Papa
Ce mot a toujours résonné en moi comme une absence, comme un non-sens même, parfois. Et pour cause, de père, je n’en n’avais pas.
Mon papa, il est mort quand j’avais quatre ans, alors autant dire qu’en terme de relation à construire, ça a toujours été compliqué.
L’absence de mon père
Pendant des années, je me suis vue comme une fille sans père, un peu comme si j’étais née dans une fleur.
Comme si, parce qu’il n’avait pas été là très longtemps auprès de moi, il n’avait jamais été là. Comme si parce qu’il n’avait pas existé pendant mon enfance à moi, il n’avait jamais existé tout court.
Mon papa, c’était seulement un nom : « Papa Franck » murmuré le soir comme une prière avant de m’endormir. C’était aussi son addiction à l’alcool qui lui avait valu la mort.
Des mots vides de souvenirs personnels, une tombe vide en pierres froides ne symbolisant que son absence, en bref, pas grand chose de concret à me mettre sous la dent.
À la maison, on disait son nom mais on parlait peu de lui. Sa personnalité, son plat préféré, ses petites manies, habitudes, bizarreries… Tout ce qui faisait de lui ce qu’il était m’échappait.
Comment j’ai rencontré mon père
Et puis il y a deux ans, j’ai appris à le connaître, ce papa que je n’avais pas.
Malgré son absence, grâce aux souvenirs de celles et ceux qui l’avaient connu, notamment ses ancien·ne·s ami·es, j’ai eu accès à des bribes de vie qui ont redonné un peu de netteté aux contours de ce papa tout flou et palot que je n’arrivais pas à me représenter.
Il était généreux, attentif aux autres, toujours un petit cadeau sous le bras pour cette amie-là. Il était dans sa bulle, rêveur, marchant la tête en l’air dans les rues de Paris
, son long manteau noir et son gros sac-à-dos pour seule compagnie.
En quête perpétuelle, il cherchait un sens caché à donner à son existence, de façon un peu obsessionnelle. Il était ce professeur de Français ayant du mal à trouver sa place dans un lycée de banlieue.
Il était ce mari aimant, qui aimait ma mère, la femme de sa vie, passionnément, à la folie. Il était le fils de ses parents, avec sa mère un poil envahissante et son père un peu distant.
Il n’aimait pas trop le sport, ni le soleil quand il tapait trop fort, et je crois qu’il préférait la lune qui brillait à travers les rideaux de dentelles de la fenêtre.
Mon père et ses mots
Mon papa, il était tout ça. Il n’était pas que ce mot « papa » qui signifiait si peu pour moi.
Il n’était pas seulement ces quelques cartes postales qu’il nous envoyait à mon frère ma sœur et moi pendant les vacances qu’il ne passait pas avec nous.
Papa, certes, il l’était, mais un papa un brin maladroit qui nous regardait grandir de loin, sans bien savoir quoi faire avec ces trois bouts de chou qui n’alignaient pas encore deux mots et avec lesquels il ne pouvait pas vraiment avoir de conversation.
Car il était de ceux qui se réfugient dans les mots, des mots que j’ai eu la chance de pouvoir retrouver dans de vieux journaux intimes qu’il avait laissé.
Dans ces journaux, il cherche, il aime, il s’émerveille, il décrit, il questionne, il doute, il compile des lectures, des films, des réflexions, des instants de vie fugaces qu’il appelle « des minutes d’éternité ».
Grâce aux mots de ceux qui l’avaient connu, et grâce à ces mots à lui, j’ai eu la chance d’apprendre à connaître ce papa inconnu dont je pensais être dépourvue.
Absent physiquement mais très présent dans mes pensées, j’ai pu recréer avec lui une « relation » digne de ce nom : apprendre à le connaître, cerner d’un peu plus près sa personnalité.
J’ai pu me replacer à sa suite, dans une lignée qui avait été coupée au moment de son décès et du fait des années de silence et de deuil sans mots qui ont suivi.
À mon père à jamais dans ma vie
Ma relation avec mon papa, ce sont ces mots qui nous ont reliés et nous lient encore malgré la distance infinie qui nous séparera toujours.
Ce sont nos questionnements identitaires communs, ceux que j’ai découvert dans ses journaux et qui ont résonné avec les miens. Ce sont ces paysages qu’il aimait tant, ces petits instants d’émerveillement et ce doute constant.
La place qu’il occupe désormais dans ma vie, c’est la sienne, celle qui a toujours été la sienne, même quand je me désignais comme une « fille sans père ».
Un papa qui a bel et bien existé même s’il n’a pas été là, un papa avec lequel je pense que j’aurais eu beaucoup à partager, et qui malgré son absence, malgré la distance, sera toujours présent au creux de mon cœur.
Où que tu sois, au ciel ou ailleurs, bonne fête papa ❤️
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