La famille. Un grand mot, parfois même un gros mot. Oui, la famille c’est compliqué. Mais pour qui ne l’est-elle est pas, franchement ? La banalité connaît toujours des soubresauts.
Un papa, une maman ? Vraiment ?
Ma « réalité familiale » comme ils ont aimé l’appeler dans les débats enflammés sur l’homoparentalité des derniers mois, n’est apparemment pas banale. J’ai été ravie de l’apprendre. Sincèrement, j’ignorais qu’il y avait une norme pour ce genre de chose.
Pas que je vive dans le pays des Bisounours, mais j’avais oublié que la matrice de la famille idéale était composée d’un papa, d’une maman et de la fratrie de joyeux bambins gravitant autour. La famille nucléaire quoi (cf. le cours de SES de seconde) et puis bien sûr, le somptueux dessin du drapeau de La Manif pour Tous… Ils ont toutefois zappé l’astérisque, rapportant en microscopique en bas de banderole, à la notification : « un modèle parmi tant d’autres ».
Le divorce, et la révélation
Mes parents se sont rencontrés à la cité universitaire. Ils se sont aimés, se sont mariés, ont eu deux enfants. On entrait nickel dans la matrice. Ma mère se rêvait bien en Mary March, bravant toutes les intempéries pour éduquer ses filles (oui, parce qu’elle en voulait quatre, aussi).
Je n’avais pas encore atteint mes deux printemps, que coup de théâtre ! Mon père et ma mère divorcent. Mon père est homo.
Comment s’est déroulée la « révélation » ? Aucune idée et très franchement, je n’ai jamais posé la question. Ce ne sont pas mes oignons. C’est l’histoire de ma mère et de mon père et je n’ai jamais douté de toute l’affection qu’ils ont pu avoir et qu’ils préservent aujourd’hui l’un envers l’autre.
« Ton papa et ta maman ne s’aiment plus assez pour vivre ensemble »
Quand j’ai demandé à ma mère ce que je devais dire à mes copains d’école qui me demandaient pourquoi mes parents étaient divorcés (c’était encore un gros mot lorsque j’étais en maternelle puis au primaire, surtout dans une école privée catholique), elle m’a simplement répondu : « Tu peux dire que ton papa et ta maman ne s’aimaient plus assez pour vivre ensemble ».
Cette petite phrase a résonné comme un joyeux leitmotiv pendant quelques années, sans que cela me perturbe et elle répondait ainsi à toutes les questions posées par mes camarades ou leurs parents.
Chouette, on va vivre avec papa et Marc !
Quand j’ai eu 6 ans, mon père a décidé de nous parler de son homosexualité, à ma sœur et moi. Nous étions dans la cuisine. Il a dû nous demander un truc du genre : « Vous comprenez le terme homosexuel ? » et l’une de nous a répondu : « C’est un monsieur qui aime un autre monsieur ». Quand mon papa nous a expliqué qu’on n’allait pas tarder à déménager avec Marc et qu’ils étaient amoureux, ma sœur et moi avons été drôlement fières de tout ça.
Déjà parce que Marc avait un appart super chouette (ce qui veut dire chambre plus grande), mais en plus on était contentes pour mon père. Pour le coup, on a probablement dû vouloir annoncer la nouvelle à nos copains-copines, mais mon père a stoppé net notre élan. Il nous a alors parlé de « secret ». Qu’il fallait que cette nouvelle reste entre nous. Que c’était pas des choses à dire, qu’il valait mieux être très copain avec une personne pour le lui raconter. Que tout le monde n’acceptait pas cet amour-là. Ma sœur était super déçue. Elle a beaucoup pleuré parce qu’elle ne comprenait pourquoi « des gens sont contre deux personnes qui s’aiment ».
Comme quoi, enfants, l’amour nous apparaît sous un jour tellement plus serein.
Mon papa est « momosexuel »
Les jours qui ont suivi, je me souviens avoir joué à trouver « Qui était momosexuel » dans la rue. Mon père m’a tout de même conseillé d’éviter de le crier sur tous les toits. J’avais envie de le dire à l’école. Cependant, j’ai tenu ma langue. J’avoue, j’ai joué pendant une semaine à être « momosexuelle » moi aussi. Avec une copine (comme quoi, j’avais bien compris le truc). Pourquoi s’est-elle prêtée au jeu ? Aucune idée : elle n’avait pas de parent homo, pourtant !
