Avant d’entrer en Daronnie, je ne m’intéressais que modérément aux questions de parentalité mais j’étais déjà habitée par une certitude qui s’avérera par la suite aussi prétentieuse que fantasque : pour être une bonne mère, il suffisait de vivre et de laisser vivre.
Lorsque je suis tombée enceinte, j’ai voulu partager ma doctrine future avec le tout-venant, mais Internet m’a rapidement remise à ma place ; c’est avec une perplexité totale que j’ai réalisé que mon statut maternel allait exiger de moi un peu plus qu’une posture bienveillante quoique paresseuse envers une progéniture qui pousserait au gré des vents.
Coaching sportif, guidance spirituelle, master en nutrition, expertise en arts plastiques… la maternité réclamait une palette de compétences aussi variées que chronophages.
Comme en attestent mon 5/20 en éducation physique et sportive au bac ou le fait que la quasi-totalité de mes talents implique de s’assoir sur un canapé, j’ai rapidement compris que c’était mal engagé : je ne serais jamais en mesure de passer des après-midis entiers à ébrouer mon lumbago au nom de la sacro-sainte activité physique familiale.
J’étais donc destinée à devenir une mère en carton.
La mère en carton, psychorigide ou déglinguée
Comme la mère en carton c’est simplement celle qui se permet de ne pas être parfaite et qui déroge parfois aux règles d’un jeu où tout le monde triche, je ne fais pas exception à la règle : je me plante là où tout le monde s’est planté avant moi.
Parfois, j’oublie tout de même que personne n’a la moindre idée de comment fonctionne ce machin de parentalité et j’épie mes voisines qui s’en sortent immanquablement mieux que moi — du moins si j’en crois leur stories Instagram les mettant en scène en train de pâtisser avec leurs petits mignons, alors que moi je castre les miens sous prétexte que je ne supporte pas de voir des coquilles d’œuf flotter dans la pâte à crêpes.
« Mais lâche prise un peu ! Tu te prends beaucoup trop la tête ! », m’invective-t-on régulièrement. Je ne sais pas si les gens qui proposent aux mères en carton de lâcher prise sont bien conscientes de la valeur étymologique de leur recommandation ? Je ne l’espère pas, sinon ça serait considéré comme une tentative d’homicide volontaire et je vous rappelle que c’est passible de réclusion à perpétuité.
Lâcher prise, ça signifie quand même se jeter dans le vide pour se vautrer 10 mètres en contrebas. Un peu extrême, le conseil, les gars. Sans compter que si je suis toute écrasée par terre, qui va préparer le repas du soir ? Ah bah voilà, on fait moins les malins tout à coup avec l’injonction à lâcher prise.
Adversaire historique de la mère en carton psychorigide, je vous présente son opposé inquiétant : la mère en carton de la grosse déglingue, que l’on soupçonne incapable d’offrir un cadre de vie sécurisant à sa famille.
Cette femme — qui fait des trucs ultra limites comme vêtir son bébé avec des chaussettes bleues dépareillées — doit être régulièrement rappelée à l’ordre. Et si c’est en public, c’est encore mieux, par exemple via les comptes-rendus collectifs publiés chaque jour sur le site de la crèche pour informer les autres parents que :
« Bonjour les papas et les mamans ! Encore une belle journée dans le groupe des Castors ! Même si certaines mamans avaient encore oublié de glisser un slip de rechange dans le sac de leur petit, tous les enfants ont pu passer un excellent moment ! À ce soir ! »
La mère en carton auto-proclamée
Personnellement, je n’ai pas passé l’aspirateur sous le canapé depuis 2018, mais j’ai de violentes crises d’hystérie quand je vois mes enfants s’échanger leurs tétines, donc je ne sais pas lâcher prise mais je ne dispose pas non plus de solides qualités domestiques. Ce que je pressentais aux prémices de ma vie de mère se confirme au quotidien : si je veux survivre en paix, je ferais mieux de m’auto-proclamer mère nulle avant que la société ne s’en charge pour moi.
Lorsque je vis de grands moments de culpabilité maternelle, par exemple quand je réalise que mon enfant terriblement normal ne se met pas debout à six mois, je confesse honteusement à mes copines à quel point je suis une mère en carton qui a échoué à stimuler son petit trésor malgré les nombreuses ressources ès parentalité triomphante mises à ma disposition pour une somme modique sur le blog de famille-epanouie.fr.
« MAIS APPRENDS À LÂCHER PRISE, BON DIEU » me rappelle alors mon mari. Et comme j’en ai parfois assez d’incarner un stéréotype que l’on attribue trop souvent à mon genre, je prends une grande inspiration, je me planque pour fumer une cigarette, puis je m’attaque à des injonctions cruciales, comme celle qui m’impose de ne jamais laisser mes enfants s’approcher d’un jouet en plastique coloré.
Fière de mon audace, je justifie cet impair socialement inacceptable par un frondeur quoique délicieux « Je sais, je suis vraiment une mère en mousse mais mon fils adore ce hochet Vtech que ma belle-mère lui a offert » suivi d’un petit gloussement mutin — parce que je sais que je vais BEAUCOUP trop loin, mais Dieu que c’est bon.
Je ne suis pas une mère en carton, je suis une mère qui cartonne
Cette vanne est nulle, mais il n’était pas possible de rédiger une chronique sur le sujet sans la faire.
Je pourrais énumérer ici toutes les raisons qui font de moi un parent correct en dépit de mes nombreuses tares, mais j’ai découvert récemment qu’au nom d’une conception très personnelle du bien-être infantile, certaines personnes lançaient régulièrement des signalements aux services sociaux lorsqu’elles repéraient sur Internet des témoignages honteux où des mamans admettaient s’être égarées du chemin droit en partageant de temps en temps leur soda avec leur progéniture ou en abusant du téléviseur les matins de gueule de bois.
Je préfère donc faire profil bas, même si c’est promis, je ne voie ABSOLUMENT PAS qui pourrait perpétrer de telles ignominies, non pas du tout, JAMAIS. Ne prévenez pas les autorités, si elles débarquent et avisent la couche de poussière entre mon mur et mon canapé, je suis fichue.
Je vais donc faire fi de la police parentale autoproclamée qui rôde autour de nous et me contenter de nous féliciter. Car malgré des bagages, des blessures, et parfois même des pensées handicapantes à côté desquelles nos petits pots industriels à peine assumés font bien pâle figure, nous avons réussi à tenir en vie des enfants qui ont l’air relativement heureux au quotidien !
Et rien que pour ça nous sommes des daronnes qui cartonnent. BOUM.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Pas de walkman, de console, de gameboy, ni de chaînes de télévision (nous avions un téléviseur et un magnétoscope mais dans une pièce de vie, ce qui limitait les possibilités de regarder) et elle a été qualifiée de mauvaise mère.