Après des décennies d’invisibilisation des femmes et des minorités ethniques dans une majorité des secteurs de nos sociétés, le monde du cinéma se mettrait-il lentement (mais sûrement) à bouger ?
Les Oscars suivent le mouvement et édictent leurs nouvelles règles du jeu, en présentant une nouvelle réforme de standards invitant les films à se faire plus inclusifs s’ils veulent prétendre à la statuette dorée.
Quels critères devront remplir les films à venir pour concourir aux Oscars ? Et surtout, ces mesures vont-elles vraiment changer la donne ou ne sont-elles qu’un joli coup de comm censé redorer l’image d’une académie aux valeurs un poil archaïques ?
Quels critères pour prétendre à un Oscar ?
Le changement arrive, mais il n’est pas non plus prévu pour demain.
En effet, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, qui gère la remise des Oscars, a statué que ses nouveaux critères de sélection des films ne seraient mis en place que d’ici à 2024.
Une urgence toute relative quand on sait qu’en 2016 déjà, l’absence flagrante de nommés noirs aux Oscars avait donné lieu à la naissance du hashtag #oscarsowhite.
Un manque de diversité si flagrant qu’il avait d’ailleurs conduit au boycottage de la cérémonie par Spike Lee, Michael Moore, et Jada Pinkett, entre autres célébrités engagées.
Un an plus tôt, en 2015, aucun acteur noir n’avait été nommé, pas même Samuel L. Jackson, pourtant extraordinaire dans Les Huit Salopards de Quentin Tarantino.
Rien d’étonnant quand on sait que l’académie qui décerne les Oscars est composée à 94% d’hommes blancs.
Afin d’éviter cette absence aberrante de représentations ethniques, l’Académie des Oscars a décidé, un peu à la bourre quand même, de se mettre au diapason de son époque et d’enfin donner dans la diversité. Enfin, dans l’idée.
Les nouveaux critères de sélection des Oscars, c’est quoi ?
À partir de 2024, et comme le rapporte de manière complète Le Monde, les films voulant être sélectionnés devront répondre aux critères suivants :
Les critères à remplir à l’écran (standard A)
- Un rôle principal ou un rôle secondaire important doit être issu d’un groupe racial ou ethnique sous-représenté
- Au moins 30 % des rôles secondaires doivent être issus de 2 groupes sous-représentés (provenant d’un groupe racial ou ethnique sous-représenté, des femmes, les personnes LGBTQ+ ou des personnes handicapées)
- L’intrigue principale, le thème ou le récit doivent se pencher sur un groupe sous-représenté
Les critères à remplir au sein de l’équipe (standard B)
- Au minimum 2 postes de direction ou chefs de département (directeur de casting, directeur de la photographie, compositeur, costumier, réalisateur, monteur, coiffeur, maquilleur, producteur, chef décorateur, son, superviseur des effets spéciaux, scénariste) doivent provenir d’un groupe sous-représenté et au moins un d’un groupe ‘racial’ ou ethnique sous-représenté
- Au moins 6 membres de l’équipe du film proviennent d’un groupe racial ou ethnique sous-représenté
- Au moins 30 % de l’équipe du film provient d’un groupe sous-représenté
À première vue, la densité des points invite à une certaine satisfaction.
Mais à y regarder de plus près, cette réforme assure-t-elle une réelle diversité à l’écran ?
Rien n’est moins sûr.
Si l’on détaille réellement ces nouveaux critères, la réforme des Oscars ne promet pas non plus un changement drastique, et il serait facile pour à peu près n’importe quel film, de se frayer un chemin jusqu’à la compétition…
Les standards A et B permettent-ils vraiment l’inclusion ?
En effet, comme le souligne le critique et journaliste Kyle Buchanan dans le New York Times, seul l’un des des trois critères concernant le casting des films (nommé Standard A dans la réforme) doit être rempli.
Il suffit donc, à l’instar du film La La Land, de présenter un acteur noir dans un rôle secondaire, et le tour est joué.
Ce qui permettrait, finalement, à la plupart des films de se qualifier les doigts dans le nez.
En ce qui concerne l’équipe technique (nommée Standard B dans la réforme), elle ne doit également correspondre qu’à au moins l’un des trois critères proposés par l’académie.
Beaucoup de films qui demeurent très « blancs », comme The Tree of Life, seraient passés haut la main puisqu’une femme est à la direction de casting et un Mexicain à la direction de la photographie.
Quid des standards C et D de la réforme des Oscars ?
Quant au standard C, il engage les distributeurs ou les sociétés de financement à recruter au moins deux stagiaires issus de groupes sous-représentés et à offrir des opportunités de formation ou de travail à ces groupes.
En d’autres termes, des critères plus que faciles à remplir pour n’importe quel studio dont le programme d’accueil aux stagiaires est un peu solide.
Le standard D, le dernier donc, demande à ce que certains des membres du marketing, de la publicité et de la distribution proviennent d’un groupe sous-représenté.
Si l’on considère le nombre de femmes qui travaillent dans ces instances, cette case est cochée en deux temps-trois mouvements, sans avoir besoin de faire d’efforts d’inclusion supplémentaire.
La réforme des Oscars, de l’esbroufe ?
Le plus étonnant reste à venir : seuls deux de ces quatre standards doivent être pris en compte par les films pour prétendre à la compétition.
Ainsi, un film où seuls des Blancs sont à l’écran et derrière la caméra pourrait être sélectionné si ses stagiaires et quelques uns des membres du marketing venaient de groupes sous-représentés.
Autant dire qu’il est plutôt aisé de passer entre les mailles du filet du progressisme…
Au vu de cette rapide étude des différents points proposés par l’académie, beaucoup de films pourtant considérés comme très blancs, comme The Irishman par exemple, aurait quand même été sélectionnés et validés.
Que Le Figaro, ulcéré par « le retour de la propagande au nom de la diversité » se rassure, le cinéma n’est pas en passe de profondément changer ses fondations.
En réalité, l’académie pourrait surtout avoir fait dans la redorure de blason suite à plusieurs controverses, que dans l’éthique et l’inclusion parfaites.
En s’offrant une nouvelle image plus inclusive et progressiste (au premier coup d’œil), elle pourrait voir remonter ses audiences, qui avaient notamment chuté de 16% en 2015 suite au boycottage de personnalités engagées dans la lutte antiraciste.
Si l’initiative est à saluer, son contenu pourtant n’assure pas au cinéma le futur qu’on lui rêverait.
En bref, il y a encore du pain sur la planche.
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Les Commentaires
Ce n'est pas pour autant que je ne trouve pas le sujet de la représentation au cinéma importante (par exemple, je suis grosse, et le manque de gros au cinéma m'a toujours énormément pesé). Mais je trouve plus intéressant de laisser à un réalisateur et au cinéma en général la liberté d'écrire ce qu'il veut, aux spectateurs la liberté de critiquer, et à la société le soin de changer et d'avoir ses effets sur le cinéma.
Je précise que je n'ai pas le même avis sur l'équipe technique.
Cela me fait penser à une critique faite au film Mignonnes à propos des clichés sur les personnes noires. Il a été reproché à la réalisatrice de représenter l'héroïne noire comme venant des quartiers et donc de perpétuer le cliché comme quoi les noirs viennent tous des quartiers. Ce cliché est bien réel, mais le souci, c'est que la réalisatrice parle de sa propre histoire. Pourquoi lui faire porter la responsabilité globale d'une société raciste alors qu'elle, dans ce film précis, voulait représenter son histoire à elle ?
Enfin voilà, tout ça me pose question et je serais ravie d'en débattre.