L’aspect positif, c’est que j’ai appris à reconnaître mes amis rapidement. Leur dire « mon secret », c’était leur accorder ma confiance. Ce passeport de l’amitié, je ne le délivrais qu’au bout d’une année au collège. La sortie de fin d’année était le moment d’« annoncer la nouvelle » à celle que j’avais choisie et qui serait encore dans ma vie l’année suivante.
Pour ma sœur et moi, c’est devenu rapidement un jeu de découvrir qui était homo. Et c’est ainsi qu’on a pu échapper à tous les stéréotypes des « tapettes », « camionneuses » et autres clichés. C’est que mon père et mon beau-père ne « font » pas homos. Alors forcément, ça ne se voyait pas. Ils n’entraient pas dans la case du « tout homo », j’ai nommé le kit « super-viril » ou « over efféminé ».
Une vie gay-friendly
J’ai grandi aux rythmes de Boney M, Rasputin et Daddy Cool à tue-tête dans la voiture. Marc faisait les Claudettes sur Mais quand le matin quand on allait se baigner au gardon, l’été. Je prenais l’accent inimitable de Dalida pour entamer Il venait d’avoir 18 ans. Almodóvar est entré rapidement dans ma vie.
Je ne savais même pas qu’il s’agissait de « clichés » de la communauté gay. Cela aurait pu arriver autrement. Tout un univers dans lequel j’ai grandi sans m’en rendre compte. L’été en Camargue nous allions sur les plages « gay friendly » naturistes, en juin à la Gay Pride à Paris, les expressions « PD comme un foc, PD comme un sac-à-dos » etc., je les ai toujours dites sans me demander si j’étais homophobe. Pour la fête des pères, j’offre des fleurs (vous allez me dire, ce n’est pas typique des gays, néanmoins mes amis galèrent beaucoup plus que moi pour les idées cadeaux).
Sur notre sapin de Noël, il n’y a pas d’étoile mais un petit drapeau arc-en-ciel.
« Un papa, une maman », ça se casse un peu la gueule
Nous gardions parfois le fils d’un couple d’amies. Ma sœur et moi avons demandé si elle avait fait l’amour avec un homme ou si elle avait fait une fécondation in vitro. Nous savions que ça existait, puisque ma cousine avait du mal à avoir un enfant avec son mari, et nous savions également que certains enfants n’avaient pas deux parents à la maison, parce que dans nos classes, des enfants avaient perdu leur père, ou il s’était barré.
Dans notre école privée catholique, le schéma des premières années de primaire avait été basique et stéréotypée : familles nombreuses, ou avec deux enfants, papa-maman mariés. Mais au fil du temps, ce modèle s’est effiloché, les parents ont divorcé massivement, certains se sont remariés et des demi-frères et sœurs sont né-e-s. Pour le coup, ma sœur et moi étions très heureuses de ne pas avoir de belle-mère, ça ne nous faisait pas rêver !
Prévention et éducation
Mais avoir un papa homo, c’est aussi apprendre certaines choses différemment. Avec moins de tabou. Ils en ont vu partir, des gens, à cause du VIH, mes deux papas. Alors forcément, ils ont été plus vigilants niveau prévention.
Ils sont engagés, en premier lieu par leurs boulots, à transmettre le message « Sortez couverts » et tout le tintouin. Ma première capote, je l’ai vue à 7 ou 8 ans, quand mon père l’avait enfilée sur une banane, pour nous expliquer à ma sœur et à moi. À quoi ça servait hein, pas l’acte en lui-même.
Et puis ils ramenaient des petits fascicules de prévention, où y avait un p’tit punk aux cheveux verts qui batifolait avec une punkette aux cheveux rouges, des dessins suggestifs qui me passionnaient assez, je dois l’avouer. J’aimais beaucoup dessiner des nichons, des fesses et des zizis. La faute à Titeuf qui se passionnait pour les parties génitales plus qu’à une absence totale de tabous, soit dit en passant.
« Marc, l’ami de mon père… »
Là où ça nous a un peu perturbées, ma sœur et moi, c’est qu’on ne savait pas comment nommer notre beau-père devant nos amis. J’aurais aimé être anglaise, parce que « friend » est asexué. À l’oral, « l’ami de mon père » résonnait bien. Pas à l’écrit. De plus, avouons que, très franchement, c’est rare d’entendre un enfant dire à un copain « L’ami de mon père, vois-tu…
». Cela sonne un peu bizarrement à ces âges-là.
