Je vous vois venir d’ici. « Ouaaais, mais on est plein à avoir des parents un peu de gauche, pas de quoi s’émerveiller… ». Non. Pour ma mère, Jean-Luc Mélenchon est une midinette qui n’a de rouge que son écharpe et le bout de ses oreilles quand il fait froid.
Mes parents se sont rencontrés au lycée vers la fin des années 70. Au début, tout amour était impossible entre eux. Comprenez : mon père était gauchiste, trotskiste, alors que ma mère était aux Jicé (Jeunesses Communistes) et est toujours assez léniniste. Donc forcément, ca ne pouvait pas coller.* Mais après quelques années de bataille de collage d’affiches sur les murs du lycée, ils ont fini par s’entendre. Quelques années plus tard, après quelques manifs pour libérer Mandela et un ou deux projets de road-trips à travers l’URSS, je suis née.
*Si toi non plus tu ne comprends pas où est le problème, tape dans tes mains !
Parents communistes et petite enfance
– Par Fiona Hewitt
Évidemment, quand j’étais petite, je n’avais pas conscience que mes parents étaient plus à gauche que la moyenne. Je n’ai jamais été la Staline des bacs à sable, et je n’ai pas demandé une collectivisation des crayons de couleur.
Mais certains signes auraient dû me mettre la puce à l’oreille. Par exemple,
je n’avais pas droit aux Barbie*. Eh oui, voyons, Barbie c’est l’incarnation de la société de consommation américaine, du consumérisme et attention, du monstre infâme, j’ai nommé le capitalisme. Mais ma tante a eu pitié de moi et a fini par m’en offrir une ; mes parents ont été obligés de suivre, et j’ai pu avoir Barbie Sissi (c’est-à-dire l’incarnation du capitalisme ET de l’aristocratie, affront suprême pour ma mère).
Autre traumatisme, la Fête de l’Humanité (plus connue sous le nom de « l’Huma »). J’y fus emmenée année après année pendant toute mon enfance. Jusque là, pas de problème, c’est bien comme sortie familiale. Des petites cigarettes home-made, des senteurs d’herbe (de Provence, of course) et de grillades, des pogos sur Lavilliers… Le rêve de n’importe quelle petite fille de 5 ans. Le problème entre moi et cette fête, ce fut la boue. La boue, qui se déposa sur le bas de mon TOUT NOUVEAU pantalon de survêtement BLEU TURQUOISE à l’effigie des 101 Dalmatiens, alias les Beatles des années 90. Le pantalon fut ruiné, et mon cœur brisé à jamais (Pongo si tu m’entends, je te jure que ce n’était pas ma faute).
Je pus ruminer mon désamour pour la boue de la Courneuve jusqu’au divorce de mes parents. Après quoi elle passa en second dans mes priorités.
*la poupée hein, pas le nazi fou
En grandissant…
Même s’ils étaient divorcés, j’ai vite pris conscience que mes parents étaient vraiment de gauche, et pas la petite gauche qui roule en Porsche rive gauche. Au collège, ça ne m’a jamais trop posé de problèmes, vu qu’il faut avouer qu’entre 11 et 14 ans l’engagement citoyen est assez minimal. Et mon collège étant classé en ZEP, généralement les profs étaient plutôt du même bord que mes parents, ce qui évitait la confrontation des idées et le développement de ma pensée politique, du même coup. On a bien rigolé avec la politique (vu que les élections de 2007, c’était quand même une grosse marrade), principalement sur MSN avec des émoticônes qui surlignaient les noms de Sarkozy ou Royal avec des flammes ou du violet fluo clignotant.
Mais tout a changé après la troisième. Je suis rentrée dans un lycée qui, je m’en suis rendue compte par la suite, était nettement plus à droite que mon collège. Ça peut paraître légèrement idiot, mais je fus réellement surprise de trouver des gens qui pensaient très différemment de moi, même si ça a donné lieu à des débats beaucoup plus rigolos. Mais ne vous inquiétez pas, il y avait quelques survivants à la domination UMP imposée par les associations de parents d’élèves (qui, ceci dit, sont aussi infâmes de gauche comme de droite) et j’ai eu vite fait de retrouver des petits camarades bien à gauche. Après quelques blocus ratés et autres joyeusetés manifestantes, je suis rentrée en première ES.
Ce fut un deuxième affront pour ma mère (après la Barbie Sissi, souvenez-vous). Au début, elle était contente. Elle m’a dit, texto : « Tu vas pouvoir comprendre le fonctionnement du capitalisme de l’intérieur, pour mieux le détruire ! » (à part avec le capitalisme, ma mère est super gentille, je vous jure). Mais j’ai eu mes premiers cours, mes premiers bacs blancs, et quand il a fallu me faire réviser l’éco, ç’a été une autre paire de manches. Quand je récitai bien sagement « les entreprises doivent parfois délocaliser pour diminuer leurs coûts de production » ou « le système social français n’est pas soutenable à long terme car trop cher », elle se lançait dans des monologues interminables commençant presque par « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Ambiance.
Mais j’ai passé mon bac de SES en juin dernier, et à ma connaissance elle n’a pas manifesté devant ma salle d’exam.
Et aujourd’hui ?
Je suis loin d’être en accord sur tout avec mes parents, même si je suis consciente que mes idées sont en grande partie influencées par les leurs. Mais je ne partage pas leurs vues sur l’homosexualité, ou sur l’écologie. Et dans l’ensemble, je pense être moins à gauche qu’eux. Je ne veux pas changer le système, tout casser, parce que je fais trop partie de ce système, justement.
Ils m’ont cependant donné le goût de m’indigner, de ne pas accepter les choses telles qu’elles sont et de toujours me battre pour faire entendre ma voix. Ils m’ont permis d’avoir un esprit critique et de ne jamais accepter ce qu’on me dit comme une vérité absolue, mais de toujours m’informer pour découvrir les choses par moi-même. Enfin, ils m’ont enseigné la nuance, la tolérance et l’ouverture d’esprit. Grâce à eux, j’écoute les autres et leurs arguments avant de leur opposer les miens, parce que je sais ce que c’est de s’entendre dire qu’on ne peut pas aligner deux idées politiques parce qu’on est une femme, un jeune et/ou de gauche et que par conséquent on a aucune idée des réalités contemporaines, forcément. Je ne vois pas tout en noir ou en blanc.
Et c’est pour cette raison que je dis que tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents communistes, même si je suis consciente qu’être de droite « en famille », tout comme je suis de gauche en famille, doit être une formidable expérience !
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