Parmi les troubles du comportement alimentaires (TCA), on connaît bien la boulimie nerveuse et l’anorexie mentale. L’avantage d’entendre souvent parler de ces pathologies, c’est qu’étant sensiblisé-e-s, informé-e-s, on tombe un peu moins facilement dans le piège.
Pourtant, l’anorexie et la boulimie ne sont pas les seuls TCA qui existent, et il y en a notamment un autre, moins connu et plus insidieux qu’on appelle orthorexie. Orthorexie, ça vient du grec orthos qui signifie « droit », « correct » et orexia qui veut dire « appétit ». Une personne orthorexique va donc être obsédée par l’idée d’une alimentation saine, et c’est en cela que ce trouble est sournois.
Des 5 fruits et légumes par jour à l’obsession maladive
Toute la journée, on voit, on entend les fameux messages sanitaires du PNNS (Plan National Nutrition Santé) : « ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé », « mangez au moins 5 fruits et légumes par jour », « pratiquez une activité physique régulière », etc. Ça part d’une bonne intention tout ça, mais quand on a déjà un rapport un peu compliqué à base de culpabilisation face à la nourriture, ça n’aide pas à le rendre plus serein, ce rapport.
À force d’entendre ces phrases à longueur de journée, je me suis plongée dans les documents sur la nutrition, je suis devenue une experte en décryptage d’étiquettes, en élaboration de menus équilibrés et en chasse à la « malbouffe ».
Légumes, céréales complètes, pas trop de viande ni de produits laitiers. Des heures passées à élaborer les menus de la semaine pour être sûre de ne pas être prise au dépourvu, et devoir, en urgence, me réchauffer un plat cuisiné bourré de gras, de sel et de sucre.
Et puis forcément, après la privation des « crasses », le craquage. « Allez, juste un carré de chocolat
» et c’est les ¾ de la tablette qui y passent.
Culpabilisation, panique, tentative de compensation grâce à des menus à base de légumes et poisson vapeur, cercle vicieux…
Manger sain, ça ne peut pas être une maladie ! Eh si…
Je ne pensais pas avoir un véritable problème : je me nourrissais en quantités normales, je ne me faisais pas plus vomir, donc je n’étais ni anorexique, ni boulimique, aucun problème donc.
Jusqu’à ce qu’en cours, on aborde les TCA : anorexie, boulimie (normal, j’ai envie de dire), mais aussi hyperphagie et orthorexie. Quand j’ai entendu la définition de ce dernier, ça a fait tilt.
L’intervenante qui nous a fait le cours nous avait fait passer un questionnaire, appelé Test de Bratman, composé de 10 questions :
- Passez-vous plus de 3 heures par jour à penser à votre régime alimentaire ?
- Planifiez-vous vos repas plusieurs jours à l’avance ?
- La valeur nutritionnelle de votre repas est-elle plus importante que le plaisir de le déguster ?
- La qualité de votre vie s’est-elle dégradée, alors que la qualité de votre nourriture s’est améliorée ?
- Êtes-vous récemment devenu plus exigeant·e avec vous-même ?
- Votre amour propre est-il renforcé par votre volonté de manger sain ?
- Avez-vous renoncé à des aliments que vous aimiez au profit d’aliments « sains » ?
- Éprouvez-vous de la culpabilité dès que vous vous écartez de votre régime ?
- Vous sentez-vous en paix avec vous-même et pensez-vous bien vous contrôler lorsque vous mangez « sain » ?
J’ai fait ce test, 5 « oui » : j’ai réalisé que j’étais en plein dedans. De voir ce que je prenais pour « juste » une envie de bien manger être mis au niveau de la boulimie et l’anorexie, ça m’a vraiment fait un choc. Je me pensais bien informée, bien protégée : raté…
Sus à la culpabilisation !
Tout ça, c’était il y a un peu plus de 5 ans. Depuis, j’ai progressé, j’essaie de lâcher du lest, mais ce n’est pas facile. La culpabilité est toujours au rendez-vous dès que je fais ce que je considère comme un « excès ». Je ne m’estime pas encore « guérie », je pense que je n’aurai jamais une relation sereine face à la nourriture, mais si j’ai voulu en parler aujourd’hui, c’est parce que j’ai l’impression que l’alimentation « saine » (« healthy ») est très à la mode en ce moment, sur des blogs, des Tumblr ou encore sur Pinterest, et on a vite fait de passer du côté obscur de la Force !