Mais quand on me demandait ensuite comment s’appelait ma belle-mère, je culpabilisais de féminiser Marc, c’était comme si je souhaitais encore le cacher. Or il faisait partie de ma vie.
Alors avec ma sœur, nous imaginions des subterfuges. « Parrain », « ami de notre papa »… on essayait de légitimer juridiquement, religieusement (alors que non baptisées) le nom de notre beau-père. Une façon aussi de nous rassurer sur le fait qu’il ferait toujours partie de notre vie. Parce qu’au fond, pendant longtemps, j’ai eu peur qu’il disparaisse du jour au lendemain de mon quotidien. Dans ma liste de « 100 rêves » que j’avais écrite au lycée, j’ai noté « Que Papa et Marc restent toujours ensemble ».
Nous l’avons toujours appelé par son prénom. Pourtant, je me plantais souvent et l’appelais « papa ». Quand on connaît quelqu’un depuis qu’on a deux ans, ça se tient.
Deux beaux-pères, et tout plein d’amour
C’est finalement le jour où ma mère s’est remariée que nous avons trouvé comment appeler Marc. « Beau-père » a été légitimé naturellement, puisque ma mère avait elle aussi quelqu’un maintenant. Mettre des étiquettes rassure. Pour le coup, mon beau-père faisait deux boulots, avait deux motos. Sauf que les deux n’occupaient pas la même place dans ma vie.
Le second était le mari de ma mère, tandis que le premier était présent depuis le début. Il m’a élevée à titre égal, même si mes parents ont toujours décidé ensemble de notre éducation. Cela ne m’est jamais venu à l’idée de lui dire « tu n’es pas mon père » s’il me grondait ou me donnait des conseils.
En vacances, les gens posaient parfois des questions embarrassantes : « C’est le frère de ton père ? » « Ton parrain ? » « Son meilleur ami ? »… En fait, le plus gênant, c’est que rien d’autre ne leur venait à l’esprit. Et quand une situation apparaît inconcevable à ton interlocuteur, tu ne sais pas toujours comment réagir.
Mon père est homosexuel mais ce n’est pas vos oignons !
J’aimerais aussi rappeler qu’il y a quelques années, on n’entendait pratiquement pas parler d’enfants d’homos. Encore moins de couple de mecs. Mon père a déjà souffert de cette impression de honte que nous aurions pu ressentir devant les amis que nous nous faisions en vacances.
Pourtant, c’était plus le fait de ne pas savoir si nous avions le droit de le dire, par rapport à lui, qui nous gênait. Les gens s’en foutent plutôt de savoir qui nous a élevés, surtout à l’adolescence, moment de grande rébellion contre nos géniteurs, où nous avons plus coutume à tisser des liens sociaux.
Mes papas sont un peu plus maniaques que pas mal de gars sans doute, avec un goût raffiné pour la déco. Au lycée, comme je vivais chez eux à plein temps, c’était parfois un peu compliqué de ramener des amis qui n’étaient pas au courant. J’allais retirer le calendrier des Dieux du Stade dans leur salle de bain et puis je cachais un peu les magazines Têtu qui trônaient sur la table basse du salon.
Je n’avais pas honte. C’était leur intimité et j’espérais aussi la préserver. Mon père m’avait tout de même parlé de « secret » plus jeune, et pendant une période, je ne savais pas trop si j’avais le droit de le dire. Je savais maintenant me protéger, mais qu’en était-il pour eux ? Désiraient-ils que mes amis connaissent leur sexualité ? Il s’est avéré délicat de savoir jusqu’où je pouvais pousser la confidence, entre ma vie personnelle, et ma vie familiale.
C’est vrai, doit-on tout dire de nos parents ? N’ont-ils pas droit eux aussi à leur part d’intimité quand nous nous confions à nos amis ? Je voulais aussi parler de mon père, de mon beau-père, pour ce qu’ils sont, ce qu’ils m’apportent. À vrai dire, je ne vois pas en quoi le fait qu’ils soient homos entrerait toujours en ligne de compte.
Une enfant traumatisée ? Loin de là !
Au fait, un enfant n’imagine pas la sexualité de ses parents. Cette idée nous échappe, surtout quand on est mômes et qu’un simple baiser à la télé nous fait pousser de grands cris et détourner le regard.
Plus tard, nous préférons souvent ne pas l’imaginer. Et personnellement, je trouve ça plutôt sain. On a assez de la nôtre à gérer.
