C’est en tant que l’une des arrière-petites-filles de Conrad Hilton, fondateur d’une chaîne d’hôtels de luxe à son nom, que Paris Hilton débute sous les feux des caméras de la télé-réalité dès 2003. L’émission A Simple Life, où elle partage la vedette avec Nicole Richie, fait d’elle l’une des premières influenceuses au sens contemporain du terme : un mème ambulant, capable de documenter sa propre vie, et de vendre n’importe quoi grâce à sa propre surexposition médiatique.
On l’avait presque oubliée, la pensait ringardisée par son ancienne assistante, Kim Kardashian, mais voilà que Paris Hilton revient, petit à petit, par là où on ne l’attendait pas, alors même que cela devrait paraître évident : le monde du luxe.
L’opération relooking pour redorer son image, presque une tradition
La plus ancienne maison de couture française encore en activité, Lanvin, vient de dévoiler sa campagne printemps-été 2021, où Paris Hilton paraît plus élégante que jamais. Photographiée par le duo Mert Alas et Marcus Piggot, elle arbore un carré blond so Lady Di et les dernières créations imaginées par Bruno Sialelli, l’actuel directeur artistique de la maison.
Cette énième icône mode déterrée des années 2000 qui ressurgit aujourd’hui n’étonne guère Florence Abitbol, doctorante en sciences de l’art, esthétique et mode :
« Ce n’est pas la première fois que des icônes pop de téléréalité plus ou moins retirées des écrans réapparaissent du côté de campagnes de mode ou d’univers esthétiques pointus. Comme récemment Nabilla Vergara photographiée par Alice Moitié pour Playboy, Zahia Dehar qui pose pour Pierre & Gilles, Pamela Anderson en égérie des chaussures d’Amélie Pichard, ou Lindsay Lohan pour Miu Miu en 2007. Cela permet à ses icônes populaires de redorer leur nom, et aux grandes maison de jouer avec leur image pour faire parler. »
Dans le cas spécifique de Paris Hilton, cela intervient comme la fin de son arc de rédemption, pour cette reine du story-telling qui a eu besoin de (se) faire oublier après ses frasques racistes, homophobes et sérophobes, afin de mieux revenir. L’experte suppose ainsi :
« Elle avait tenu beaucoup de propos graves. Même s’il s’agit d’un photomontage parodique, le t-shirt “Stop being poor” qu’elle n’a jamais porté est resté gravé dans la mémoire collective parce que ça nous semblait crédible. Son relatif silence médiatique a donné plus de poids à des documentaires comme The American Meme (2018) diffusé par Netflix, puis This is Paris par Youtube. Ils ont contribué à la réhabiliter comme une pionnière du marketing d’influence, de la présenter sous un jour plus humain et intelligent. Récemment, la drag queen Gottmik a même interprété Paris Hilton dans RuPaul’s Drag Race, signe supplémentaire de son retour en grâce. »
Choisir une icône pop pour rajeunir une maison et la rendre moins snob
En se taisant, Paris Hilton a laissé l’histoire la réécrire comme bien plus que le personnage de blonde écervelée dans lequel elle s’était enfermée à l’aube du millénaire. Sauf qu’entre temps, pour se démarquer de l’usine à it-girls qu’est devenue la téléréalité, être une bimbo ne suffit plus.
« Maintenant qu’elle commence à reprendre la parole et la lumière médiatiquement, Paris Hilton poursuit sa réhabilitation en s’engageant contre les violences éducatives. Et ce, avec légitimité, puisqu’elle a été maltraitée dans le pensionnat privé Provo Canyon où ses parents l’avaient envoyée. Kim Kardashian se montre également de plus en plus engagée politiquement, comme si cela devenait un passage obligé. »
Mais pourquoi une maison de luxe comme Lanvin a intérêt à capitaliser sur une figure comme Paris Hilton aujourd’hui ? L’universitaire en esthétique et mode Florence Abitbol décrypte :
« Lanvin était une marque très connue sous la direction artistique d’Alber Elbaz de 2000 à 2015, qui avait fait partie des premières collabs avec H&M en 2010. Son départ fracassant a fendu le cœur d’une grande partie de l’industrie. Le studio a d’abord assuré l’intérim, avant que n’arrive Bouchra Jarrar en 2016, remplacée au bout d’un an seulement par Olivier Lapidus, resté neuf mois ! Ce turn-over explique peut-être pourquoi Bruno Sialelli a pu arriver à la direction artistique en janvier 2019 sans qu’on n’y prête tellement attention, ce qui lui a sûrement servi. Choisir Paris Hilton correspond à son travail de rendre le luxe de Lanvin moins snob, en l’alliant à des références que les gens connaissent, afin d’ancrer la maison dans le présent. »
Piocher dans des tendances de moins en moins passées face au rythme effréné de la mode
Mais pourquoi remettre au goût du jour une icône presque oubliée des années 2000 en quête de réhabilitation ? En fait, la mode fonctionne beaucoup par anachronismes, en piochant dans différentes décennies des idées, des formes, et des icônes pour habiller demain. Comme Yves Saint Laurent en 1971 qui s’inspire des années 1940 (et fait scandale). Ou John Galliano, DA de Dior de 1996 à 2011, qui s’inspirait beaucoup de la mode des XVIIIe et XIXe siècle. Mais comme on attend et produit de plus en plus de collections, cette intensification du rythme s’accompagne d’un besoin croissant de références dans lesquelles puiser pour nourrir la bête, nous explique Florence Abitbol :
« Ce serait difficile à dater, mais j’ai l’impression qu’on remet des choses au goût du jour de plus en plus rapidement. Les réseaux sociaux ont une grande influence dans la popularisation de ce qui étaient des sous-cultures de niche pour les insérer jusque dans la culture populaire. Beaucoup de tumblr ont de meilleures archives que certaines grandes maisons, d’ailleurs. On prête à Rose Bertin, “ministre des modes” de Marie-Antoinette, l’expression “Il n’y a de nouveau que ce qui est oublié” qui résume bien cette pratique inhérente à la mode : dépoussiérer des tendances du passé et les réactualiser juste assez pour qu’elles nous paraissent désirables aujourd’hui, neuves, voire inédites. »
Ce qu’a bien compris Bruno Sialelli, qui donne donc un bon coup de Botox à la maison Lanvin fondée en 1885 en choisissant Paris Hilton comme égérie, qu’il rhabille de tous les codes maison : le rose Polignac, la forme « robe de style » (taille resserrée et ample jupon corolle, façon robe à panier du XVIIIe, que popularise la fondatrice Jeanne Lanvin dans les années 1920, en totale opposition avec les robes Charleston toutes droites, également en vogue à l’époque), des cascades de taffetas et la richesse des broderies. Comme le répétait constamment Paris Hilton dans A Simple Life : « That’s hot ! »
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