On entend souvent (à tort) que le féminisme et la mode sont des mondes opposés, que les deux univers peuvent même avoir des idéologies incompatibles. Mais il est intéressant de noter que certains vêtements et créateurs de mode ont contribué à l’émancipation des femmes, et sont eux aussi des acteurs (indirects, certes) du féminisme moderne !
Et s’il y a bien une fringue qui peut symboliser ce mouvement, c’est le pantalon.
Le pantalon, un vêtement exclusivement masculin
Si l’on retrouve quelques preuves que certaines femmes Mèdes (un des peuples de l’Iran à l’époque où le pays s’appelait la Perse) portaient des pantalons, comme les hommes, aux alentours du VIème siècle avant Jésus-Christ, en Occident, ce vêtement ne fera son entrée officielle dans les placards féminins qu’à partir du XXème siècle.
Avant cela, ce sont les mœurs et surtout l’Église qui condamnent le port de cette fringues pour la gent féminine. Celles qui le portent sont considérées comme « lesbiennes » (ce qui était une injure, à l’époque…) ou « filles de petite vertu ». Jusqu’au début du XXème siècle, la bienséance veut que l’on dissocie bien les hommes et les femmes, et qu’ils répondent chacun à des stéréotypes bien précis.
Les hommes sont courageux, forts, doivent travailler pour entretenir leur foyer et réussir socialement ; les femmes doivent être jolies, discrètes et raffinées.
« Viola ! Arrête ! Ce n’est pas très féminin. »
Un vêtement comme le pantalon est donc réservé à ces messieurs, puisqu’il est pratique pour le labeur, alors que les femmes, ne travaillant pas (normalement), n’en n’ont pas besoin. De plus, cela aurait été trop suggestif pour ces dames de porter une fringue qui dissocierait leurs deux jambes. C’est obscène, on vous dit !
Des femmes en pantalons à la Révolution
(Ça rime !)
Ce n’est donc qu’à la Révolution que l’on voit apparaître des femmes porteuses de pantalons, comme les hommes (double bouleversement, donc). Mais à ce moment-là, il est plus vu comme un apparat révolutionnaire mixte : ce n’est donc pas vraiment une surprise que les dames en portent aussi.
Cependant, le gouvernement révolutionnaire ordonnera qu’une réglementation soit mise en place par la Préfecture de Police, le 16 Brumaire de l’an IX (soit le 7 novembre 1800), pour tout de même garder la mainmise sur cette nouvelle liberté des femmes. Celle-ci s’applique dans les 81 communes de la Seine.
Un exemple de permission de travestissement, édité pour la peintre et sculptrice Rosa Bonheur
À partir de l’entrée en vigueur de cette ordonnance, appelée la « permission de travestissement », celles qui veulent porter un pantalon doivent se rendre à la préfecture pour demander l’autorisation de « s’habiller en homme ». Sans cette permission, elles peuvent être exposées à des sanctions.
En 1909, on fait un tout petit peu évoluer cette permission, en autorisant ces dames à porter le pantalon dans le cas où elles feraient du vélo, du ski ou encore du cheval. Sympa !
Tu me feras un plaisir de remettre une jupe dès que tu descendras de cet engin du démon.
Pour l’anecdote, il faut savoir que cette ordonnance n’a été abrogée qu’en 2013 ! Même si elle n’avait pas été appliquée depuis des années, bien évidemment.
L’autorisation de porter un pantalon : l’histoire d’une longue bataille
Tout au long de la première moitié du XXème siècle (et même après), les femmes vont donc devoir batailler pour pouvoir porter librement le pantalon.
Sybil, fille de Lord dans Downton Abbey, fait sensation en achetant son premier pantalon.
Nombreuses sont celles qui vont essayer de faire changer les choses, notamment les féministes de la fin du XIXèle siècle comme George Sand(qui fumait aussi la pipe, vous vous rendez compte ?), mais aussi celles du début du XXème, comme Hélène Brion, mais le pantalon féminin reste tout de même controversé.
En 1920, néanmoins, on peut voir de plus en plus de dames en porter en intérieur, sans oser encore sortir avec — sauf, encore une fois pour faire du cheval, du vélo et du ski. Pourquoi pas du golf (mais faut pas pousser non plus).
Il était néanmoins toléré pour les femmes qui exerçaient un « métier d’homme » : le travail des champs, à la mine ou encore à l’usine.
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En 1930, la sportive Violette Morris perd son procès contre la Fédération Féminine Sportive de France, qui l’avait radiée pour cause de « comportement et habillement masculin, donnant un mauvais exemple à la jeunesse ». Cela fait donc ressortir l’ordonnance du 16 Brumaire et montre qu’elle est encore en vigueur, bien que 130 ans se soient écoulés depuis.
Quelques célébrités tentent, dans la même décénnie, de démocratiser le port du pantalon féminin, en posant avec pour des séances photos. Des actrices et chanteuses comme Marlène Dietrich, Katharine Hepburn ou Greta Garbo s’affichent en couverture de magazine vêtue de cette fringue si simple qui fait tant parler.
L’actrice Katharine Hepburn
Elles iront même jusqu’à porter des smokings sur les tapis rouges, ce qui a beaucoup choqué le public, mais pas les journalistes mode ! Ces stars ont donc contribué, à leur manière, à l’avènement du port du pantalon pour les femmes, en se servant de leur image pour le démocratiser.
La grande couturière Coco Chanel elle aussi tentera de lancer la mode de ce vêtement dans sa version féminine, mais cela ne prendra pas autant qu’elle l’aurait souhaité. Cela dit, elle ne se privera pas de les porter elle-même !
Les années 60, l’avènement du pantalon féminin
Peu à peu, les femmes vont commencer à porter ce fameux article qui fait tant jaser : d’abord quelques-unes vers la fin des années 1950, mais il faudra attendre les années 1960 pour voir le pantalon devenir un vêtement incontournable du placard féminin, autant qu’il peut l’être pour les hommes.
C’est avec l’intervention de stylistes de renom tels qu’André Courrèges et Yves Saint Laurent que la mode féminine va totalement accepter le pantalon dans ses rangs, permettant ainsi à toutes les femmes de pouvoir montrer qu’elle ont bien deux jambes dissociées (damned !).
Les pantalons tailleurs et les jeans chic deviennent alors les vêtements fétiches d’une jeunesse qui entame une décennie avec une nouvelle identité, à la fois visuelle et idéologique. L’opinion publique, elle, va peu à peu s’habituer à voir des silhouettes féminines se balader dans ce bas qui a tant fait couler d’encre…
La suite, vous la connaissez : les pantalons sont devenus les meilleurs copains de la plupart des femmes, et sont portés de façon quotidienne à travers le monde. Toujours et à jamais à la mode, ce sympathique vêtement a connu bien des péripéties, pour être finalement un véritable symbole des idées féministes. Chapeau l’artiste !
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