« Il faut aussi changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité », a affirmé Sandrine Rousseau le 27 août 2022 à Grenoble dans le cadre des journées d’été d’Europe Écologie les Verts.
La polémique subie par Sandrine Rousseau autour de la consommation genrée de viande
Il n’en fallait pas plus pour que l’extrême droite s’agite, et que les médias en profitent pour monter en épingle une polémique, prétextant que Sandrine Rousseau et les Verts souhaiteraient interdire la pratique du barbecue, voire la consommation de la viande.
Pourtant, Sandrine Rousseau ne faisait que pointer du doigt les dynamiques de genre qui influent sur la consommation alimentaire des Françaises et Français, et même au-delà. Une réalité étudiée depuis des décennies par les sciences sociales, que semblent conspuer les éditorialistes avides de se faire les dents sur le moindre propos clivant. Et de déclencher et entretenir une énième vague de violent cyberharcèlement à l’encontre de l’économiste et femme politique française.
« Le barbecue, symbole de virilité ? » : la fausse polémique
C’est ce qu’a notamment illustré BFM TV, qui opposait Samuel Fittoussi et Nora Bouazzouni. Le premier se présente comme un chroniqueur et auteur, créateur du blog satirique La Gazette de l’Etudiant, et donc sans aucune expertise spécifique sur le sujet du sexisme à travers l’alimentation. La deuxième s’avère journaliste ciné-série, mais aussi culinaire qu’elle dissèque à travers le prisme du social, et a écrit Faiminisme – Quand le sexisme passe à table (2017), ainsi que Steaksisme – En finir avec le mythe de la végé et du viandard (2021), deux essais publiés aux éditions Nouriturfu. Autant dire qu’elle est vraiment experte du sujet.
On passera donc sur la sempiternelle opposition entre les sciences dures et les sciences sociales que tentent d’établir Samuel Fitoussi (« Toutes les études scientifiques – pas de sciences sociales mais scientifiques… »). Celui-ci cite vaguement des noms comme autant d’arguments d’autorité, sans jamais citer de chiffres, mais juste asséner ses points de vue comme des vérités absolues. On tentera également de fermer les oreilles sur le présentateur de BFM TV qui, face à ses invités tentant de citer des sources, les interrompt pour dire : « On est parti du barbecue et là, je suis à la BNF. » Ce qui en dit long sur le niveau de débat attendu sur cette chaîne…
Nora Bouazzouni, experte du sexisme dans l’alimentation et ses conséquences
En revanche, on retiendra la patience de l’experte Nora Bouazzouni qui rappelle avec calme que les goûts alimentaires ne sont pas innés. Les hommes consomment près de deux fois plus de viande rouge que les femmes, c’est un fait social, économique, politique, et même environnemental. L’alimentation carnée masculine génère 41 % d’émissions de gaz à effet de serre de plus que celle féminine.
Et cette préférence carniste tient en partie d’une construction sociale, notamment alimentée (sans mauvais jeu de mot) par les représentations médiatiques, dont les pubs. Il suffit de repenser au caricatural slogan « Mmmmh Charal » de la marque qui se payait comme égérie le rugbyman du XV de France Sébastien Chabal, versus les pubs de yaourts dont les mérites sont presque toujours vantés par des femmes.
La polarisation caricaturale de ce débat qui s’éloigne finalement du fond initial de l’écologie amène Nora Bouazzouni à tweeter dans un thread :
« Je me fous que vous aimiez les chipos. Mais si un steak de haricots rouges vous fait sentir moins homme, vous avez un sacré problème.
[…] On parle viande et symbole viriliste, vous entendez »les hommes sont des connards, le barbecue c’est nul supprimons-les ».
Vous êtes obsédés par votre petite personne. Votre égo est si fragile, votre identité si précaire, qu’elle se laisse déstabiliser par des galettes de pois chiches. »
Vous préférez votre bifteck ou la planète ?
Sandrine Rousseau résume autrement le fond du débat :
Et le plus affligeant réside sûrement dans le 73% des voix 66 500 qui votent pour le bifteck plutôt que la planète, même si l’on pourrait se dire qu’il s’agit sûrement principalement de trolls. En effet, la consommation de viande n’est pas un sujet aussi anecdotique qu’il pourrait paraître aux yeux d’omnivores conservateurs dont la panique morale en dit long. En fait, le carnisme représente l’un des meilleurs leviers contre le changement climatique, tant l’élevage d’animaux pour la consommation pollue, et celui de céréales pour les nourrir aussi.
Pour aller plus loin sur le sujet afin de vous faire un avis éclairé, outre les livres de Nora Bouazzouni, vous pouvez par exemple faire ce test de l’ADEME, destiné à vous faire une idée de votre empreinte carbone personnelle, et de la part que représente la viande. Mais aussi écouter les podcasts suivants : l’épisode « Alimentation et stéréotypes de genre » de Présages, le double épisode « Nourrir son homme » des Couilles sur la table, « L’alimentation est-elle genrée » de Food Thérapie, ou encore « Mangez-vous comme un homme ou comme une femme » de 95 degrés. Car le sexisme fait un carnage, jusque dans l’assiette, en plus de la planète.
À lire aussi : En théorie, 1 Français sur 2 est prêt à réduire la viande. En pratique, par contre…
Crédit photo de Une : Capture d’écran BFM TV.
Les Commentaires
J’ai bien reconnu que les femmes étaient plus critiquées en politique mais je soulignais qu’avec Sandrine Rousseau, on atteignait des proportions importantes. Et même si je ne valide pas les remarques à son sujet, je pense que ça vient de son discours.
Alors je ne doute pas que ça fait du bien à certains, que d’autres pensent qu’un discours choc peut sensibiliser plus de gens. Il me semble que les études montrent que si on veut amener un être humain à changer son comportement, il vaut mieux jouer l’alliance avec lui et appuyer sur ses leviers de motivation. Là, je ne vois pas quel levier peut être activé. Donc personnellement, je pense que ça dessert plus ses propos qu’autre chose.
On ne saura jamais qui a raison au fond donc j’ai envie de dire agree to desagree.