C’est un samedi après-midi qui ressemble à tous ceux de cet été parisien : quelques rayons de soleil pointent entre deux nuages gris, pendant que la bière remplit les verres et que les discussions vont bon train en terrasse. Mais ce samedi est particulier.
Sous l’Agora du Wonderland, immense espace de plus de 6000 m² près de la Porte de Vincennes, se déroule le Très Gros Festival. Sous le chapiteau, un vide-dressing pensé par et pour les personnes grosses, avec des fringues du 46 au 60 à prix solidaires, se mêle à l’atelier de sérigraphie de Billy SeriB qui affiche en toute lettres sur des t-shirts « Mon gras est politique ». On peut venir se faire tatouer par GutsTatoo, ou bien se faire faire les ongles par Aza.
Le Très Gros Festival tenait sa deuxième édition le 28 août dernier, et après deux ans de pandémie, se rassembler paraissait essentiel. « On voulait un endroit pour parler de grossophobie mais aussi mettre en valeur les talents de la communauté grosse, parce qu’on a plein de talents, dans tous les domaines », explique Daria Marx, militante féministe, autrice et co-fondatrice de Gras Politique.
Depuis 2016, ce collectif rassemble des personnes grosses dans la lutte contre la grossophobie, que celle-ci soit médicale, au travail, ou dans tous les autres cercles de la vie quotidienne.
Au programme de cette seconde édition : du Yogras — du yoga adapté à tous les corps, et notamment aux corps gros ; un tournoi de pétanque avec les Ours de Paris, collectif gay de lutte contre la grossophobie ; un grand marché de créateurs et créatrices. Daria Marx renchérit :
« On avait envie de dire : rassemblons-nous, montrons aux gens qu’on peut le faire, et faisons des choses pensées par les personnes grosses, pour les personnes grosses. »
Valoriser les talents de la communauté grosse passe par le concret, notamment par le vide-dressing, car « on est toujours dans une situation où les personnes grosses ont du mal à se fringuer », explique l’activiste.
Mais ne vous y trompez pas, ce festival est aussi un lieu de fête : le soir, Madame de Grognasse et Jésus la Vidange ont assuré le (drag)show, avant une traditionnelle messe queer et radicale des Soeurs de la Perpétuelle Indulgence du Couvent de Paname et un DJ Set de Grandpamini pour faire danser les foules.
Penser la grossophobie et ses enjeux
Le Très Gros Festival a été pensé par et pour les personnes grosses : un espace sans escalier (donc accessible aux personnes à mobilité réduite), où les larges bancs ont remplacé les sièges à accoudoir. Des adaptations qui changent tout, selon Daria Marx.
« Il y a plein de festivals où on ne peut pas se rendre parce que rien n’est prévu pour les gros : les bancs sont trop petits, les chaises ont des accoudoirs, ou c’est au 7è étage sans ascenseur ! »
L’accent a été mis sur l’accessibilité, afin que tous les corps puissent occuper l’espace ; dans la même idée, des traductions en langue des signes françaises ont été assurées par les Mains Paillettes.
« En tant qu’asso contre la grossophobie, on est aussi mobilisés contre le validisme, et c’était important pour nous d’avoir une association comme les Dévalideuses. Le validisme peut aussi toucher les personnes grosses, alors c’était évident qu’il fallait qu’on fasse attention à tout le monde. »
En fin d’après-midi, Lucile Bellan, journaliste et autrice, a enregistré deux épisodes de son podcast C’est compliqué, diffusé sur Slate.
Le premier se focalise sur l’alimentation et le genre, le rapport à la grossophobie différencié : par exemple, sur la valorisation du poids et de la force chez les petits garçons, alors que les filles sont conditionnées aux régimes dès l’enfance. Dans le second, la journaliste a abordé les questions de dating et de sexualité des personnes grosses, de la fétichisation des corps à la grossophobie inhérente aux applications de rencontres, et s’est interrogée :
« La question aussi, c’est comment on éduque, quand le matériel culturel est genré physiquement ? »
Parmi les panélistes, Marie de Bauer, journaliste et réalisatrice du documentaire La Grosse Vie de Marie, qui parle de ces questions d’intimité. Sur sa chaîne YouTube, dans sa série Un mari pour Marie, elle traite de ces questions de grossophobie et de dating avec humour.
Lucie Bellan raconte :
« On va faire beaucoup de constats négatifs, mais je voulais terminer chaque épisode sur ce qu’on peut changer, sur ce qu’on peut lire pour en savoir plus, pour avoir des pistes de réflexions concrètes. »
Car parler de concret, c’est essentiel pour les personnes grosses qui vivent ces violences au quotidien. Avec le format podcast, Lucile Bellan espère que ces questions toucheront plus de personnes que seulement celles (souvent concernées) présentes au festival.
« Toutes ces petites gouttes d’eau qu’on rajoute, ça permet de toucher un public qui ne s’est peut-être jamais posé ces questions. Le but de ce podcast, c’est qu’il sorte du festival, et qu’il soit accessible à tous et toutes. »
« La lutte contre la grossophobie est une lutte résolument féministe »
La grossophobie est un enjeu très actuel, surtout après deux ans de pandémie, qui ont été l’occasion d’un déferlement de haine envers les personnes grosses, comme nous l’explique Daria Marx.
« On s’est pris un gros coup dans la gueule. Les personnes grosses ont été rendues responsables de l’encombrement des réanimations, de la diffusion du virus, il y a eu beaucoup de grossophobie dans les médias. »
En effet, l’injonction à « garder la ligne » pendant les différents confinements a rempli les pages de certains magazines féminins, laissant les personnes grosses avec cette question : ces gens ont-ils si peur de me ressembler ?
D’autant que la question de la grossophobie, qui s’articule autour des dynamiques de genre, de classe et de race, semble peu intéresser les organisations féministes traditionnelles, comme l’expose Daria Marx.
« On a du mal à se faire entendre par les grandes associations féministes, à les intéresser à ça. Alors que c’est quand même une oppression qui fait d’abord du mal aux femmes, aux personnes trans, aux minorités de genre. Pour moi, la lutte contre la grossophobie, c’est une lutte résolument féministe, ça touche au corps. »
Si les lignes commencent à bouger, il y a encore du travail à faire selon les associations anti-grossophobie : la question de l’accessibilité aux soins, à l’emploi, aux espaces publics, reste une priorité. Alors même si une journée de fête et de militantisme ne résout pas tout, le Très Gros Festival permet de prendre sa place en tant que personne grosse, de partager ses expériences, de faire entendre sa voix. Et c’est déjà un premier pas.
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Les Commentaires
D'ailleurs à ce sujet, ça serait bien que les pseudo spécialistes arrêtent de prendre ce sujet.
La semaine dernière, j'écoutais une émission de radio (Lundi dernier, Vacher Time) : Donc l'animateur parlait juste de son objectif zéro sucre donc il a appelé une naturopathe.
Celle-ci à commencer à dire qui faut faire attention au sucre et que ça menait au surpoids et à l'obésité (donc bas les steaks des autres causes et puis qu'est-ce que ça peut lui foutre), et que du coup que c'était à cause de ça qu'il avait énormément de cas en réanimation.
Je peux vous dire que moi avec mes TCA, ça m'a bien énervée.
Purée de grossophobie ordinaire.