Alors tout le foin qu’on a pu entendre sur le « traumatisme de l’enfant », ça me dépasse. Moi qui avais cru jusqu’ici que j’avais été apportée un beau matin de printemps par une cigogne alsacienne, je suis tombée des nues ! J’en ai drôlement voulu à mes parents de ne pas m’avoir prévenue de ce qu’ils avaient dû faire pour que je voie le jour.
Mes papas sont aimants, avant d’être homos
C’est au lycée que j’ai commencé à le dire plus simplement. Je vivais chez eux et je ne me voyais pas évincer quotidiennement mon beau-père. « Je vis chez mon père et mon beau-père ». Les gens s’étonnaient : « Ah bon, ils doivent drôlement bien s’entendre pour vivre ensemble »… Et puis quand ils comprenaient, ils trouvaient ça « trop cool » !
La première fois qu’on vous dit que c’est super, vous êtes fières, parce que ça s’est bien passé. Vous êtes même originales. Et le temps passe et vous n’avez plus envie que les gens s’extasient sur votre pseudo-originalité. Vous avez la chance d’avoir des parents aimants, pas d’avoir des parents homos ou hétéros. Vous avez juste envie que cette situation se banalise, pour qu’enfin les polémiques et les stéréotypes s’archivent et prennent un peu la poussière sur les étagères des qu’en dira-t-on.
Une jeune femme comme les autres
Pour être tolérant il faut accepter la différence. Mais la vérité c’est que j’ai mis du temps, moi, à voir où était la différence. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne se sont pas déchirés même après le divorce, et une tierce personne qui a fortement contribué à mon éducation. Je me suis fait remonter les bretelles par les trois quand il le fallait, et ils étaient toujours d’accord dans ces moments-là.
Suis-je bien éduquée ? Je dis bonjour, au revoir, merci, s’il vous plaît, de rien, je ne mets pas mes coudes sur la table, je mange de tout et je ne parle pas la bouche pleine. Qui m’a éduquée ? Ma mère, mon père et Marc.
« Monsieur Manif pour Tous, mon papa est homosexuel »
Récemment, j’ai fait un trajet en train dans un wagon rempli de participant-e-s à la Manif pour Tous. Le type assis à côté de moi a été très poli, moi aussi. Il a même entamé la conversation, puis m’a souhaité « une belle journée ensoleillée sur Paris ». A-t-il décelé une anomalie chez moi ? Il portait déjà son brassard bleu, drapeau dans le sac à dos, paré pour la rando contre les homos.
Je suis une jeune adulte aujourd’hui, et si je lui avais glissé dans la conversation « Monsieur, mon papa est homo », il n’aurait probablement pas su quoi répondre. Que répond-on à ce genre de confidence ? Qui est-on pour juger la vie des autres ? Leur façon d’aimer ? De faire l’amour, leurs attirances ? Faut-il avoir de l’argent pour élever un enfant ? Doit-on attendre d’avoir une bonne situation ? Être certain de rester toute sa vie avec la même personne ? Si nous avons des problèmes génétiques, psychologiques, a-t-on le droit d’avoir tout de même un enfant, de procréer ?
J’aurais aimé lui poser toutes ces questions. Encore aurait-il fallu que j’en aie le courage, et que le dialogue puisse s’établir. Ce n’était pas gagné depuis quelques mois. Je ne veux pas entrer dans le cliché hyperbolique : « Je suis une jeune étudiante dynamique et super équilibrée, ma vie est toute rose »… Mais c’est vrai, je suis à l’aise dans mes baskets. Et si j’avais pu dire leur dire une chose, à tous ces brassards roses et bleus qui pensent pour moi, je leur aurais bien crié : « Mon papa est momosexuel ! »
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Les Commentaires
Un foc c'est une grande voile de bateau si je me souviens bien.
En gros, quand mon grand père avait bien voulu m'expliquer cette expression, on dit "PD comme un foc" car le foc se gonfle sous l'effet du vent qui arrive "par derrière". Vous voyez l'image?
Au final c'est passé à phoque parce que le mot foc est tombé un peu en désuétude de nos jours. Ce qui est marrant parce que le phoque n'est pas un animal qui rencontre beaucoup l'homosexualité. Mais avec la brutalité de leurs rapport, il y a de moins en moins de femelles, alors peut être que c'est là que se fait la confusion.