Il me semble que c’est un trouble qui est encore peu connu, et j’espère que le fait d’en parler pourra éviter aux madZ qui s’intéressent à leur alimentation de tomber dans l’excès de contrôle !
Peut-on alors parler tout de me?me d’une pathologie orthorexique et quelles en seraient les conse?quences ? L’orthorexie aujourd’hui ne fait pas l’objet d’une reconnaissance officielle qui la classerait parmi les troubles du comportement alimentaire comme l’anorexie ou la boulimie. De me?decins y font ne?anmoins re?fe?rence de plus en plus souvent pour cate?goriser certains comportements. Il resterait encore tout un travail descriptif et clinique a? re?aliser pour savoir si l’on peut ve?ritablement parler d’une maladie qui a des effets ne?gatifs sur la sante?.
Le Dr Bratman avait repe?re? comme une des principales conse?quences de la de?marche orthorexique un certain isolement social. Si les orthorexiques sont fiers et convaincus de la justesse de leur morale die?te?tique, manger avec le reste du monde devient difficile. Si l’on ne partage plus les me?mes convictions, pourquoi manger a? la me?me table et surtout comment partager cette nourriture “saine” aux yeux des uns et “malsaine” aux yeux des autres ? L’identite? des orthorexiques est fortement lie?e a? l’attention obsessionnelle qu’ils portent quotidiennement a? la nourriture. La prise alimentaire devient un acte individuel, quasiment e?goi?ste, sans plaisir, ou? les autres n’ont pas de place. Les orthorexiques ont aussi tendance a? de?velopper un sentiment de supe?riorite? face a? ceux qui continuent de s’engluer dans des modes de vie et des pratiques alimentaires malsaines. Dans leur isolement, ils pourraient finir par se croire, non seulement supe?rieurs, mais e?ternels…
Et vous, quel est votre rapport à la nourriture « healthy » tant vantée en ce moment ?
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Les Commentaires
D'autant plus que beaucoup d'aliments de "mal-bouffe" qui sont consommés par les bas revenus (type pizza surgelées, pâtes instantanées, ravioli en boite ...) ne sont souvent pas forcément donnés! Mais bon comme tu dis c'est pas toujours le cas.
Mais après c'est des questions plus compliqués, il faut aussi une volonté, une éducation là dessus (on n'a pas toujours conscience de ce qu'on mange et de comment faire autrement), de l'organisation, de motivations ... Clairement on n'a pas toujours envie de passer une heure à cuisiner en rentrant du boulot le soir et je suis parfois la première a sortir une brique de soupe toute prête ou à me faire cuire des pâtes toutes bêtes. Mais manger sain c'est pas être parfait tout le temps non plus.
Non mais je sais mais justement certaines personnes qui vont trop dans l'orthorexie trouvent que un yaourt au miel EST un craquage. Que c'est l'écart de la semaine quoi. Par ce qu'il y a des laitages et du sucre dedans. Le truc de fou que tu t'autorise quand tu as bien fait gaffe depuis des jours et des jours. Et que tu compense le soir en ne mangeant que des brocoli vapeur. Pour revenir dans la nuance, quelqu'un qui mange sain et puis se prends un yaourt en dessert de temps en temps, ça reste dans le "mode de vie", quelqu'un qui passe son temps a tout calculer, à tout contrôler et qui s’autorise à peine un yaourt en faisant bien gaffe de compenser l'écart c'est dans le cadre du trouble. Du coup dire qu'elle n'est probablement pas dans l'orthorexie car elle dit s'autoriser des écarts ben ça veut rien dire (même si bon ça ne veut rien dire de l'accuser non plus d'orthorexie juste en lisant son poste).
Sinon ben elle à beau ne pas être habituée des forum, si elle a eu cette réaction là par écrit c'est qu'elle l'a aussi eu dans sa tête, et c'est quand même une réaction assez poussée. Mais c'est vrai qu'on ne peut pas franchement déduire grand chose de plus de sa réponse.