La symbolique de l’image est forte, et elle est révoltante : c’est un homme, qui signe sans ciller l’arrêt de mort, dans l’État du Missouri, d’un droit que chacun et chacune croyait acquis, celui d’avorter.
Cet homme, qui scelle de façon totalement consciente le sort de millions de femmes à présent en proie à des avortements clandestins, c’est le procureur général du Missouri, premier État à avoir entériné la pulvérisation par la Cour suprême de l’arrêt Roe vs. Wade de 1973 qui constitutionnalisait l’accès à l’IVG.
On en est donc là, en 2022 : dans une actualité dystopique, un pouvoir quasi essentiellement composé d’hommes légifère en toute décontraction sur le corps des femmes et leur droit à en disposer librement.
Quasi essentiellement, car il ne faut pas éluder non plus la responsabilité des femmes, dont une très forte proportion aux positions conservatrices occupe les rangs de la classe politique aux États-Unis. On pense tout particulièrement à Amy Coney Barrett, nommée par Donald Trump à la Cour suprême pour succéder à Ruth Bader Ginsburg, et dont le vote le 24 juin dernier est l’un de ceux qui a fait pencher la balance en défaveur du droit à l’avortement.
Derrière cet événement, c’est un message nauséabond qui leur est aussi envoyé : les femmes ne sont finalement que des mères en devenir, des réceptacles, non-décisionnaires.
Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Comment expliquer cet immense et triste – le mot est faible – retour en arrière ?
En 2022, être une femme, c’est risquer de devenir hors-la-loi
Peut-on d’ailleurs parler de retour en arrière, quand il s’agit en fait d’un bond soudain dans une nouvelle réalité sous forme d’enfer. Dans les États-Unis de 2022, être une femme constitue un danger en soi, une situation subie. Pour chaque Étasunienne, l’horizon qui se dessine est un futur dans lequel être une femme signifie risquer de devenir hors-la-loi pour avoir décidé seule de son destin.
Désormais, toutes celles qui n’ont pas envie de porter et de donner la vie, celles que la perspective d’élever et d’éduquer un enfant non désiré, issu d’un viol ou d’un inceste, ne séduit pas (ah bon ?), il y a enfin le choix de l’abandon. Ou encore, celui de procéder à des avortements « maison », en risquant la plupart du temps d’en mourir. Car non, interdire l’avortement ne fera pas baisser leur nombre, cela les rendra tout simplement plus dangereux.
Du drame social qui se joue actuellement de l’autre côté de l’Atlantique, quelles leçons peut-on tirer dans l’Hexagone ?
Oui, il faut constitutionnaliser l’avortement
On rêverait que le consensus soudain entre les différentes forces politiques vers une constitutionnalisation de l’avortement ne soit pas simplement un effet d’annonce. Et à peine le voit-on poindre, que déjà chacun tire la couverture à soi, risquant de réduire ce sujet, hautement important, à un énième débat médiatique tué dans l’œuf.
Nous ne pouvons pas prendre ce risque.
Alors oui, il est incontournable de constitutionnaliser le droit à l’avortement, ainsi que celui consacrant l’accès à la contraception. Et il faut que ces décisions soient prises très rapidement.
Car nul ne peut décemment croire qu’une situation similaire n’a aucune chance de se produire chez nous, à la faveur d’une élection malheureuse qui porterait un parti d’extrême au pouvoir, alors même que 89 députés RN viennent de faire leur rentrée à l’Assemblée Nationale.
Et il est indécent d’affirmer, à l’instar d’un François Bayrou, droit dans ses bottes sur le plateau de BFMTV, qu’il n’est « pas utile » de constitutionnaliser le droit à l’avortement. Le croire est profondément naïf.
Non, rien ne nous protège d’une régression de nos droits. En France aussi, des forces latentes, religieuses ou réactionnaires sont en action. À travers la voix de militants ou de journalistes qui occupent l’espace médiatique, officiant sur des chaînes ayant pignon sur rue, à des heures de grande écoute.
Et puis finalement, qu’est-ce que cela coûte ? Doit-on vraiment attendre qu’une menace pèse effectivement sur nos droits pour les renforcer ?
Cela prouve au moins une chose. Aux détracteurs des mouvements féministes, à ceux et celles qui estiment que l’« on a plus vraiment besoin de ces luttes », qu’elles appartiennent au passé, à des femmes d’une autre génération : n’oubliez jamais que les droits des femmes, tout comme les droits en général – et les vôtres aussi – ne sont jamais acquis.
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Crédit photo : Manny Becerra / Unsplash
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Les Commentaires
Autrement dit : je trouve problématique de considérer et d'utiliser la Constitution comme un coffre-fort pour des droits individuels qui ne concernent pas la forme du gouvernement et ne sont pas des droits politiques. J'étais déjà perplexe lorsque l'abolition de la peine de mort avait été intégrée à la Constitution sous la forme de l'Article 66-1.