À l’heure de la mondialisation, parler plusieurs langues n’a jamais été aussi important. Et pourtant, face au bilinguisme, les enfants comme les adultes ne sont pas égaux dans une société multiculturelle. En effet, en fonction de la représentation sociale de la langue parlée, le rapport que les individus entretiennent avec elle oscille entre fierté et honte.
Le bilinguisme à deux vitesses
« À la maison, on parle français et anglais parce que mon père est britannique et ma mère française », précise Marie, étudiante en droit. Comme de nombreux enfants, la jeune femme bénéficie d’un double héritage culturel et linguisitique. Cette particularité est un avantage certain car il lui ouvre de multiples opportunités sur le plan professionnel notamment.
Une position partagée par la professeure Marie-Rose Moro, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent spécialiste des questions transculturelles :
« Des enfants qui ont plusieurs appartenances, plusieurs mots, plusieurs possibles plusieurs affiliations, plusieurs mondes, c’est à mon sens une richesse. ».
Sur le papier, parler deux langues ou plus est positif mais la réalité est parfois différente car chaque langue est associée à un apport culturel spécifique. De fait, on assiste malheureusement à une hiérarchie implicite des langues dans la société.
Concrètement, être bilingue anglais c’est génial, mais bilingue arabe dialectale ça l’est déjà beaucoup moins.
Avoir honte de sa langue maternelle
« Je parle le dialecte marocain mais je ne l’ai pas écrit sur mon cv. D’ailleurs, je ne l’évoque même pas en entretien sauf si on me pose la question », déclare Yasmine, assistante RH.
Comme beaucoup d’adultes dont les parents sont des émigrés nord-africains ou africains, elle considère que sa langue maternelle n’est pas une compétence valorisante voire une compétence tout court.
Une dévalorisation ancrée depuis le plus jeune âge et qui se traduit chez certaines personnes par des propos méprisants ou péjoratifs comme « la langue du bled ». À travers l’utilisation de ces expressions, elles renient une partie de leur identité afin de se détacher des préjugés et des clichés portés par leur langue maternelle.
C’est le cas d’Asmy, qui à l’adolescence a voulu prendre de la distance avec le wolof, la langue parlée par ses parents sénégalais. Une période qu’elle regrette :
« Je ne voulais plus parler cette langue ni l’entendre à la maison. L’idée n’était pas de renier mes origines dont je suis fière mais de devenir “la bonne française qui parle bien français”. C’était absurde. »
Se départir d’un héritage multiculturel pour s’intégrer à l’adolescence est également le choix qu’a fait Nabil Wakim, journaliste au Monde. Dans son livre L’arabe pour tous – pourquoi ma langue est taboue en France (Ed. Seuil), il raconte son rapport compliqué avec la langue de ses parents alimenté par cette envie de paraître inoffensif auprès des autres.
Il écrit :
« En fait, le bon arabe, c’est moi. Celui qui n’a pas l’air trop arabe, celui qui ne parle pas l’arabe. »
L’impact sur l’estime de soi
Un choix qui est loin d’être anodin. En effet, ces renoncements ont des conséquences sur le socle du développement de l’enfant et a fortiori de l’adulte. Une situation que déplore la Dr Marie-Rose Moro:
« Ce n’est pas bon sur le plan de l’estime de soi. Si on dévalorise une partie de nous-même, on se fragilise et donc, on se fait du mal. »
Cette dévalorisation, les enfants y sont confrontés très tôt, notamment au sein du système scolaire. Par exemple, quand un enfant parle une autre langue à la maison et que son français est imparfait, l’institutrice aura tendance à demander aux parents de lui parler exclusivement dans la langue de Beauvoir.
Une erreur selon la docteure Marie-Rose Moro qui prévient :
« Il faut parler à un enfant dans sa langue maternelle, ainsi plus il saura, aimera et apprendra la langue française. Ils sont tout à fait capable de changer de langue, de registre de langage, de rythme et de vocabulaire, de passer du registre classique de l’école à un autre pendant la récréation avec leurs amis ».
Contrairement aux idées reçues, l’apprentissage de la langue peut se faire en jonglant avec plusieurs idiomes. C’est ce qu’on appelle le code switching ou encore alternance codique qui correspond au passage d’une langue à une autre au cours d’une conversation.
Pourtant, depuis des années, le système éducatif en qualifiant la langue maternelle de frein à l’apprentissage a contribué à une dévalorisation de cette identité.
Pour y remédier, certains adultes s’inscrivent dans des institutions ou écoles pour apprendre leur langue maternelle et tenter ainsi de se réapproprier une partie de leur identité.
D’autres refusent de faire les mêmes erreurs que la génération précédente.
« Mes parents ne voulaient pas qu’on parle arabe à la maison. C’était important pour eux que je maîtrise le français avant tout. Ça ne sera pas le cas de ma fille. Je compte bien lui transmettre cette langue et cette culture, c’est important qu’elle sache d’où elle vient », promet Dalila, institutrice.
Encore faut-il pouvoir apprendre la langue de son choix…
L’arabe de la discorde
Alors que l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France, elle est très peu enseignée dans le système scolaire, au profit du secteur associatif. Face à cette situation, les gouvernements successifs ont évoqué plusieurs fois une modification de l’apprentissage durant le parcours scolaire. À chaque fois, la droite et l’extrême-droite ont été vent debout à l’évocation de cette hypothèse, en se vautrant dans des raccourcis souvent hasardeux.
Récemment, dans une interview accordée à Brut le vendredi 4 décembre 2020, Emmanuel Macron a plaidé en faveur de l’enseignement de l’arabe :
« Ce que je veux faire, c’est pouvoir remettre l’enseignement de l’arabe : l’une des langues les plus parlées par ces jeunesses dans leur famille, pour éviter que ce soit détourné par d’autres mais aussi pour reconnaître cette part. »
Une déclaration qui, comme à chaque fois, a suscité la polémique. Associée à l’islam et aux ghettos, cette langue souffre d’une mauvaise image alimentant les craintes. Or ce type de discours est contreproductif et contribue à ce sentiment de bilinguisme de seconde zone.
Interrogé par Franceinfo, la sociologue Françoise Lorcerie souligne justement :
« Le discours qui dévalorise l’enseignement de l’arabe participe à donner le sentiment à ces populations qu’elles sont mal vues, qu’elles n’ont pas leur place dans la société. »
Outre l’ouverture sur le monde, l’apprentissage de la langue arabe dans le système scolaire permettrait également de mettre fin à cette hiérarchisation des cultures et des langues.
Enfin, voici un proverbe arabe, n’en déplaise à certains, qui résume bien la situation : « Celui qui apprend la langue d’un peuple n’aura pas à le craindre ».
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