Dans la famille, du côté de mon père, on est polonais, de Sosnowie? (mais si voyons, c’est près de Katowice, près de Kraków tout ça). Non, ça ne vous dit rien ? Chevelures blondes, yeux bleus, nom de famille à coucher dehors avec des accents incroyables : difficile de faire plus polak. Mais mon papa à moi renie catégoriquement ses origines. A la maison, il est interdit de dire que nous sommes polonais sous peine de le voir entrer dans une colère noire.
Le poids du passé
En Pologne, ma famille a manqué. Mon arrière grand-mère, la petite Helena, ne pouvait pas aller à l’école car elle gardait les chèvres. La petite Helena a fabriqué elle-même sa Barbie en mettant une tête de poupée trouvée dans une poubelle sur un bâton. La petite Helena se faisait voler les sous des commissions à même le panier (quand on a pas d’argent, on investit pas dans un porte-monnaie). La Pologne, c’était trop dur, alors une fois partis, on en parlait plus. Mon papa refuse qu’on dise de lui qu’il est polonais. Il a été élevé comme ça : la Pologne, c’est la privation, le manque, la pauvreté. Maintenant, on est français, alors on oublie le reste. Le polonais est la langue maternelle de mon grand-père, et il n’a pourtant pas appris un seul mot à ses enfants. Il fallait parler français, manger français, penser français, travailler français.
La barrière de la langue
Je fais partie de ces familles de polonais qui ont émigré dans le nord de la France pendant l’entre-deux-guerres. Partout en Pologne, des affiches placardées dans les rues faisaient rêver : on recrutait en France, dans les mines de charbon. Mes arrières-grands-parents, Josef et Helena, fraîchement mariés ont alors tout quitté. Mon grand-père n’a appris le français qu’en allant à l’école, à six ans. Le fait que le français ne soit pas sa langue maternelle se remarque facilement : il fait de nombreuses fautes à l’oral, écrit comme un enfant, ne sait pas faire la différence entre les trois niveaux le langage. Chez Papi, tu peux dire putain et bordel
à tout va car ce ne sont pas des gros mots. Pour mon papa, c’est une honte de ne pas bien parler. Par peur de ne pas bien s’exprimer, par peur du ridicule, par peur de ne pas être pris au sérieux, mon papa a recours au langage soutenu en permanence et fait des phrases à rallonge à deux compléments circonstanciels et trois subordonnées relatives. Comme s’il voulait montrer à tout prix qu’il maîtrise le français. Quelque peu inapproprié quand il s’agit simplement qu’on lui passe le pain.
Des idées préconçues
Pour mon papa, en Pologne, on mange mal. Ses souvenirs de déjeuner chez mémé Helena sont terribles. Selon lui, la cuisine polonaise, c’est immangeable, mais peut-être qu’Helena était simplement très mauvaise cuisinière (cependant, il est vrai que les français sont fines bouches). Pour mon papa, la Pologne, c’est avoir froid. Or dans la plupart des régions polonaises, il ne fait pas beaucoup plus froid que dans le nord de la France. Pour mon papa, la Pologne, c’est l’Europe de l’Est communiste, c’est encore le Moyen Âge dans les campagnes, selon lui il n’y aurait pas d’eau courante et des charrettes pour se déplacer (mon papa a quelques dizaines d’années de retard).
Bon, alors il faut dire qu’on est de quelle origine ?
Mon papa est né dans le Nord, mais il ne faut pas le dire : il fait froid dans le Nord, et puis on mange des pommes de terre et on boit de la bière, ça fait penser à la Pologne. Mon papa vit à Tours depuis trente ans, mais bof, ça ne vaut pas la peine d’être mentionné. Non, chez nous il faut dire que nous sommes Charentais. Mes parents possèdent une maison en Charentes-Maritimes, avec un jardin plein de palmiers (mon papa s’est découvert une passion pour les palmiers, c’est chouette les palmiers, ça évoque le sud, le soleil, les rosé-pamp’ sirotés au bord de la piscine, rien à voir avec la Pologne). Mon papa a même décidé de se procurer une nouvelle plaque afin que la voiture familiale soit immatriculée 17 (Charentes-Maritimes). Quand mon papa dit que nous sommes Charentais, ça m’agace autant que lui quand je dis que nous sommes polonais. Je suis née à Tours, zut.
Il parait que ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui retournent en Pologne. Après le désir d’oublier un passé douloureux, la nouvelle génération tente de renouer avec lui. C’est vrai dans mon cas, car j’apprends le polonais, je déménage en Pologne en septembre (merci Erasmus), et mon appartement regorge de babuszka, de vodka importée et de pierogis, des objets qui n’ont jamais eu leur place chez mes parents. Mon papa est d’avance malade à l’idée d’y mettre les pieds pour venir me voir. Heureusement, il aime plus sa fille qu’il n’a la Pologne en horreur. Pour moi c’est un rêve qui se réalise, et j’espère de tout coeur que mon père saura aimer ce pays en le découvrant.
Le mot de la fin : à la maison, mon papa est toujours en survêtement… rouge et blanc. Les couleurs du drapeau polonais. Cela me fait toujours sourire, et je me garde bien de lui faire remarquer…!
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Les Commentaires
Je trouve ça chouette que tu saches des choses sur tes "aieux", je me sens nulle à coté, moi je ne sais rien.
Mon papy est décédé quand j'étais encore trop petite pour m'y intéresser, et ma mamie est plus assez en forme pour m'en parler..
C'est vrai qu'ils ont vraiment eu cette volonté une fois en France, de parler français et d'oublier le polonais, et je trouve ça assez compliqué pour nous, aujourd'hui de porter un nom polonais (dont je suis très très fière, hein c'est pas ça le problème) et d'en savoir si peu sur nos origines...
A nous de nous rattraper vaille que vaille. Comment se passe ton Erasmus ?
Je reve de parler polonais et d'aller en Pologne, un jour, profites-en bien !