Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des libanaises, et sa troisième étape l’a menée en Irlande du Nord (Royaume-Uni) et en Irlande ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés sur madmoiZelle au fur et à mesure. Tu peux retrouver le sommaire ici !
Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
- Précédemment : Rachel Powell, mon nouveau role model féministe
Caitlin a 24 ans. Elle est née et a grandi à Dublin, mais ses racines la ramènent également en Irlande du Nord, d’où sa mère est originaire.
C’est d’ailleurs là-bas qu’elle a certains de ses meilleurs souvenirs d’enfance, à grimper dans les arbres, en vacances chez ses grands-parents avec sa soeur.
Jusque là, rien de très original sans doute. Mais Caitlin a pris conscience du conflit qui avait agité ce petit territoire qu’est l’Irlande du Nord très tôt, dans une Irlande au sud où cela n’était qu’une réalité relativement lointaine pour ses camarades de classe.
Une seule île abrite les territoires de l’Irlande, pays indépendant depuis les années 20, et l’Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume Uni.
Dans les années 70, un conflit qu’on appelle « les Troubles nord-irlandais » a secoué la partie nord-est de l’île : les unionistes, loyaux à la couronne d’Angleterre s’opposaient aux indépendantistes souhaitant rejoindre l’Irlande.
Ce conflit était aussi marqué par la religion puisque les unionistes étaient protestants, majoritaires sur ce territoire (ainsi que dans le reste du Royaume-Uni), et les indépendantistes plutôt catholiques (majoritaires en Irlande).
C’est seulement il y a 20 ans qu’un accord de paix a été trouvé et l’Irlande du Nord est encore aujourd’hui très marquée par ce conflit.
Grandir à cheval entre l’Irlande du Nord et l’Irlande
Caitlin a grandi avec un père issu d’un milieu catholique, et une mère venant d’une famille protestante.
« Aucun des deux n’est vraiment croyant ou pratiquant, leurs familles ne le sont pas vraiment non plus, donc ça n’était pas tellement un sujet. Mais je crois que du fait qu’on allait régulièrement chez mes grands-parents au nord, j’étais consciente de la différence avec le sud. »
Elle illustre le contraste avec ses souvenirs d’enfance :
« Je me rappelle de la frontière par exemple, du fait qu’il fallait la traverser. Et à la fin des années 90, on voyait aussi clairement les différences de niveau de vie entre le sud qui se développait très vite et le nord où la pauvreté était encore très prégnante.
Il y avait des drapeaux partout, des peintures murales qui affichaient les appartenances des quartiers. Il y avait des zones de la ville que l’on ne traversait pas avec notre voiture, car elle portait une plaque d’immatriculation du sud.
Le fait que ma mère ait beaucoup travaillé sur les Troubles et leur suite en tant que journaliste a sans doute joué aussi sur le fait que j’étais consciente de ce qui c’était passé là. »
Les Troubles nord-irlandais, encore présents dans les esprits à Belfast
Aujourd’hui, Caitlin étudie à Belfast, en Irlande du Nord.
« J’ai une vraie connexion avec ce pays grâce à ma famille maternelle mais je n’y avais jamais vécu bien que j’y passais beaucoup de vacances. Donc j’ai eu envie de venir voir, de suivre les cours de la Queen’s University pour mon master. »
Caitlin fait des études en relations internationales et en construction de la paix. La Queen’s University de Belfast est en effet réputée dans ce domaine. Elle me pointe les traces qu’ont laissées les Troubles nord-irlandais :
« C’est différent au nord. Il y a toujours des drapeaux des factions, l’Union Jack [ndlr : le drapeau du Royaume-Uni] dans les quartiers protestants. »
Les peace walls, des murs dressés pour séparer les quartiers catholiques et protestants à Belfast sont aussi encore debout.
« Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais certaines personnes continuent de demander si tu es catholique ou protestant, ce qui n’arrive pas en Irlande.
Au sud, les gens n’y pensent pas, l’indépendance date des années 20 et on n’a pas eu ce genre de conflits depuis lors. Alors qu’ici au nord, tout le monde ou presque a une, voire des, relations qui ont été affectées ou qui ont perdu la vie pendant le conflit.
Mais les jeunes essaient de dépasser ces événements, de mettre les différences de côté et de faire en sorte que tout le monde s’entende avec tout le monde – même si c’est bien sûr difficile à cause des histoires personnelles dont je parlais justement.
Honnêtement, je ne connais personne qui soit encore dans cette logique sectaire, les gens que je côtoie font d’ailleurs pas mal d’humour noir à ce sujet, ils se moquent gentiment les uns des autres. »
Caitlin et l’envie de travailler pour la paix
Aujourd’hui, Caitlin est en stage au sein de l’organisation
Cooperation Ireland, qui vise à promouvoir la paix au sein des communautés.
« Avant mon master, j’avais étudié l’anthropologie et j’avais envie de rendre le tout plus concret. On nous a conseillé différentes associations en cours et en explorant la liste, j’ai trouvé que Cooperation Ireland avait l’air intéressant. »
Elle y a organisé une conférence et une formation avec des militants de la paix nigérians qui font face à des tensions religieuses dans leur propre pays également.
« C’était pour analyser aussi ce qui avait fonctionné ou pas en Irlande du Nord et en tirer les leçons pour d’autres conflits.
Ici, ce ne sont pas les politiciens qui ont vraiment mis en place de quoi faire la paix, ce sont les communautés locales qui se sont organisées et qui ont fait progresser la chose.
Il n’y a eu aucun mécanisme pour vraiment regarder ce passé en face, c’est comme si les gens ne voulaient pas en parler alors que ça continue de les affecter. »
En ce moment, elle travaille sur le rôle des femmes dans les transformations communautaires :
« On organise une formation pour que des femmes qui sont déjà investies dans leurs communautés d’une manière ou d’une autre puissent en faire encore davantage. Le but est de leur fournir les armes du leadership, de leur donner confiance en elles. »
Quel futur pour l’Irlande du Nord ?
Lorsque je lui demande si elle est optimiste, Caitlin ne sait pas vraiment sur quel pied danser, notamment à cause du Brexit.
En effet, la sortie de l’Union Européenne du Royaume-Uni implique que l’Irlande du Nord suive le mouvement, mais beaucoup de nord-irlandais·es y sont opposé·es. La question principale qui se pose est celle de la frontière qu’il faudrait ré-établir, alors qu’elle n’existe plus depuis l’accord du Vendredi Saint de 1998.
« C’est difficile de dire ce qui va se produire puisque pour le moment, le gouvernement britannique n’a clairement aucune solution à proposer. Je ne pense pas qu’ils pourront vraiment rétablir une frontière « dure », je ne vois pas comment c’est possible… »
Il semble en effet que l’Union Européenne défende une solution qui permettrait à l’Irlande du Nord de bénéficier d’un statut particulier, mais le gouvernement britannique, s’il avait donné un accord de principe, se refuse à accepter définitivement cette solution.
« Ils ont voulu passer à la suite de la négociation rapidement, ce qui montre bien à quel point le problème de l’Irlande du Nord est relégué au second plan dans cette histoire. »
Caitlin n’est pas inquiète à titre personnel d’être affectée par le rétablissement d’une frontière, mais au cours de mon séjour sur place, j’ai notamment échangé avec une jeune fille dont la maison familiale est située… à cheval sur la frontière.
Le spectre de nouveaux affrontements est donc présent dans les esprits, même si Caitlin se refuse à envisager sérieusement cette possibilité.
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