Les réseaux sociaux ont-ils un impact sur les demandes en médecine et chirurgie esthétiques ? C’est un préjugé qui a la peau dure, surtout face aux résultats d’une enquête menée en 2019 par l’International Master Course of Aging Skin – congrès européen de professionnels du secteur : pour la première fois, les 18-34 ans ont davantage recours à la chirurgie esthétique que les 50-60 ans.
La chirurgie esthétique plus accessible, visible, et moins stigmatisée
Les raisons de cette évolution des pratiques sont multiples. À commencer par le budget : les progrès de la médecine esthétique, bien moins chère, permettent d’obtenir des résultats similaires à l’onéreuse chirurgie grâce notamment à des injections d’acide hyaluronique bien placées et dosées. Du coup, les jeunes qui n’auraient pas les moyens pour une rhinoplastie peuvent quand même redessiner leur nez grâce à une injection à moindre frais.
Cette banalisation s’accompagne aussi d’un changement culturel : ces procédures sont de moins en moins stigmatisées socialement. Si avoir recours au botox ou au bistouri était un secret il y a encore quelques années, c’est quelque chose qui s’affiche désormais fièrement sur les réseaux sociaux de certaines personnalités influentes. Si bien qu’une opération telle que le Brazilian Butt Lift apparaît presque comme un passage obligé pour percer dans la télé-réalité ou ressembler aux influenceuses qui en ressortent !
C’est même devenu un mème sur TikTok d’ironiser autour de cette pratique de lipofilling, qui consiste à prélever de la graisse au niveau du ventre ou des hanches afin de la réinjecter dans les fesses. Aussi dangereuse soit cette opération en #BBL sur les réseaux, elle a le vent en poupe…
Tout n’est pas la faute des influenceuses de télé-réalité
De là à dire qu’il s’agit d’un phénomène nouveau entièrement imputable aux réseaux sociaux et autres influenceuses, il n’y a qu’un pas… qu’il serait faux ou du moins exagéré de franchir. C’est ce que tient à rappeler la psychanalyste et autrice Catherine Grangeard, dans une enquête du Monde sur le sujet :
« Avant, on voulait ressembler à la fille en couverture de Vogue. Les réseaux sociaux n’ont fait qu’amplifier notre culture de l’apparence. »
Sans être nouveau, le phénomène s’est donc popularisé en gagnant en visibilité via les réseaux sociaux, là où les médias traditionnels ne glorifiaient qu’une seule forme d’idéal de beauté à atteindre… pas forcément beaucoup plus accessible que celui incarné par les influenceuses de téléréalité, comme le note Catherine Grangeard.
« Elles ne sont pas plus coupables que Catherine Deneuve ou les autres stars qui défilent à Cannes et arborent, elles aussi, un idéal de féminité inatteignable. […] Il ne faut pas réduire le phénomène à des bécasses qui vendent du rêve à de jeunes ignorantes scotchées sur leur téléphone. »
D’autant plus que se focaliser sur des jeunes sous influence permet aussi d’éviter de s’interroger sur le fait qu’on assiste à un boom global autour de la médecine et de la chirurgie esthétiques : le Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE) a enregistré une augmentation du nombre d’interventions de +20% en France, entre mars 2020 (date du premier confinement dans le pays) et mars 2021.
L’effet Zoom sur le boom de la médecine et de la chirurgie esthétique
La tendance serait même mondiale depuis la pandémie : le télétravail s’est généralisé, et les visioconférences nous ont fait redécouvrir notre visage sous un autre angle beaucoup moins flatteur…
Vous l’avez peut-être vous même éprouvé lors de réunions Skype, Teams, ou Zoom : se fixer soi-même tient du réflexe rassurant car notre visage représente un élément familier et contrôlable au milieu d’un océan de pixels immatériels, comme l’explique notamment Tara Well, professeure de psychologie au Barnard College de l’Université de Columbia, qui étudie les miroirs et les reflets.
Mais à la différence des fois où l’on choisit de se regarder dans un miroir bien placé, là on se voit en mouvement, en train de parler, via une webcam à l’angle peu flatteur. De quoi causer ou amplifier une forme de dysmorphophobie : une préoccupation excessive sur une partie de son corps. Encore un autre facteur qui peut expliquer en partie le boom mondial de médecine et chirurgie esthétiques.
Une étude baptisée Zoom sur les interventions esthétiques pendant la pandémie de COVID-19 publiée en mars 2021 dans l’International Journal of Women’s Dermatology confirme l’impact des visioconférences généralisées par la pandémie sur les actes esthétiques :
« [Sur 134 dermatologues], 76 prestataires (56,7%) ont signalé une augmentation relative du nombre de patients recherchant des consultations esthétiques par rapport à avant la pandémie, et 114 prestataires (86,4%) ont indiqué que leurs patients citaient les appels en visio comme raison de demander des soins. »
Ajoutez à cela le fait que le télétravail facilite aussi une convalescence en toute discrétion à la maison ou sous un masque, ainsi que les économies générées par l’absence de loisirs en temps de pandémie qu’on peut réinvestir dans l’esthétique, et vous obtenez une fenêtre d’opportunités pour passer sur le billard.
Alors, certes les influenceuses de la téléréalité jouent un rôle certain dans la banalisation de la chirurgie et de la médecine esthétiques, mais en faire les seules boucs émissaires ressemblent un peu beaucoup à de la misogynie et du mépris de classe, sans filtre ni retouche.
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Les Commentaires
Si tu veux aller sur le champs des complexes, je suis parfaitement d'accord, nous en avons tous et toutes et chacun.es fait ce qu'il/elle peut avec, moi la première. En revanche, j'ai le droit de m'interroger sur ce qui sociétalement et mentalement d'ailleurs nous donne ces complexes, si certaines injonctions ne sont pas toxiques, pourquoi on nous impose certaines normes, et qu'est ce qui mérite réellement d'être changé: les normes culturelles ou nous même?l