Depuis la pandémie, le tabou se lève peu à peu sur la question de la santé mentale. En effet, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à prendre conscience de l’importance de consulter une personne professionnelle quand le besoin se fait sentir. Pourtant, trouver chaussure à son pied peut parfois s’avérer être un véritable défi. Mathilde*, une jeune traductrice de 26 ans, en sait quelque chose :
« Il y a quelques mois, je me suis lancée dans la quête d’une psychologue. J’ai eu beaucoup de mal à trouver quelqu’un avec qui je me sentirais à l’aise pour parler de mon orientation sexuelle. Heureusement, je n’ai jamais eu de mauvaise expérience avec des psychologues homophobes ou hostiles à ces questions, mais j’ai en revanche été confrontée à des thérapeutes maladroits vis-à-vis de ces sujets, qui voulaient soit m’inciter à en parler, ou à l’inverse, en faisaient un « non sujet », invalidant ainsi mes expériences. Heureusement, avec un peu de patience et une dizaine de psychologues, j’ai réussi à trouver quelqu’un à l’écoute et surtout, valider mes expériences et mon ressenti. »
Les psychologues féministes, un spécimen encore trop rare (en France)
Malheureusement, le cas de Mathilde est loin d’être isolé. Très régulièrement, Yasmin Moreno, psychologue clinicienne qui pratique la psychothérapie dite féministe intégrative, voit débarquer dans son cabinet des personnes, souvent jeunes, dans l’urgence d’enfin trouver quelqu’un qui saura leur offrir un espace où elles se sentent entendues, et surtout, en sécurité. Elle raconte à Madmoizelle :
« Je reçois beaucoup de patients qui ont vu des psychologues avant moi et qui ont arrêté leur thérapie au bout d’une séance car elles ne se sont pas senties en sécurité pour parler de ce qui les préoccupait. Il peut s’agir de personnes de la communauté LGBTQIA+ qui se sont senties jugées, ou encore, des personnes victimes de violences qui n’ont pas trouvé une personne capable de leur offrir un espace où elles se sentaient en sécurité pour en parler. »
Si Yasmin Moreno n’a aucun problème à se revendiquer féministe – au sens intersectionnel du terme – afin d’être facilement identifiée sur internet, ce n’est pas le cas de tous les psychologues. Selon la professionnelle, cette tendance à ne pas vouloir être identifié comme tel est avant tout lié au tabou féministe français :
« Il y a beaucoup plus de psychologues qui se revendiquent féministes en Espagne par exemple, mon pays d’origine, qu’ici en France. Ici, on a l’impression que féminisme est un gros mot. Il ne faut surtout pas employer le mot sous peine de donner un aspect négatif à l’analyse. Comme si être féministe voulait dire être biaisé, alors qu’au final, c’est tout à fait l’inverse. En pratiquant la discipline de façon à prendre en compte les questions de genre, on est justement moins biaisé, on prend en compte les oppressions sociales qui jouent un rôle primordial sur la santé mentale des femmes et de toutes les minorités en général. »
La psychologie féministe, nouvelle lubie de la « culture woke » ?
Mais alors, pourquoi le mot féministe est-il un gros mot aux yeux de la psychologie ? Toujours selon la spécialiste, le féminisme a tendance à être considéré comme une conviction, et non comme un champ d’étude scientifique à part entière, et c’est là une grande partie du problème :
« Être féministe, ce n’est pas une conviction. C’est un champ d’étude [appartenant aux sciences sociales, ndlr]. Il y a des théories féministes qui existent depuis un siècle, c’est-à-dire depuis le tout début de la théorisation de la psychanalyse et de la psychologie. Des psychologues écrivent depuis des décennies sur la psychologie avec une approche centrée sur le genre. Dès 1922, Karen Horney [grande psychiatre d’origine allemande, cofondatrice en 1920 de l’Institut psychanalytique de Berlin, ndlr] s’opposait à la notion d’envie du penis, mais c’est évidemment resté dans les marges, à une époque où l’homme était considéré comme la norme et la femme, comme la pathologie. »
Un manque de formation à disposition des professionnels
Du côté des formations, le besoin d’avancer sur la question se fait également sentir. Car, si Yasmin Moreno a pu bénéficier d’enseignements spécifiques sur le genre en psychologie, c’est non seulement parce qu’elle a décidé de s’intéresser de son plein gré à cette approche, mais également parce qu’elle a effectué son parcours universitaire en Espagne, un pays avant-gardiste en ce qui concerne la psychologie et le genre :
« L’offre de formation est plus développée en Espagne qu’en France. Mais même en ayant étudié en Espagne, je me suis vite rendue compte du manque de prise en compte de la question de genre en psychologie dans le cursus classique en général. Le sujet était rapidement abordé lors d’un semestre dans un module facultatif et dont l’enseignement était dispensé en distanciel uniquement. »
Face à ce manque de prise en compte, pas étonnant, donc, de constater que les psychologues au fait sur les questions de genre et de sexualités ne courent pas les rues. Pourtant, le besoin est là : non seulement parce que les personnes patientes le demandent, mais également parce que certains troubles psychologiques sont indissociables des oppressions sociales subies par les minorités. On pense notamment aux troubles du comportement alimentaire, un trouble encore largement traité de façon individuelle alors qu’ils concernent en majorité les femmes.
*Le prénom a été changé
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires