Pourquoi les mariages forcés augmentent à cause du changement climatique ? Pourquoi les femmes et les filles ont-elles plus de risques de mourir en cas d’événements climatiques extrêmes ? Dans un entretien avec Madmoizelle, Fanny Petitbon, responsable du pôle plaidoyer de l’ONG CARE France, nous parle de l’impact du changement climatique sur les femmes et les filles, mais aussi du rôle clé qu’elles jouent face à cette urgence planétaire.
Madmoizelle. En quoi la rareté des ressources liées au changement climatique affecte-t-elle les femmes ?
Fanny Petitbon. Qui s’occupe d’aller collecter de l’eau ou du bois dans les pays du Sud ? Traditionnellement, ce sont les filles et les femmes, mais le changement climatique, les ressources naturelles se font de plus en plus rares. Les femmes consacrent ainsi plus de temps à ces tâches.
Actuellement, selon les données de l’OCDE, les femmes et les filles à travers le monde passent 200 millions d’heures à collecter de l’eau. Autant d’heures qui pourraient être dédiées à l’éducation, au travail pour que ces filles et ces femmes arrivent à sortir de la pauvreté. Aussi, le fait que les femmes et les filles passent plus de temps sur les routes les expose à des risques et à des agressions.
Le changement climatique impacte également les récoltes, avec des sécheresses et des ouragans qui réduisent les quantités alimentaires disponibles pour les familles. Cela contraint les femmes à se priver de nourriture et à laisser les hommes et les garçons manger en priorité, ce qui affecte leur sécurité alimentaire et les expose à davantage de risques de maladies.
Madmoizelle. Comment les normes sexistes peuvent-elles aggraver les conséquences du changement climatique pour les femmes ?
Fanny Petitbon. Le changement climatique et les inégalités de genre créent un cocktail explosif pour les femmes et les filles. D’une part, elles sont les premières victimes du changement climatique avec des conditions de vie de plus en plus précaires. D’autre part, les inégalités persistantes de genre auxquelles elles étaient déjà confrontées (manque d’accès à la santé, à l’éducation) s’aggravent toujours plus à cause du changement climatique.
Les périodes d’instabilité, comme les sécheresses ou autre catastrophe naturelle, sont la porte ouverte à l’augmentation de la déscolarisation. Selon les estimations, 70 % des enfants déscolarisés lors de périodes de sécheresse au Botswana sont des filles (Babugura, 2008). Les mariages forcés de filles de 11 à 14 ans ont augmenté de plus de 50 % lors d’une vague de chaleur de plus de trente jours au Bangladesh (Doherty et al., 2023). Pourquoi ? Parce qu’en cas de crise, beaucoup de communautés font passer les filles et les femmes au second plan.
Les femmes ont moins de libertés, mais aussi plus de responsabilités et une charge de travail démultipliée. Le fait que les femmes et les filles passent plus de temps à la collecte de l’eau et du bois les enferme dans ces tâches traditionnelles. Le changement climatique constitue donc un frein à leur autonomie et leur émancipation, et leur participation aux prises de décision à l’échelle de leur village.
De même, quand des territoires sont frappés par des sécheresses qui entraînent la montée des mers, les hommes sont souvent poussés à migrer vers les zones urbaines pour trouver de quoi vivre, laissant les femmes et les enfants derrière eux. Les femmes se retrouvent alors avec la responsabilité de prendre en charge les foyers. Elles sont isolées et sont sujettes aux agressions.
Madmoizelle. Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les femmes en matière de santé reproductive et de droits des femmes en raison du changement climatique ?
Fanny Petitbon. Le changement climatique exacerbe les problèmes liés à la santé reproductive des femmes. Un problème qui se retrouve dans tous les pays du monde. Chaque augmentation de la température accroit les risques de mortalité des femmes enceintes et des nouveau-nés. Des liens entre l’exposition à la pollution de l’air et les risques d’hypertension chez les femmes enceintes, ou encore le risque de diabète gestationnel ont aussi été étayés.
Un autre impact du changement climatique est la dégradation des infrastructures consacrées à la santé sexuelle. Lorsqu’un ouragan ou des inondations frappent une région, l’accès aux centres de santé pour la contraception et le suivi de problèmes gynécologiques est compromis en raison de l’indisponibilité des équipes médicales.
L’angoisse des personnes déplacées par les catastrophes climatiques est particulièrement préoccupante, avec des femmes enceintes exposées à un risque accru de fausses couches en raison du stress. Les naissances prématurées et les décès maternels, qui auraient pu être évités avec une prise en charge adéquate, sont d’autant plus tragiques dans de telles circonstances.
Madmoizelle. Comment aider les femmes face aux dangers du changement climatique ?
Fanny Petitbon. Il faut d’abord que les États reconnaissent et prennent en compte cet impact disproportionné du changement climatique sur les femmes et les filles.
Aussi, les femmes ne sont pas des victimes passives, elles jouent un rôle incontournable dans la lutte contre le changement climatique. Nos équipes le constatent partout dans le monde : les femmes sont souvent les premières gardiennes des ressources naturelles, partagent et transmettent leur savoir à leur communauté et leur famille.
Bien souvent, elles conçoivent et mettent en œuvre des solutions innovantes, efficaces et peu coûteuses. CARE soutient les petites agricultrices à mettre en place des pratiques plus résilientes face au changement climatique et qui protègent l’environnement. Par exemple, en Équateur, CARE a créé la toute première école d’agroécologie pour les femmes autochtones dans la province de Chimborazo dans les Andes.
Mais il faut aller plus loin. Car au niveau des États, on assiste à un vrai paradoxe. Dans les faits, les femmes sont exclues des politiques et des discussions sur le climat. Elles ne représentaient que 35 % des participants lors de la dernière COP. Elles ne sont donc pas suffisamment entendues, ni soutenues. Seuls 2,9 % des financements du développement consacrés au climat intègrent l’égalité des genres comme objectif (Oxfam, 2023).
Nous essayons aussi de convaincre les gouvernements du Sud de mettre en place des modèles de transition climatique dans lesquels ils vont vraiment prendre en compte l’intégration des femmes et des filles, dans les prises de décision, mais aussi la mise en place des actions.
C’est pour que ces femmes soient enfin entendues, reconnues et soutenues que CARE a lancé cette campagne de sensibilisation mondiale. Ce sont aussi les messages que CARE portera lors de la prochaine COP, la réunion internationale sur le climat, qui aura lieu fin novembre.
Pour la conférencière Fanny Petitbon, il faudrait que les gouvernements aient une approche féministe pour tout ce qui relève des politiques commerciales ou environnementales en prenant en compte leur impact sur les femmes. Cela fait quatre ans que la question de la diplomatie féministe a été érigée en France, mais pour Fanny Petitbon, elle n’est pas aboutie en ce qui concerne les questions environnementales et les actions extérieures dans le monde entier.
- CARE France est une ONG qui lutte défend les droits des femmes et lutte contre les inégalités dans le monde, depuis 75 ans. Présente dans 111 pays, CARE France a aidé plus de 174 millions de personnes à travers le monde en 2022.
- En amont de la COP28, CARE France souhaite attirer l’attention sur la manière dont le dérèglement climatique impacte principalement les femmes avec une campagne de sensibilisation : « Climate change is sexist » qui met à l’honneur quatre femmes et six filles qui font face et luttent contre le changement climatique au Kenya, Zambie, Équateur, Vietnam, Bangladesh et Philippines.
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