées. Interroger l’apparence d’une personne de manière répétée, c’est aussi lui faire comprendre qu’elle n’est pas à sa place, quel que soit l’espace dans lequel elle évolue.
« On est passées par ce chemin là parce qu’on a grandi dans des environnements majoritairement blancs, qui mettaient en avant toutes nos différences.
Au delà de la beauté, on remet aussi en question notre légitimité à exister. La société occidentale nous demande de faire nos preuves sans cesse, pour tout. Et parce que l’image qu’on a de soi vient aussi du regard des autres, qui nous font exister, le chemin vers l’acceptation de soi, vers le fait de se dire “je suis belle, je suis beau” est plus long.
Il y a tout un travail à faire pour s’émanciper de ses codes. »
Alors, elle a commencé le projet Beautiful Pendere, qui est né comme un projet photo intitulé Beautiful People avant de devenir un média.
Beautiful Pendere, c’est quoi ?
Le nom du média n’a pas été choisi au hasard. Il est lié au parcours personnel de Stencia, qui précise :
« Pendere, dans ma langue d’origine, ça veut dire beau. Je voulais que le nom de média rappelle mes origines, mon histoires, alors j’ai choisi ce mot. Ca donne Beautiful Pendere. »
Sur le feed Instagram, des personnes racisées de tous horizons racontent les chemins qu’elles ont emprunté dans leur rapport au corps et à leur image. Pour Stencia, créer cet espace était un besoin :
« Ce projet est né d’un désir de voir des personnes racisées raconter leurs histoires, avec un espace assez grand pour le faire, et pour toucher les gens qui sont dans la même situation. »
C’est toute l’idée derrière ce projet : un média inclusif, pour toutes et tous. La créatrice renchérit :
« Au sein de certaines communautés racisées, il y a parfois des tabous autour des identités de genre, de la non-binarité ou de la transidentité… Moi, j’aimerais que les personnes LGBTQ+ soient représentées. Ce que je veux, c’est créer des contenus qui peuvent nous permettre de nous instruire entre nous, et qui permettent aux personnes non concernées de comprendre ce que nous vivons. »
Instruire, sensibiliser, s’exprimer
Sur le média, les vidéos de témoignages alternent avec des posts à portée pédagogique, vraie volonté de reprendre « à la base » toutes les questions abordées. Stencia explique :
« C’est nécessaire et important, pour moi, de faire de l’éducation, de développer certains propos : comment faire autrement pour que les choses évoluent dans un sens positif ? J’ai envie qu’on puisse mettre le doigt sur les problèmes. »
Porter ces discours, c’est aussi porter un discours profondément anti-raciste, et décortiquer les réalités qui pèsent aujourd’hui sur les personnes racisées en France.
« Pour moi, on ne peut pas parler de beauté chez les personnes racisées sans parler du mot racisme : on parle des micro-agressions qu’on vit depuis notre enfance, et qu’on vit encore tous les jours.
C’est un sujet d’importance. Parler de beauté, c’est parler du manque d’ouverture d’esprit de notre société occidentale, parler de norme, de quotas. On parle de colorisme, de texturisme, de featurisme, mais il ne s’agit pas seulement de physique… Il s’agit d’un problème de fond, lié aux discriminations raciales. »
Raconter son histoire sans avoir à s’en excuser
Stencia l’affirme, aujourd’hui, les industries de la mode, de la beauté ou de la danse ont évolué vers plus de diversité. Mais elle s’installe lentement, et toujours avec des conditions :
« Aujourd’hui, on montre des personnes racisées, mais on ne les laisse toujours pas s’exprimer : ce n’est sont pas elles qui décident de la manière dont elles parlent, dont elles sont montrées.
J’ai créé ce média pour donner la parole sans restriction, en permettant aux gens de raconter leurs histoires comme ils le veulent sans s’en excuser, sans être désolé, et sans qu’ils n’aient jamais à se justifier.
Et malgré une vitrine plus diverse, c’est encore très rare de pouvoir le faire. Quand des industries blanches nous donnent la parole, c’est selon leurs conditions, et il ne faut pas les mettre en porte à faux. C’est quelque chose que je voulais changer à mon échelle. »
Et ces histoires partagées sur le média font, toutes autant qu’elles sont, écho au parcours de Stencia et au parcours des personnes racisées en France. Le point commun entre elles, c’est le chemin qu’il a fallu parcourir pour pouvoir se trouver beau, ou belle.
« Je me retrouve dans la manière dont toutes ces personnes se sont battues pour se trouver, dont elles ont revendiqué leur existence. Mais je ne veux pas que ce média soit à propos de moi. Je le fais pour la communauté, qu’il existe un endroit pour nous, par nous .»
La beauté selon Beautiful Pendere
La puissance de ce média pensé comme une communauté, c’est qu’il peut toucher tout le monde, partout. Et pour les personnes qui se reconnaissent dans les communautés LGBTQ+, c’est une chose précieuse, qui permet de se voir représenté même si l’on vit dans un endroit isolé.
« Il y a un enjeu de représentation énorme auquel ce média veut répondre. Quand on fait partie de communautés minorisées, notamment du point de vue du genre ou de l’orientation sexuelle, on peut être très isolée dans certains espaces.
Et dans ces cas, les seuls liens qu’on peut avoir avec celles et ceux qui nous ressemblent, c’est internet. C’est surtout pour ça que je travaille. »
Se sentir représentée, voir son parcours valorisé, c’est ce qui permet aussi de se sentir belle ou beau. D’ailleurs, quand on lui demande sa définition de la beauté, la réponse de Stencia est spontanée :
« Pour moi, la beauté, c’est la différence, le fait d’être unique et singulier. C’est simple ! Parce que la beauté est dans les choses simples, dans la vulnérabilité aussi.
Toutes les personnes que je peux croiser sont belles : l’authenticité compte, qui on est au fond de nous, ce qu’on fait ressentir aux autres… Moi, je trouve ça fou qu’on soit absolument toutes et tous différents ! La norme, au final, ça n’existe pas. »
À lire aussi : Et si on rendait le vocabulaire de la beauté plus inclusif ?
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